C’est arrivé près de chez nous

Par Emelie Bernier 4:03 PM - 20 avril 2021
Temps de lecture :

Courtoisie de la famille.

Elle s’appelait Carolyne. Avec un y. Je l’imagine faire gentiment cette précision, chaque fois que quelqu’un devait écrire son prénom. Elle ne prononcera plus jamais ces mots. Ni aucun autre. Il ne reste plus que ses proches affligés pour préciser la nuance. Repose en paix, Carolyne avec un y, parce que ta vie n’a vraisemblablement pas été de tout repos… Carolyne avec un y ajoute son nom singulier à la liste des femmes victimes de féminicide.

On en compte dix au Québec seulement dans les deux derniers mois.  Dix vies fauchées. Dix mères, sœurs, filles, cousines, amies assassinées ayant comme seul dénominateur commun leur genre féminin.

Comme si ceci pouvait expliquer cela. Mais rien n’explique l’abject et l’incompréhensible. Rien ne justifie la mort de Carolyne avec y et des autres.

À quoi ressemblait ta vie conjugale?

Si les conclusions de l’enquête en viennent à l’évidence, tes amours devaient être bien tumultueuses…

En regardant ta photo, tes beaux yeux verts et ton sourire avenant,  difficile d’y déceler les traces de la tempête. Tu devais mener ta
barque au milieu des vagues immenses sans flancher, pour protéger tes trois
petits matelots, pour ne pas inquiéter ta famille, pour croire, peut-être, que l’accalmie n’était qu’à quelques coups de rames…

En as-tu mangé, des coups, Carolyne avec un y? As-tu senti la colère s’abattre sur toi en forme de poings, de claques, de mornifles, de mots durs, de mépris, de regards noirs?

Le dernier coup aura été sec. Sans appel. Un coup de feu, à ce qu’on dit.

On a essayé de faire croire que tu avais toi-même mis fin à tes jours. C’est dans les films que ça marche, cette tactique, chose.

Je n’ai pas envie de nommer  celui qui est soupçonné d’avoir pesé sur la gâchette. Ça lui donnerait trop de crédit. Et je n’ai pas vraiment le droit, non plus. Même quand le doute n’est pas possible, il reste la présomption d’innocence. Jusqu’à ce qu’un juge prononce les mots accablants.

C’est délicat, ces histoires de meurtre. Délicat, mais surtout dégueulasse.

Carolyne avec un y. As-tu tendu la main? Ce tout petit geste aurait pu te sauver la vie. Un tout petit geste difficile, je sais bien.

Carolyne Labonté. Courtoisie de la famille.

Nommer la violence ne la rend que plus réelle, mais c’est aussi le seul moyen de la faire cesser sans y laisser sa peau.

Le seul?

Il en existe d’autres. Importants. Vitaux, même. Durables, aussi.

Pour éradiquer la violence faite aux femmes, il faut creuser profond, en déterrer les racines et les laisser sécher au soleil. Puis les pulvériser. Et les disperser au vent jusqu’à ce qu’elles disparaissent.

Mais comment?

Parents, en éduquant nos enfants. Garçons comme filles. Sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l’est pas. Sur le consentement, le respect, l’équité. Sur les 1001  façons de régler un conflit autre qu’un coup de poing sur la gueule.

Hommes, en ouvrant vos cœurs. Derrière les coups que vous donnez se cachent votre propre détresse et votre inhabilité à sortir le méchant autrement. La colère est normale, la
violence ne l’est pas.

Les gars, si un de vos amis ne va pas bien, soyez là. Et contribuez à mettre fin au machisme et à la misogynie en mettant le doigt dessus quand ils passent. Ce n’est pas cool, d’être macho, mon chum. C’est correct de pleurer. Ça se dit. Il faut que ça se dise.

Et si vous n’allez pas bien, parlez! Frappez dans un punching bag, allez courir, hurlez dans le bois, fendez des forêts s’il le faut, mais de grâce, laissez vos femmes en paix. 

Elles ne sont pas la cause de votre colère. Celle-là prend sa source dans vos tripes. Dans votre cœur malmené. Dans tout ce que vous taisez. Vous avez le droit de ne pas filer. Si ça vous écœure que ça vienne d’une femme, écoutez Étienne Boulay et David Goudreault. Ils vont vous le dire bien mieux que moi. Femmes, en ne tolérant plus aucune forme de violence. Ni verbale, ni physique, ni psychologique.

Même pas un petit «ferme la». Même pas un relent d’intimidation. Même pas une pichenotte. 

L’amour, l’amour,  c’est pas une raison pour se faire mal.  Bien au contraire. L’amour doit être doux. L’amour doit donner des ailes et l’envie de rentrer à la maison après la journée de travail.

Si c’est tout le contraire, il y a des ressources pour vous. N’attendez pas le point de non retour.

Société, en te levant et en agissant pour que cesse le carnage. En mettant en place des canaux pour que les femmes et les hommes puissent se sortir des eaux troubles.

En arrêtant de «procrastiner»! Le plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale de 2018-2023 est un florilège de bonnes intentions qui doivent se concrétiser au plus sacrant.

Au nom d’Elisapee Angma, Marly Édouard, Nancy Roy, Myriam Dallaire, Sylvie Bisson, Nadège Jolicœur, Rebekah Harry, Kataluk Paningayak-Naluiyuk, Dyann Serafica-Donaire.

Et de Carolyne, avec un y, Labonté.

Si vous êtes victime de violence conjugale : SOS violence conjugale au 1 800 363-9010 (ligne sans frais 24/7)

Si vous avez peur de commettre un acte de violence : Service pour hommes impulsifs et colériques de Charlevoix 418 665-3477 ou 418 435-0404.

Parce que ça n’arrive pas qu’ailleurs ni qu’aux autres.

Témoignages: Adieu Carolyne

Les proches et les amis de Carolyne Labonté pleurent son départ. Ses collègues, ses amis, ses proches et ses anciens professeurs louangent unanimement la jeune mère de famille. Enjouée, généreuse, elle ne laissait visiblement rien paraître de ses difficultés.

Ses anciens professeurs du Centre d’études collégiales en Charlevoix, où elle a complété sa formation en Techniques d’éducation spécialisée,  se  souviennent d’elle comme d’une jeune femme déterminée.

«Nous gardons tous un excellent souvenir de Caroline. Au cours des trois années où nous l’avons côtoyée, nous avons surtout remarqué  toute l’énergie et la  persévérance qu’elle mettait à sa réussite scolaire », note la responsable de la coordination départementale de cette formation au CECC, Diane Léveillé, au nom de ses collègues. «Caroline était une fille passionnée, intéressée et curieuse. Son désir de vouloir travailler avec des clientèles particulières ayant de gros défis était remarquable. Avec d’autres de ses collègues du CIUSSS, elle est devenue une personne de référence pour nos étudiants en stage », indique Mme Léveillé. Toute l’équipe a accueilli avec stupéfaction la nouvelle de son départ.

«Carolyne était dévouée, toujours de bonne humeur et pleine de vie. On ne pouvait ignorer sa présence! J’entends encore son rire retentissant et si contagieux. Je ne garde que de bons souvenirs, que ce soit au cégep, au travail ou dans diverses soirées», confie son amie et collègue Annabelle Boudreault.

 Sur Facebook, les témoignages traduisent toute la tristesse ressentie par ses proches. Sa collègue Sammy Jo Pelletier parle d’elle comme d’une « collègue plein de vie, toujours souriante, qui avait le cœur sur la main ». Son équipe de travail à la Résidence avec assistance continue (RAC) Racine a d’ailleurs orchestré une envolée de ballons pour la jeune femme. Mme Pelletier écrit n’avoir jamais détecté de signe de détresse chez son amie et collègue.

« À partir de ce soir et pour toutes les prochaines soirées où le ciel le permettra, une étoile de plus brillera au ciel. Mon acolyte des soirées d’été, ma « partner » de feux jusqu’aux petites heures, la plus « toff « de toutes nos soirées, s’est envolée pour un monde meilleur », écrit son amie Stéphanie Grenon.

Le deuil sera difficile. Mme Labonté laisse derrière elle, outre ses trois fils, toute une communauté sous le choc.«Elle veillera sur ses trois trésors qu’elle aimait tant et dont elle était si fière !», glisse Annabelle Boudreault.

Partager cet article