Une histoire qui finit bien

Par Émélie Bernier 12:00 PM - 4 juillet 2023 Initiative de journalisme local
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La vie a repris son cours pour Philippe Lavoie, Delphine et Sophie Labbé.

Sophie Labbé et Philippe Lavoie ont bâti en 2016 la maison de leurs rêves. Un grand terrain gazonné (« pas en zone inondable », précisent-ils), bordé par la rivière d’un côté, la maison des parents de Sophie de l’autre, une petite forêt derrière, des arbres tout autour, une plage privée à quelques pas, le camping familial à un jet de pierre… 

Ce havre de paix chéri, ils ont bien failli devoir lui dire adieu. Mais il y a, heureusement, de ces histoires qui finissent bien. Voici le dernier portrait de notre série Des sinistrés parmi tant d’autres.

1er mai, 7h du matin. Sans s’inquiéter outre mesure,  Sophie Labbé lance un regard vers la rivière qui gronde avant de prendre le chemin du boulot. Elle ne sait pas encore qu’elle ne redormira pas dans son lit pour un mois. Et que le patrimoine de sa famille mangera la pire claque de sa vie. Sophie est une Labbé, comme dans « les Labbé du Genévrier »…

Son chum Philippe, lui, va porter la petite à la garderie ce matin-là. De retour à la maison, il ne peut que constater que la rivière enfle de plus en plus. Et avec elle, un petit nœud dans sa gorge.. Une vague et peu plaisante impression de déjà vu l’assaille.

« En 2017, on avait eu un glissement de terrain. Rien de comparable, mais un
rapport de la Sécurité publique avait conclu qu’il fallait faire des travaux d’aménagement pour protéger la maison, mais aussi les piliers du pont. Ces
travaux-là n’ont jamais eu lieu. C’est à ça que je
pensais quand j’ai appelé des collègues pour leur demander de venir voir… »

Philippe est pompier et membre de l’escouade de Baie-Saint-Paul.

Pendant ce temps, à l’hôpital où Sophie travaille comme infirmière, ce fameux 1er mai commence sur les chapeaux de roue. Au bloc opératoire, un début d’incendie vient bouleverser l’agenda. Elle demeure sur place jusqu’à ce que Philippe l’appelle pour lui dire que la situation s’envenime.

« Je venais d’arriver à la maison quand on nous a appelés pour dire que Delphine et les enfants de la garderie avaient été évacués à l’aréna! Je suis allée la chercher, il faisait noir, des enfants pleuraient… c’était vraiment spécial. » De retour à la maison, elle retrouve ses parents et ses proches.
L’inquiétude suit la rivière qui monte, monte.

Philippe, pompier, a pour sa part joint ses camarades sur le terrain. Il participe aux évacuations.

« C’est un peu ingrat, j’ai été pompier pendant tout ce temps-là et Sophie était ici avec la petite. Elle regardait la maison, » est-ce qu’on va la garder, la perdre? « pendant que je pensais à autre chose. Ma blonde était doublement affectée. Oui, il y avait la maison, mais aussi le Genévrier, qui fait partie de son histoire familiale! »

On connaît la suite. Le pont du Camping le Genévrier cède. Puis c’est au tour des roulottes de partir avec le courant. 35 roulottes passeront à vive allure devant chez Sophie et Philippe qui voient leur terrain disparaître petit à petit, littéralement dévoré par la rivière qui ne ressemble plus à rien de ce qu’ils ont connu. Un chalet « en dur » sort de son socle et glisse dangereusement vers le torrent. Heureusement, il se coince entre deux autres petites maisonnettes.

« On n’ose pas imaginer ce qui ce serait passer s’il avait foncé dans le pont, mais quand la fosse septique et le champ d’épuration ont été arrachés par le courant, on a commencé très sérieusement à penser que c’en était fini de notre maison », lancent-ils.

L’ambiance est lourde. « Les pompiers disparus, les hélicos, les sirènes… Mon père et ses frères voyaient 50 ans de leur vie passer dans le courant. Au moins, on était ensemble », relate Sophie.

Vers 5h, ils apprennent qu’ils sont évacués. La rivière a grugé 25 pieds de terrain. Leur maison est sur le bord d’un précipice. Et la pluie
ne semble pas près de cesser…

« C’était une journée un peu apocalyptique. La pire nuit a été de lundi à mardi. On dormait chez les parents de Sophie et chaque fois qu’on entendait un bruit, on pensait que c’est la maison qui partait… »

La rationnelle Sophie, qui réfléchit très souvent en termes de pourcentage, estime alors à « entre 5 et 10 % » ses chances de retrouver son nid un jour.

Durant un mois, la famille n’a pas pu réintégrer son domicile, par crainte de glissement de terrain.

« Franchement, j’étais à peu près certaine qu’on serait exproprié.  Ça augurait mal pour rester ici à long terme… C’est sûr que c’était difficile. On a tellement travaillé, on adore notre maison ! Et là, de notre chambre, c’est comme si on était dans un bateau… On ne voyait plus la terre », lance-t-elle.

Les photos sont éloquentes. Et un brin terrifiantes.

Le clan Labbé se tient serré dans l’épreuve. La maison voisine de celle de Philippe et Sophie devient en quelque sorte un QG, au grand plaisir de Delphine qui ne comprend heureusement rien à la gravité de la situation et profite de toute cette attention! Parions que sa belle petite bouille a fait du bien à tout le monde…

« On a vécu chez mes parents pendant un mois, sans date de retour. Avec notre petite qui voyait sa maison et qui ne comprenait pas pourquoi on ne pouvait pas y aller. Et une quantité impressionnante de » ouéreux « qui venaient prendre des photos! », rigole Sophie.

Les réponses à leurs nombreuses questions, la première étant bien sûr le verdict concernant leur maison,  ont tardé à venir.

« Pendant quelques semaines, la Sécurité publi-
que et le MTQ se renvoyaient la balle. On avait de la difficulté à obtenir des réponses. C’était difficile
de ne pas savoir », indique Philippe.

Puis, un changement s’est opéré. Le MTQ a pris les choses en main et s’est appliqué à littéralement « rebâtir » le terrain de Sophie et Philippe.

Philippe, Delphine et Sophie sur le terrain littéralement “reconstruit” par le MTQ et les entreprises Jacques Dufour.

« Ils ont fait un travail exemplaire, hyper minutieux! Franchement, là, on sent que c’est sécuritaire », lance Philippe qui n’a que de bons mots pour le MTQ et  les entreprises Dufour.

« Ils ont placé les roches une à une, se sont servis d’images satellites, on est à un autre niveau! Et on a réintégré notre maison.  Ça, c’était vraiment presque inespéré à un moment donné », lance-t-il.

Assis sur leur jolie terrasse, Sophie et Philippe peuvent enfin reprendre leur souffle. L’herbe pousse sur leur « nouveau » terrain, suivant une démarcation nette. Des arbres seront éventuellement plantés. La cour n’a rien perdu de son charme.

Et la vie reprend doucement, chez eux comme chez leurs voisins du Genévrier.

« Un pan d’histoire est parti à la dérive, mais ils ont choisi de se retrousser les manches… »

Bien sûr, il y aura d’autres printemps, d’autres crues. Mais pour l’instant,  on
choisit de profiter de l’été, de la famille, des amis.

« C’est sûr que lorsqu’il va pleuvoir beaucoup, on va y penser… C’est un peu comme un trauma. On
sera toujours un peu inquiets. Mais on se sent quand même privilégié. »

 

N.D.L.R. : Ce texte complète la série Des sinistrés parmi tant d’autres.

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