Peuple debout

Par Emelie Bernier 3:45 PM - 4 octobre 2017
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Avant de plonger dans celle qui suit, j’avais écrit une autre chronique. J’y parlais de Mélanie Joly et de sa langue de bois, du gros passe-droit accordé à Netflix… Pour une fois, je m’étais attelée à la tâche un peu d’avance, histoire de ne pas me ramasser à la dernière minute avec un sujet à trouver et 600 mots pas trop sots à pondre.
Mais l’Histoire, justement, en a voulu autrement.
Comment passer à côté de la Catalogne ? Impossible.
La Catalogne, c’est le Québec qui parle espagnol. Ce n’est ni la Corée du Nord, ni la Russie, ni quelque pays malmené par quelconque dictature. L’Espagne, c’est l’Occident, la « civilisation », un pays qui a connu il n’y a pas si longtemps les dérives du régime franquiste et qui s’en est remis.
On était en droit d’espérer que le pays, ses élus, auraient retenu la leçon et n’oseraient replonger dans le chaos des années Franco. Mais c’était sans compter sur Mariano Rajoy, ce premier ministre qui s’est empressé de mettre l’armée aux trousses de civils qui voulaient seulement exercer un de leurs droits fondamentaux, le droit de vote, intimement lié à celui de l’autodétermination des peuples.
Au lendemain d’un référendum pacifique auquel il a souhaité donner des airs d’émeute et qu’il a réprimé dans une violence inouïe, Rajoy s’est empressé de clamer qu’il n’y avait pas eu de référendum sur l’indépendance de la Catalogne la veille. La quintessence du déni!
Ce n’est pas parce qu’on ne souhaite pas que quelque chose arrive et qu’on tente de le faire cesser à coups de matraque que ça ne se passe pas, si!?!
Les Catalans se sont tenus debout. Ils n’ont pas cédé à la peur et se sont présentés massivement aux urnes. Des familles ont campé devant les bureaux de vote, du moins ceux qui n’avaient pas déjà été mis sous scellés par les sbires de Rajoy. Les Catalans ont coché « oui » sur les bulletins de vote, du moins sur ceux qui n’avaient pas été détruits par ces mêmes sbires.
Des mamies ont mangé des volées parce qu’elles croient que la Catalogne devrait s’autodéterminer. Parce que c’était important pour elles de faire partie du mouvement, et elles ont eu bien le temps d’y penser. À peu près certaine qu’elles n’avaient pas prévu que voter représenterait un si grand risque… Mais elles y seraient allées malgré tout.
Mon amie Bianca Joubert, qui fait partie des nombreuses personnes qui ont réagi sur les réseaux sociaux, écrivait fort justement ceci : « pourquoi les hommes perdent-ils leur humanité quand on leur donne des bottes, un casque, une matraque, un gun, des ordres, un peu de pouvoir; et accessoirement, une paie pour utiliser tous ces accessoires ? »
On a vu les gardes frapper un mec en chaise roulante, bastonner des aînés, bousculer des gamins, lancer des femmes comme de vulgaires sacs de pommes de terre… Ils ont impunément cassé des bras, des nez et des gueules innocentes. Pourquoi ? Parce qu’on les avait investis d’une mission antidémocratique : « Puisqu’on a échoué à empêcher la tenue d’un référendum, prenons tous les moyens pour éviter que les gens votent ! »
Le plus odieux est le parti pris de la communauté internationale qui se range massivement derrière l’État espagnol, la bien nommée Union européenne en tête…
L’indépendance fait peur aux puissants car elle morcèle leur emprise. Étonnamment, l’attitude espagnole a fait pencher la balance vers un « oui », au référendum. Des tièdes ont été outrés de constater jusqu’où leurs leaders pouvaient aller et ont coché « oui » plutôt que « non » sur le bulletin.
Au Québec, ce référendum chaotique aura-t-il des échos ? Se saisira-t-on de ce désastreux exemple de gouvernance pour foutre la trouille aux plus frileux des indépendantistes ? C’est à suivre…
Pour l’instant, les regards sont rivés sur l’Espagne. Mercredi, quand vous lirez ces lignes, le leader catalan aura vraisemblablement proclamé l’indépendance, mais dans les faits, la route vers celle-ci ne fait que commencer. Et elle sera cahoteuse, douloureuse, éprouvante. Mais quelle conquête de la liberté ne l’est pas ?

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