Le petit semeur d’étoiles

Par Émélie Bernier 4:24 PM - 14 janvier 2020
Temps de lecture :

Samuel Larouche avait 14 ans. Il rêvait de devenir ambulancier comme son grand frère, aimait faire du vélo avec ses potes de Saint-Urbain, du ski alpin et des vidéos rigolos avec sa cousine. Le joyeux petit homme avait des amis de tous les âges. Des amis qui le pleurent encore aujourd’hui et dont la tristesse a été ravivée par la clémence de la peine accordée à celle qui, par un beau soir de mai, a mis un abrupt point final à son histoire.

Comment vivre après avoir perdu un enfant? Submergée par le deuil depuis mai dernier, la maman de Samuel, Anne-Sophie Dubois,  n’a jusqu’ici trouvé aucune réponse réconfortante à cette question. Chaque journée est un brouillard où elle navigue à l’aveugle, entre la douleur, la colère et un ennui qui lui tord le cœur. Son horizon perpétuellement voilé de larmes, elle s’oriente de son mieux, cherchant des yeux l’étoile de Samuel.

 

« Mon petit semeur d’étoiles ». Anne-Sophie appelle ainsi son fils Samuel, décédé après avoir été happé à bicyclette par la voiture conduite par la chauffarde en mai 2019. Ce jour-là, sa vie a pris un tournant étourdissant. Et le cauchemardesque tour de manège ne s’est jamais arrêté depuis.

Le 8 janvier, avant que la sentence de l’accusée soit prononcée, Anne-Sophie s’est levée et a lu un long texte écrit à la main devant ses proches, le procureur, les journalistes, l’accusée… Ces 5 pages pleines de mots puisés à la source de sa douleur ont plongé la salle d’audience dans un émoi compact. Le temps s’est arrêté, un ange est passé.  Relatant sa propre peine, mais aussi celle de sa famille et des amis de son garçon, tous déboussolés par ce deuil insurmontable, Anne-Sophie a dit tout haut ce qu’elle vit tout bas depuis le 23 mai. «La mort de Samuel a laissé un trou immense dans nos vies. » Il n’avait que 14 ans.

Soigner pour se soigner

Devant l’audience muette, Anne-Sophie a raconté comment sa mère a dû la ramasser à la petite cuillère. « Ma mère de 71 ans a dû reprendre la quasi-totalité de ma vie en main. »

Comment elle-même a tenu à soutenir ses enfants, ses proches et les amis de son fils, dont ceux qui ont assisté, impuissants, à l’inconcevable. « Imaginez-vous un seul instant de voir votre ami projeté plusieurs mètres dans les airs puis retomber au sol sans vie. C’est tout sauf normal de vivre ça! »

Comment elle a tenté de court-circuiter son propre chagrin en aidant les autres à surmonter le leur… « Le fait d’avoir mis autant d’énergie à soigner les autres m’a assurément permis de tenir le coup… mais par ce fait même, j’ai tenté d’oublier, et d’endormir mes souffrances. »

Elle n’y est pas parvenue.

« Le 23 mai dernier, ma vie a totalement basculé (…) Une brèche s’est alors instantanément ouverte en moi comme si on venait de m’ouvrir les entrailles et qu’on m’en extirpait tous les organes. Au même moment, le sol se dérobait sous mes pieds et je perdais tous mes repères. Depuis… j’essaye tant bien que mal de me relever », a-t-elle lu, la voix tremblante, mais déterminée à aller au bout de son message.

 

Elle a raconté les nuits blanches et le cauchemar des réveils. Les pertes de mémoire. L’impossible concentration. La médication nécessaire pour tenir le coup.

 

Samuel et Anne-Sophie

«Depuis la mort de mon petit Samuel, je ne suis plus moi, je vis dans une sorte de dimension parallèle (…) Je ne sais plus qui je suis ce que j’aime ni même ce que je désire. Je me questionne sans cesse sur ma vie future. Est-ce que j’ai encore envie d’être infirmière et est-ce que je pourrai exercer ce métier au risque de devoir un jour donner des soins à [la femme qui a tué mon fils]? La réponse à cette question est facile : absolument pas. »

Le pardon viendra peut-être un jour, mais il est encore trop tôt, beaucoup trop tôt pour pardonner…

Se souvenir de Samuel

Si elle ressent « parfois » le goût de vivre, ces rares moments de lumière ne sont que passagers. Le gouffre s’ouvre toujours à nouveau. « Un rien me fait replonger dans cette souffrance : une chanson, une odeur, une certaine luminosité, une sirène de police ou d’ambulance… »

Anne-Sophie sait que Samuel ne reviendra pas, mais ça ne l’empêche pas de l’attendre et de se réveiller chaque matin en réalisant que son plus cher souhait ne sera jamais exaucé.

«Je devrai poursuivre mon existence avec des souvenirs, en me demandant à quoi mon fils ressemblerait… Je ne vivrai jamais ses premiers amours, son entrée au cégep, sa graduation, son mariage… je ne verrai jamais sa descendance », a encore lu Anne-Sophie, plongeant dans le puits sans fond de son désarroi.

L’accusée a plaidé coupable. Comme on n’a pu prouver hors de tout doute qu’elle conduisait avec les facultés affaiblies, le juge l’a condamnée à 3 ans de prison. Considérant le temps déjà écoulé derrière les barreaux, elle sera libre comme l’air dans 2 ans.

Anne-Sophie est indignée, mais résignée. Et si elle a accepté que j’écrive cette chronique aujourd’hui, c’est pour honorer la mémoire de son petit gars.

« Sam était toujours souriant! Il respirait la joie de vivre et il n’était jamais fâché! Il était très près de la communauté, autant les jeunes que les personnes âgées. Il avait une très grande ouverture d’esprit et était très tolérant face à la différence», raconte-t-elle, fière de cet enfant au bien trop bref passage sur terre.

 

Le cœur à la bonne place

A l’écoute, généreux, Samuel souhaitait devenir ambulancier comme son grand frère Mathieu pour venir en aide aux gens. C’est aussi pour ça qu’il avait signé sa carte de dons d’organes. « Un enfant de 14 ans qui prend lui-même la décision de signer sa carte du don d’organes, on ne voit pas ça souvent, avance sa mère. Il voulait pouvoir sauver des vies si un malheur lui arrivait ».

Ce geste réfléchi lui a permis, la sienne a peine entamée, de sauver deux vies. Un homme d’une cinquantaine d’années a reçu son foie à Toronto. Un jeune homme de Québec a reçu son cœur. Un grand cœur, à n’en point douter.

« D’autres humains pourront maintenant vivre des expériences et réaliser leurs rêves grâce à lui », se console Anne-Sophie. Chaque petite goutte de réconfort est bienvenue dans l’océan de sa tristesse.

Conscient précocement de la grande valeur de l’existence, Samuel avait-il eu le temps d’apprendre que la vie, en plus d’être précieuse, est éminemment fragile ?

C’est à la dure que tous ceux qui l’aimaient auront appris cette leçon.

Petit semeur d’étoiles, veille sur eux, car ils ont encore besoin de toi.

 

Partager cet article