Le point-virgule dans une vie

Par Brigitte Lavoie 4:00 PM - 6 février 2019
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Ça arrive. Nécessairement, c’est au cœur d’une phrase, puisque le point-virgule est un signe de ponctuation. Mais parfois, c’est aussi au cœur de la vie. La vie qui trimballe ses joies, ses difficultés, ses victoires et ses désespoirs.

Nous vivons telle une phrase; naissons avec une lettre majuscule; mourrons avec le point; vivons entre virgules. Nos phrases se voisinent, mais ne se ressemblent pas. Chacun d’entre nous est unique, mais écrit une histoire universelle. Celle d’un être humain. Tout le monde a un cœur, tout le monde a une tête et tout le monde fait passablement ce qu’il en veut. Et certains basculent. Pourquoi? Les causes sont claires ou obscures, mais la pente est raide et jamais tranquille. Le point-virgule dans la vie, c’est poser un genou à terre. Et ça arrive. Au plus grand des colosses comme au plus chétif. Ce n’est pas une question de « constitution » ou de portions de légumes. Et ça ne se guérit pas avec une tape dans le dos, une citation positive ou un coup de pied au cul.

Depuis quelque temps déjà, le point-virgule est sorti de la littérature pour devenir le symbole des gens qui ont râpé le fond pour différentes raisons de santé mentale, dont la toxicomanie ou une dépression. Certains se le font tatouer à l’intérieur du poignet. Il signifie un peu le point de bascule, l’avant et l’après. Ce moment où, dans une vie, le noir qui cherchait à gagner sur la lumière a perdu, mais a profondément ébranlé la structure de la phrase qu’une personne écrit. Le point-virgule est le symbole de celui qui sait le pire et connait l’espoir.

En littérature, quand on lit un texte et qu’on rencontre un point-virgule, la convention veut que le lecteur prenne une pause, un peu plus longue que pour une virgule, mais plus courte que pour un point. C’est à la fois du rythme, de la lenteur et de la progression. En littérature, l’utilisation du point-virgule est un art qui se perd. Dans une époque de phrases courtes et efficaces, ce signe de ponctuation exige une connaissance de la langue écrite et aime les phrases longues, plus lourdes ou difficiles à lire.

Comme dans la vie. Des vies pleines et précieuses, mais parfois difficiles à vivre et à comprendre, qui sont happées par des épisodes de dépression, par une maladie mentale. La phrase reste entière et importante, mais se complique et la pause est nécessaire. Temps d’arrêt! Point-virgule dans les vies pleines et précieuses. Point-virgule pour commander la force de la survie en attendant la suite et qui irrémédiablement pousse à continuer. Parce que la phrase n’est pas finie.

Dans la vie, comme au milieu d’une phrase, il y a toujours un après. Et dans une vie, le point-virgule sous-entend quelque chose de remarquable et de magnifique : un être humain a remonté la pente! Parce que la vie criait plus fort et qu’elle l’appelait vers le haut. Appelons ça du courage obligé. Et quel courage que celui de ne pas être fort, mais de vivre, un pas à la fois.

La semaine dernière, c’était la campagne de Bell Cause pour la cause. La journée où parler de maladie mentale est à la mode. Mais tous les jours de la vie, il y a des gens qui râpent le fond, qui posent un genou à terre ou qui s’attaquent à la remontée d’une immense côte des Éboulements armés seulement d’un tricycle sous un ciel de canicule. Ce n’est pas du marketing ni du sport, ce n’est pas joli à voir et ça dérange : c’est la vie qui lutte contre le désespoir.

Au moment où vous lirez ces lignes, Charlevoix sera en pleine semaine de prévention du suicide. Une semaine pendant laquelle on parle de promotion de la vie; de demandes d’aide; de prévention. Une semaine pendant laquelle on nous rappelle que des vies s’écrivent à tout moment, que chacune a une valeur inestimable peu importe son état et surtout que nous avons notre importance pour sauver notre vie et celle des autres. Une semaine pendant laquelle nécessairement, on pense à ceux qui ont interrompu leur phrase… Et aussi à tous ceux qui, courage oblige, écrivent des points-virgules.

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