Des nouvelles des sinistrés du premier mai

Par Émélie Bernier 1:19 PM - 14 novembre 2023 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Odette Thibault et André Devisch dans leur nouvel environnement.

Il y a quelques mois, nous présentions ici une série de portraits de sinistrés des inondations du 1er mai. Six mois après que le coup d’eau ait emporté une partie de leur vie, où en sont-ils? Un résumé en quelques mots-clés : déménagement, inquiétude, labeur. Mais avant tout, résilience. 

Odette Thibault et André Devisch

Dans l’appartement dont ils ont eu les clés le 1er novembre, Odette Thibault et André Devisch prennent tranquillement leurs repères. Pour André Devisch, cette expression est à prendre au pied de la lettre. L’homme, aveugle, doit apprendre à se déplacer de la chambre à la salle de bain, de la cuisine au salon… 

Le couple doit aussi réapprendre à vivre ensemble après six mois de séparation. À les voir complices, on comprend que ces repères-là ont été faciles à retrouver. « C’est un mauvais rêve, ce qui nous est arrivé… André est revenu dans la région la même journée où on a eu les clés. On avait hâte d’être ensemble », résume Odette Thibault. Depuis six mois, André Devisch vivait chez son fils et sa bru, à Québec. « Ils nous ont tellement aidés. Ils m’ont même donné leur chambre… », lance le père, visiblement touché par tant de sollicitude.

Odette Thibault dans la maison où elle vivait avec son conjoint André Devisch jusqu’au 1er mai. Archives.

Le contraste est frappant entre la maison ancestrale qui était leur milieu de vie jusqu’au 1er mai et cet appartement tout neuf où ils viennent tout juste d’emménager. Dans un coin, des boîtes s’empilent encore. Odette a pris trois jours de congé pour le déménagement, mais il a bien fallu retourner travailler.

Car ce bel espace de vie n’est pas donné, loin de là. « On a loué pour 18 mois. On va voir si on est capable de continuer de payer ou si on trouve quelque chose de moins cher. Ça va beaucoup dépendre de ce que la Sécurité publique (SP) va nous donner… », glisse Odette Thibeault.

Pour l’instant, ils sont dans le néant. « Ce n’est pas réglé avec ni avec la SP ni avec la Ville. La SP a pris la décision, on ne pouvait pas y retourner parce que la réparation dépassait la moitié de la valeur de la maison. Elle est déclarée perte totale et ça va être à la Ville de décréter si on démolit ou pas… », disent-ils. 

La maison est évaluée à près de 265 000 $ à la MRC, beaucoup moins à la Ville. André Devisch n’acceptera pas des pinottes. « J’espère qu’avec ce que je vais avoir, on va pouvoir bien vivre. Mes rentes, ça suffit, mais c’est borderline. Et je tiens à laisser quelque chose à mon gars, même s’il ne veut rien », indique-t-il. 

Odette, elle, continue de travailler. Le nouvel appartement est situé tout près de la Garderie du coin où elle est cuisinière. « Ça, on l’apprécie beaucoup! S’il se passe quelque chose, je peux venir voir André en deux minutes! » 

Le deuil de la maison de la rue Saint-Joseph, lui, est fait. « J’ai 83 ans, penses-tu que j’étais intéressé à me lancer dans les rénos et à avoir peur à chaque coup d’eau que ça recommence? Tout le monde était sur le nerf à la dernière grosse pluie. Même moi! Je reste pu’ là et j’étais sur le nerf… »

Odette concède que l’appartement a « moins de cachet » que la maison, mais avec ses grands walk-in, ses électroménagers neufs, ses murs immaculés, son plancher impeccable, il a ses avantages. Et bientôt, l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec viendra l’adapter aux besoins d’André. 

« On va se faire une histoire ici », lance Odette, heureuse d’être enfin sous le même toit que son homme.  

Dans un coin de l’appartement, autrement peu décoré, un bibelot trône. Cette fameuse grenouille en ciré jaune, tristement cocasse dans l’ancienne maison dévastée, est un des artefacts qui les a suivis. Quelque chose comme le symbole de leur résilience.

Benoît Liard et Claudia Guerra

Six mois après que leur vie ait été chamboulée par les humeurs tumultueuses de la rivière du Gouffre, Benoît Liard et Claudia Guerra, résidents de la rue Saint-Joseph, vont « relativement bien ». « Nous sommes probablement traumatisés tout de même. Je pense à tout ça plusieurs fois par jour. Il y a beaucoup de choses pour nous le rappeler… », glisse Benoit.

Quelles choses? Le garage a gardé sa patine de boue. Le bois de chauffage récupéré aussi. Plusieurs objets ont disparu dans la foulée des inondations et du ménage qui a suivi… « On se cherche! »

Ils ont réintégré leur maison début juillet, mais les travaux essentiels ont été complétés il y a quelques jours seulement. « Il y avait tant à faire et l’énergie n’était pas nécessairement toujours au rendez-vous… », résume le proprio. 

Le deck et la piscine, séparés par le coup d’eau, ont été « raboutés ». La piscine, réparée et dûment nettoyée. Ils s’y sont même baignés cet été. Au fil des mois, la végétation a repris le dessus sur la boue. La neige effacera, du moins temporairement, certaines traces du sinistre. Elle est accueillie avec soulagement, même s’ils savent pertinemment que celui-ci est temporaire.

« Depuis le 1er mai, nous avons systématiquement peur des grosses pluies. Les rivières ont clairement changé de nature. Voir la rivière des Mares sortir autant de fois de son lit soulève des questions. Qu’est-ce qui a changé plus haut pour que ça arrive soudainement comme ça à plusieurs reprises? », questionne Benoît Liard.

Les balades dans le quartier en compagnie de leur petite Madeleine donnent toujours lieu à un concert de questions. « Les maisons abandonnées ou au revêtement arraché l’intriguent. Et ça brasse pas mal ces temps-ci! Pourquoi il y a des travaux? Pourquoi c’est comme ça? Pourquoi les gros camions? Et même si la Ville a fait un véritable effort de nettoyage, les odeurs sont encore parfois surprenantes, disons… »

La petite Madeleine lors d’une de ses marches quotidiennes l’été dernier. Archives.

Étonnamment, Claudia et Benoît apprécient le bourdonnement des travaux. « C’est encourageant et spectaculaire à voir! » Les démolitions, complétées, en cours ou projetées, sont cependant un rappel quotidien que certains ont préféré, et dû, fuir le quartier. « Ça reste inquiétant pour ceux qui sont décidés à rester… et c’est peu triste de constater que la démolition est une condition pour obtenir le dédommagement de la Sécurité publique. Dans un contexte de pénurie de logements, est-ce qu’on aurait pu se donner le temps d’être créatif et trouver une solution pour conserver notre quartier? »

Parce que la vie de quartier, justement, y est fort belle malgré tout! « Le retour des voisins qui sont devenus pour la plupart des amis est vraiment formidable. Avoir notre voisin d’en face qui arrive par surprise avec un fudge pour la petite, les amis qui sont toujours là pour jaser, aider, partager, fait en sorte que nous avons probablement une des plus belles communautés au Québec selon nous. L’eau n’aura pas brisé ça. Au contraire! »

À lire aussi, des nouvelles de Madeleine Desgagnés et Marc-André Gagnon, Outi et Yves Giroux et Sophie Labbé et Phil Lavoie.