Riopelle en Charlevoix

Par Émélie Bernier 3:16 PM - 1 juin 2023
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Portrait de Riopelle par Jacqueline Hyde, 1983.

Yseult Riopelle a grandi dans l’ombre bienveillante d’un père-cathédrale, à la fois si proche à son cœur et plus grand que la nature qu’il chérissait comme une sœur. Elle a dédié une grande partie de sa propre vie à son œuvre et en connaît tous les secrets ou presque. Qui de mieux qu’elle, alors, pour agir à titre de commissaire de la grande exposition du Musée de Charlevoix qui saluera les 100 ans du poète des couleurs cet été ?

« Je travaille depuis des années sur les expositions des œuvres de mon père. Quand le Musée de Charlevoix m’a demandé d’être commissaire, je suis allée visiter les voûtes et tout de suite, j’ai été subjuguée par leur collection, qui est absolument phénoménale et qui rejoint beaucoup ce que mon père aimait : les œuvres par les artistes du terroir, et les patenteux… » Pour les Riopelle, père et fille, cette appellation n’a rien de péjoratif. « Encore aujourd’hui, je traite souvent mon père de patenteux ! », lance la dame avec un sourire complice.

Les œuvres colorées entassées dans les voûtes du musée lui ont murmuré la voie à emprunter. « J’ai été absolument sidérée de ce que j’ai vu dans cette caverne aux trésors et l’idée m’est venue d’intégrer des pièces des collections du musée à l’œuvre de Riopelle. C’était tout désigné ! »

Soufflé d’oies, 1982 – Collection Musée national des beaux-arts du Québec.
Appelant de la collection du Musée de Charlevoix, Pierre Corriveau.

Ainsi s’est-elle appliquée à marier des œuvres de son père, sculpturales comme picturales, à des objets d’art populaire ou à certaines pièces utilitaires. Les liens se sont tissés presque d’eux-mêmes. La commissaire n’a fait qu’écouter le dialogue entre les œuvres qui l’habitent et les objets qui lui faisaient de l’œil.

Cette façon de faire, nouvelle, lui a énormément plu. « Mon intérêt, à moi qui ai fait énormément d’expositions, c’est d’apporter quelque chose de nouveau à la connaissance de l’œuvre de Riopelle. Sans ça, on se répète. Je pense que ça va étonner, car ça ne s’est jamais fait. Peut-être que ça va décevoir certaines personnes qui s’attendent à voir des huiles très chères ou des œuvres connues. Ils iront au Musée des Beaux-Arts! », plaisante gentiment Yseult Riopelle.

L’exposition Riopelle et l’art populaire, Objets trouvés, détournés, volés est l’occasion rêvée de mettre en lumière l’affection que Jean Paul Riopelle portait à l’art populaire, mais également aux savoir-faire et techniques d’hier et, plus largement, à la matière. « Il voulait créer une fondation pour protéger ces connaissances, comme les bases de la sculpture sur bois, comment fabriquer la peinture à l’huile, monter un atelier de fonderie, de dorure, etc. Il souhaitait propager les vieux métiers, éviter leur perdition… » Il n’aura pas eu le temps de mener ce désir à sa forme concrète. 

Alors que la planète artistique tout entière allume des bougies pour le centenaire de son illustrissime père, elle confie un certain vertige. « De mon côté, c’est impossible de vivre tout ce qui s’organise autour de cet anniversaire. Il y en a trop ! »

Qu’aurait-il pensé de ce déluge ? « Je ne peux pas parler pour lui, mais il vivait à une époque beaucoup moins axée sur la publicité. Ses projets étaient plus intimistes… Je ne suis pas sûre qu’il aurait été ravi qu’on lui souhaite un heureux 100e anniversaire ! », rigole-t-elle.

Plus sérieusement, elle souhaite surtout qu’on célèbre encore son père et son œuvre grandiose en 2024, 2030, 2050…  « J’aimerais que ce ne soit pas qu’un feu d’artifice… »

Nulle crainte. La saisissante flambée Riopelle ne s’éteindra pas de sitôt.

Un coup de cœur de l’exposition

Photo courtoisie.

« Une fresque inspirée de L’hommage à Rosa Luxemburg et créée par de très jeunes enfants d’une école de Douarnenez, en Bretagne, sera exposée au Musée de Charlevoix. L’institutrice Marion Mouturier a travaillé toute l’année 2022 avec ses jeunes sur l’œuvre de Riopelle et le résultat est très touchant. Je l’ai ramenée de France pour l’exposer au Musée de Charlevoix. Je pense que les enfants seront interpelés par cette interprétation. D’autres surprises suivront dont un livre et, nous l’espérons, un jumelage entre l’école de Douarnenez et l’une de votre région. » – Yseult Riopelle

Un souvenir heureux

Photo courtoisie.

Yseult Riopelle se rappelle que son père invitait souvent les membres de sa famille ainsi que ses amis à baptiser ses œuvres fraîchement écloses. Merveilleux jeu d’enfant s’il en est ! « Il pouvait donner des titres, mais souvent les titres étaient donnés en famille. Ça devenait un jeu ! Il menait une vie d’artiste et comme enfant, c’était notre vie aussi. Le premier jour d’école, les professeurs nous demandaient toujours “ que font vos parents ? ” Quand je répondais “ peintre ”, la maitresse pensait peintre en bâtiment… Mais pour moi, un peintre ne pouvait peindre que des œuvres d’art ! On baignait là-dedans, c’était la normalité… »

Riopelle et les oies

Le documentaire Les oies de Jean Paul Riopelle, du réalisateur Jean-Luc Dupuis, s’articule autour de la grande oie blanche, sujet de fascination du peintre Jean Paul Riopelle et motif récurrent dans son œuvre. Qualifié par son auteur de « poésie visuelle et sonore », le film réunit une impressionnante ribambelle de porteurs ayant gravité de très près ou plus subtilement autour du grand maître de la peinture : sa fille Yseult Riopelle, sa compagne Huguette Vachon, les artistes Guy Sioui et Marc Séguin, le collectionneur André Desmarais, le galeriste Simon Blais… et bien entendu les graciles volatiles. Le personnage central de l’opus est sans contredit l’oie blanche, omniprésente.

Un autre regard

Au Musée d’art contemporain, un tout autre regard sera jeté sur l’héritage du géant Riopelle avec l’exposition Un lieu de mémoire : contextes d’existence. La commissaire internationale, Irene Campolmi, a réuni cinq femmes artistes contemporaines – Jane Jin Kaisen, Linda Lamignan, Dala Nasser, Silvia Rosi et Samara Sallam – toutes issues de régions « non soumises à l’influence occidentale ». Les thèmes de la mobilité et de la migration teintent leur travail, mis en relief par quelques collages rarement exposés et réalisés par l’artiste dont le Québec et le monde célèbrent le centenaire cette année.

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museedecharlevoix.qc.ca

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