Des nouvelles des sinistrés du premier mai (2e partie)

Par Émélie Bernier 1:18 PM - 14 novembre 2023 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Madeleine Desgagnés et Marc André Gagnon n’ont pas chômé, mais ils ont enfin un foyer confortable.

Il y a quelques mois, nous présentions ici une série de portraits de sinistrés des inondations du 1er mai. Six mois après que le coup d’eau ait emporté une partie de leur vie, où en sont-ils? Un résumé en quelques mots-clés : déménagement, inquiétude, labeur. Mais avant tout, résilience. 2e partie.

Madeleine Desgagnés et Marc-André Gagnon

Madeleine et Marc-André m’accueillent dans une maison qui n’a plus rien à voir avec celle que j’avais visitée. Il faut dire qu’elle ne payait pas de mine à l’époque… Les murs à moitié arrachés, la boue recouvrant encore le plancher, les meubles absents, pour la plupart jetés aux ordures… L’eau avait fait des ravages incommensurables.

Le cocon chaleureux d’aujourd’hui n’en semble que plus douillet. « On a eu le permis le 19 juin à 15h15. Après ça, on a travaillé, travaillé, travaillé, dix heures par jour, sept jours par semaine », glissent-ils d’un même souffle.

Ils ont tout fait eux-mêmes ou presque. Les enfants, les amis ont donné un coup de main, une aide grandement appréciée. L’argent de la Sécurité publique a couvert les frais des matériaux, à peu près, mais n’aurait jamais suffi à payer un entrepreneur.

Durant des mois, ils ont nettoyé, arraché, vidé, puis patiemment, une étape à la fois, ils ont retapé leur demeure. 

« On est très reconnaissant envers ma sœur qui nous a prêté le petit logement qu’elle garde pour ses enfants. Ça nous a permis d’être bien installés pendant qu’on venait travailler ici. Le soir, on était tellement fatigué! On soupait, on prenait une douche et on se couchait. Et on recommençait le lendemain! » Tout ça pendant des mois.

Au milieu du salon, un meuble, à la fois imposant et discret, a pris place. « C’est du rangement. On ne laisse plus grand-chose dans la cave… », explique Madeleine. 

Un foyer diffuse une douce chaleur. Près du fauteuil où elle est assise, Madeleine me montre une nouvelle fenêtre. « Il a fallu reconstruire les murs, j’en ai profité pour la faire ajouter. C’est mon petit caprice », rigole-t-elle. 

Quelques menus détails doivent encore être réglés – une suspension ici, un coup de pinceau… -, mais la maison est à leur goût. « On en a profité pour virer ça de bord », raconte Madeleine. La télé a pris la place du piano. Le piano? Parti. « Il avait pris l’eau, on l’a donné. »

Le revêtement extérieur a été refait. La maison des grands-parents de Madeleine a retrouvé son lustre d’hier.

L’arrivée de l’hiver donne un petit répit au couple, mais dès le printemps, il faudra s’attaquer au terrain. 

« Mais là, on va se reposer un peu », lancent-ils en riant. Visiblement, leur amour n’est pas parti avec le courant.

Sophie Labbé et Philippe Lavoie

« La pluie nous fait peur », lance sans détour Philippe Lavoie. Les trois derniers coups d’eau, dont le plus récent en date du 8 octobre dernier, n’ont fait que renforcer cette sourde et prégnante impression de vulnérabilité.

Ce jour-là, sa conjointe Sophie et lui ont regardé avec inquiétude l’eau monter jusqu’à deux pieds du pilier du pont qui enjambe la rivière des Mares, tout près de leur maison. « On parle d’une journée de pluie en automne, pas de quatre jours d’averses printanières, avec du dégel en plus… Ce qu’on a vu ne nous rassure vraiment pas pour le printemps… », lance Philippe.

S’il reconnaît que le ministère des Transports du Québec a mis toute la gomme pour réparer leur terrain et le pont voisin, l’attitude du ministère de l’Environnement (MELCCFP) le préoccupe. 

« Ils disent que le cours de la rivière a changé, OK, mais on dirait que dans tout ce qu’ils ont fait, ils n’ont jamais pris en compte que le fond de la rivière n’est plus au même endroit qu’avant. À certains endroits, ç’a monté facilement de six pieds, avec tout le déplacement de sol, de sable… Est-ce qu’ils ont évalué l’impact de ça sur le débit d’eau? Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils n’ont pas assez pris en compte les changements structuraux de la rivière… », ajoute-t-il. 

Quoi qu’il en soit, la chambre est déjà réservée chez ses voisins, et beaux-parents, pour le printemps prochain. 

« C’est sûr qu’en mai, dès qu’il va pleuvoir un peu fort, on va se déménager là le temps que ça passe. Oui, ils ont fait un mur, on veut bien y croire, mais on ne peut pas le tester, donc on n’a pas la preuve que ça fonctionne… »

Elle est peut-être toujours debout, mais la « maison de rêve » bâtie avec son amoureuse Sophie, n’est plus. 

Yves et Outi Giroux

Quatre déménagements. Des heures et des heures de nettoyage, de ménage, de tri. Un nombre incalculable d’appels téléphoniques. De la paperasse. Beaucoup de paperasse. Des creux de vague. De l’huile de coude. Des amis solidaires. 

Et une maison qui n’est plus qu’une coquille vide, suspendue entre ciel et terre. 

Six mois plus tard, voici à peu près le résumé de la vie d’Outi et Yves Giroux. 

Ils m’accueillent dans une maison louée (au tarif « résidence de tourisme ») à quelques minutes à pied du chantier qu’est devenue leur demeure. Amochée par les inondations, elle est aujourd’hui en processus « d’immunisation », quelque chose qui pourrait se traduire par « rendre résistante aux inondations ».

« Elle sera surélevée au-dessus de la hauteur de crue des eaux. On refait des fondations « inondables », qui vont pouvoir supporter l’eau », résume Yves Giroux. Car de l’eau, il y en aura encore, le couple en semble convaincu.

« La Sécurité publique nous disait que nos fondations étaient OK, mais c’était clairement impossible de reconstruire là-dessus. On a eu une bonne collaboration avec la Ville, mais ça a pris des mois de représentations, d’insistance auprès de la SP. On était prêt à commencer les travaux à la mi-août. » 

Avec tout ça, ils ont plutôt débuté le 26 octobre. 

Et là, il faudrait qu’ils « hivernisent » leur maison. Un coup d’œil suffit pour réaliser l’absurdité de cette demande. Juchée une quinzaine de pieds dans les airs, la maison n’est plus qu’une carcasse de bois pièce sur pièce. Il n’y a plus ni division, ni plancher, ni plafond. Seul l’escalier subsiste, suspendu au-dessus du vide.

« On a reçu un courriel de la Ville à ce sujet cette semaine. La neige est déjà tombée, c’est l’hiver! Avec les délais, la maison ne sera pas assise avant la fin de la semaine. Après, il faut trouver une façon de mettre du chauffage de construction, temporaire, parce qu’il n’y a aucun électricien disponible pour faire les travaux avant les fêtes. Et isoler, fermer les murs, faire des divisions… »

Au moins, il se passe quelque chose. 

« Il y a des moments stressants, mais la majorité du temps, quand les choses avancent, je me sens bien. On n’est pas chez nous, on n’a pas encore fini de nettoyer nos choses pleines de bouette, mais les choses avancent… », lance Outi. Après l’inondation, elle a laissé son emploi pour se consacrer à tout le travail à faire. Elle est consciente de son privilège. Car tout ça prend énormément de temps. Et d’énergie.

Comme leur maison fait partie des trois premiers chantiers d’immunisation, ils ont parfois l’impression de servir de trail blazers, ou de cobayes, c’est selon. Et ce n’est pas nécessairement une position confortable! « On serait vraiment très dû pour une rencontre des sinistrés avec la Ville et la Sécurité publique parce que là, ils se renvoient la balle, c’est flou et c’est vraiment drainant. Et on pourrait aborder tous les aspects : immunisation, aide au logement, plan à long terme… Ce serait bien, même, que toutes les instances soient là, le fédéral et la Santé publique aussi, et que chacun réponde aux questions selon son domaine d’expertise », lance Yves Giroux. 

Ils espèrent pouvoir réintégrer leur demeure le 1er mai. « Ce serait le scénario idéal pour ne pas avoir à déménager une autre fois, car notre bail vient à échéance le 1er mai. C’est stressant, il y a beaucoup de questions, mais on est dans l’action, on avance. »

Si on pouvait éviter les jambettes…

À lire aussi, des nouvelles d’André Devisch et Odette Thibault, Claudia Guerra et Benoît Liard.

Partager cet article