Avant/Après

Par Emelie Bernier 8:41 AM - 25 octobre 2017
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Y aura-t-il un avant et un après #MoiAussi? Je le souhaite ardemment. Pour moi, pour elles, pour eux, pour mes enfants, leurs enfants, les vôtres. Pour nous.
Un souhait, un seul: que ce mot-clic qui a tant fait couler de larmes et d’encre signe enfin la fin de l’impunité.
Après cette tempête qui fait remonter à la surface tant de souvenirs malheureux enfouis sous mil couches de sédiments empilées à hue et à dia, plus personne ne pourra faire comme s’il ne savait pas que c’est déplacé de mettre sa main au cul de sa voisine ou son voisin, de sa cousine ou de son cousin de sa ou son collègue quand celui-ci ou celle-là ne veut rien savoir de ladite main.
À partir de maintenant, tout le monde sait qu’imposer du sexe non désiré à quelqu’un est non seulement immoral, mais c’est aussi un crime. Condamnable. Inacceptable.
On ne peut plus faire comme si. Et c’est peut-être, enfin, le grand réveil collectif qu’on attendait depuis beaucoup trop de lunes. Voire des temps immémoriaux. Si seulement cet éveil pouvait être planétaire…
Les affaires Weinstein, Rozon et Salvail font grand bruit de ce côté-ci du monde. « À force de vouloir semer à tout vent une graine non sollicitée, ils récoltent une tempête médiatique et une pendaison par le pénis bien méritées », dixit Boucar Diouf (à lire ici bit.ly/2zqMM5r)
Ces affaires grandement médiatisées changent la donne à leur façon, grâce avant tout au courage des victimes qui ont pris sur elles de fracasser le silence dans lequel elles avaient emmuré leur traumatisme. De cracher enfin ce caillou amer qui leur entravait la gorge. De faire front commun pour la juste cause.
Les écouter donne envie de pleurer, mais aussi de vomir. Et on sait qu’il y en a d’autres, des dizaines, des centaines, des milliers d’autres. Près de vous, trop près de moi.
Il importe de cautionner les dénonciations, d’où qu’elles viennent. Si en parler, c’est se libérer, alors criez-le sur les toits. Crachez le morceau, grattez le bobo, déboulonnez les statues de ceux qui ont osé saccager votre corps, votre cœur et votre âme.
C’est ce que fait Jean-François, nom fictif, dans nos pages cette semaine, des années après qu’Éloi Dauphin s’en soit pris à lui. Et je souhaite de tout cœur que ce long cri du cœur soit un pas en avant vers la reconstruction de «Jean-François ». Sans éclatement de l’abcès purulent de la honte, aucune guérison n’est possible.

Le cas d’Éloi

Tout le monde connaît Éloi Dauphin. C’est un peu la mascotte de Baie-Saint-Paul… À le voir comme ça, souriant sous sa casquette du Festif! ou sa tuque bariolée, toujours prêt à rendre service, on ne se doute pas. Éloi, derrière sa bonhommie, est un agresseur. C’est aussi un homme qui vit avec une déficience intellectuelle et un orphelin de Duplessis. Attendez avant de grimper au rideau…
Depuis quelques jours, quand je pense à tout ça, un bout de chanson me tourne et me retourne dans la tête. Un extrait de L’Escalier de Paul Piché.
«Pis les enfants c’est pas vraiment vraiment méchant
Ça peut mal faire ou faire mal de temps en temps
Ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler
Au fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend »
Sachez d’emblée que je ne cherche pas à excuser ce qu’Éloi Dauphin a fait. Car il l’a fait. Il l’a admis lui-même en plaidant coupable aux accusations qui pesaient contre lui. Ses gestes ont « scrappé » la vie de sa victime. Aujourd’hui, celle-ci porte en elle les stigmates d’une enfance volée : un affect « fucké » en tête de liste. « Jean-François » doit chaque jour apprendre à vivre avec sa honte rampante, sa mémoire souillée, son estime déflaboxée.
Mais si l’homme est un loup pour l’homme, il en est aussi le miroir. Qui sait ce qu’a subi Éloi Dauphin pour que son système de valeur lui permette de croire qu’il avait le droit de taponner un enfant, peut-être plusieurs?
La violence est un cycle, une grande roue, un cercle vicieux. Il faudra plus qu’un mot-clic pour y mettre fin, mais c’est un bon début.

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