L’achat ailleurs fait mal ici

24 mai 2013
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Des commerçants de Charlevoix s’inquiètent de voir la clientèle locale bouder de plus en plus les adresses régionales pour faire leurs achats à Québec et sur le web. Qu’ils s’agissent d’objets de premières nécessités, d’articles de sport ou de voitures, l’achat ailleurs fait mal… ici.

Johanne Dallaire tient boutique au centre commercial Place Charlevoix depuis 18 ans. À l’heure où vous lirez cet article, elle aura fermé les portes de la boutique ???, l’une des plus anciennes adresses de l’endroit, pour se concentrer sur sa seconde boutique de vêtements et d’accessoires pour enfants (Espace bébé).

« La conjoncture économique, avec la situation de l’assurance emploi, n’aide pas les affaires. Et je sens que les gens ne sont pas solidaires de l’achat chez nous. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de continuer dans la situation actuelle? Non », résume Mme Dallaire, résignée. « Nous avons connu des années où les gens étaient là. Maintenant, avec l’achat en ligne et Québec, les bonnes années sont derrière nous. Mais je pars la tête haute parce que je ferme dans de bonnes conditions, malgré tout. »

Des journées sans rien vendre ou presque, à attendre les clients, les commerçants des centres commerciaux de Charlevoix et du centre ville de La Malbaie peuvent vous en raconter. Et lorsque survient des imprévus, l’impact sur les affaires se fait sentir durement.

« Les gens nous prennent pour un dépanneur », image Serge Charlier de la boutique Les Trésors de Caroline (rue Saint-Étienne, La Malbaie). « Des gens rentrent ici, me disent qu’ils n’ont pas eu le temps d’aller chez Omer Deserre à Québec et m’achètent une toile, que j’ai en inventaire, au même prix qu’à Québec. Allez comprendre… »

Son épouse Caroline Pilote, en affaire depuis 22 ans à La Malbaie, comprend que les consommateurs aiment avoir du choix, mais explique qu’il est difficile de supporter un inventaire dans de pareilles conditions de marché. « Moins les gens achètent local, moins on peut acheter et tenir d’inventaire. Moins on a d’inventaire, moins les gens achètent local. Avoir un petit commerce en région, c’est déjà difficile, mais ce l’est encore plus avec les achats sur internet et les voyages réguliers vers la ville. »

Le courant ouest

La situation n’est pourtant pas unique à Charlevoix, fait valoir le président de la Chambre de commerce, Julien Dufour. « Nous sommes toujours en compétition. Mais des entreprises de détail ici arrivent quand même à bien performer. Le succès engendre le succès et les gens attirent les gens. La revitalisation du centre ville de La Malbaie aidera, et conscientiser la clientèle est important. »

En fait, le « courant d’achat vers l’ouest » est une réalité à laquelle même la région de Québec est confrontée, souligne le directeur général du CLD de la MRC de Charlevoix-Est, Guy Néron. « Il y aura toujours ce courant commercial, c’est comme ça depuis les postes de traite le long du Saint-Laurent. La question à se poser est comment on peut retenir le plus possible de clients ici. Le service après vente est une des réponses, tout comme attirer de nouvelles entreprises ici. Et au final, c’est le consommateur qui a le premier rôle à jouer en allant d’abord voir localement ce qui est offert. »

« Je fais vivre 17 familles », Éric St-Gelais

Selon Johanne Dallaire et plusieurs autres commerçants rencontrés dans le cadre de ce reportage, une prise de conscience des consommateurs locaux est nécessaire pour assurer le dynamisme de ce secteur économique dont plusieurs familles dépendent dans la région.

« Les gens ne sont pas conscients qu’achetez ici, c’est important », constate Mme Dallaire. « Les gens veulent avoir du service, mais ne nous utilisent pas. Bizarrement, j’avais des Montréalais qui venaient dans ma boutique et me disaient qu’ils trouvaient ici des choses qu’ils n’avaient pas chez eux… Les visiteurs nous disent que nous sommes accueillants, qu’ils ont du service avec nous, mais nos gens de Charlevoix ne sont pas dans nos boutiques. »

Caroline Pilote rappelle pour sa part que « quand un commerce ferme ici, ça fait mal à beaucoup de monde. Les grandes chaînes ne font pas faire leur comptabilité à La Malbaie, elles n’achètent pas leurs produits de nettoyage ici non plus. »

Le libraire du centre commercial Le Village, Bertrand Dardenne rappelle quant à lui que «si on veut que les librairies restent ouvertes, il faut acheter en librairie ». Et achetez ici, c’est miser sur le service, rappelle Sébastien Thibault de chez Hyundai. « On a un service plus personnalisé qu’en ville. Par exemple, des fois, ça fait 15 ans que les gens ont le même mécanicien pour leur voiture. En ville, ce genre de chose est impossible », souligne-t-il.

Dans le domaine de l’automobile, l’achat ailleurs frappe à coup de 30 000 $, rappelle le gérant de chez Honda Frank et Michel, Éric St-Gelais. « Des gens achètent leur voiture à Québec parce qu’ils sont convaincus d’économiser 100 $ ou 1000 $. Ils vont magasiner leur voiture en plusieurs fois, retourne la chercher et font faire leur entretien là-bas », expose M. St-Gelais, rappelant que magasinée dans le même mois, une voiture est vendue au final le même prix, ici ou ailleurs. « Les gens ne savent pas à quel point ils ont de l’impact sur l’activité économique locale. Ici, j’embauche 17 personnes. Un concessionnaire de voiture dans Charlevoix, ça doit avoir un impact sur 150 personnes autour. Je paie 45 000 $ de taxes municipales et j’achète ma publicité dans les médias locaux. Et vous achetez votre voiture à Québec parce que vous croyez économiser 100 $? Ah bon! Au bout de votre vie de propriétaire automobile, vous aurez économisez quoi, 4 000 $ avec vos voitures? Et moi, j’essaie de faire vivre 17 familles. »

Le directeur du CLD de la MRC de Charlevoix, André Simard, abonde dans le même sens : « Tout le monde doit aiguiser sa conscience. Nos commerçants paient des taxes dans nos Ville, ils sont acteurs de notre économie. »

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