Salut mononcle!

Par Émélie Bernier 3:53 PM - 5 septembre 2023 Initiative de journalisme local
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« Merci la vie! » -Jean Leblond Photo courtoisie Véronique Leblond.

Mon oncle n’était pas vraiment mon oncle. C’était plutôt mon grand-oncle. Le frère de ma grand-mère. Mais nous étions plusieurs à l’appeler simplement « mononcle », en un mot, sans espace, d’un seul souffle.  Peu importe la filiation. Depuis quelques années, à la faveur de l’élargissement du troupeau de petits enfants, mononcle était devenu papi.

Le vrai nom de ce fameux mononcle/papi était Jean Leblond.

Ce nom sonnera une cloche à plusieurs. Aux gourmands de tous acabits.

Jean Leblond était le cultivateur du Jardin des chefs. Et bien d’autres choses…    

Créateur de tableaux agricoles saisissants, il voyait en ses champs un canevas vivant et les abordait comme le peintre aborde la toile blanche. Mais il se considérait encore davantage pourvoyeur de matière première, de pigments délicieux pour ceux qu’il considérait comme les vrais artistes, ses amis chefs. « Je fournissais des couleurs aux peintres qu’étaient les chefs », avait-il confié en entrevue, l’heure de la retraite venue.

L’homme de culture, ami des Vigneault, Ferland et consorts, a vécu, pleinement, des dizaines de vies. Il a été tour à tour galeriste, tenancier de boîte à chansons, aubergiste, réalisateur, attaché culturel à la délégation du Québec à Paris (une aventure de quelques années partagée avec sa tendre moitié et leurs cinq petiots!)…

Il aurait pu demeurer frère dominicain (comme en témoigne une fameuse photo où il apparaît en aube dans le salon de la maison familiale), devenir ministre ou écrivain…

Mais Jean Leblond a choisi la paysannerie. Ou serait-ce plutôt le pays qui l’a choisi?

Tombé littéralement en pâmoison devant ce fameux plateau des Éboulements-centre, il eut la grâce divine d’y devenir acquéreur d’une maison ancestrale et il fit ce qu’il fallait pour s’y installer pour de bon. Laissant derrière les caméras, les soirées mondaines, la compagnie des érudits, il devint agriculteur. Ou fabricant de matériel d’artiste, comme il se plaisait à le dire.  

Le bleu des pommes de terre, l’or des betteraves et des pâtissons, la palette arc-en-ciel des bettes à carde, les pimpantes fleurs comestibles… Les chefs d’hier et d’aujourd’hui lui doivent un nuancier extraordinaire!

Artisan de la terre

Au temps des semis, ses paluches immenses devenaient agiles et vives comme un colibri.

Au contact de la terre, son caractère bouillant s’apaisait, car oui, « M. Leblond » savait s’emporter, bien de ses proches, amis et collaborateurs peuvent encore en témoigner.  

Son côté ogre s’attendrissait devant la naissance d’un cotylédon.

Dans sa serre, la musique jouait sans cesse. Les semis avaient bien le droit, eux aussi, à un peu de beauté! Je me rappelle bien sa déception quand le classique avait perdu sa préséance sur la chaîne musicale de Radio-Canada… Tout ce bruit moderne l’embêtait. Il lui préférait le silence.

Avec sa douce Catherine, « matante », Jean fut l’hôte des plus belles fêtes! J’ai la chance immense d’y avoir été la bienvenue. Je me rappelle de lui au bout de la table, imposant, toujours curieux des histoires de chacun, souvent en verve, heureux comme un roi devant sa cour, la bouche et le verre plein, le verbe fleuri, le sel à portée de la main…

Mais là où il régnait plus que partout ailleurs, c’était dans ses champs. Presque jusqu’à son dernier souffle, on pouvait le voir assis sur sa chaise entre les rangs d’ail, de tomates, de bettes à cardes, piquetés du rouge des coquelicots, de  l’orange vif des calendules, du jaune lumineux des tournesols…

Semer, repiquer, planter, sarcler, arroser, cueillir, goûter, partager. La ronde éternelle des étés de Papi.

Maraîcher des amitiés

Il savait également cultiver les amitiés. Il avait perdu récemment un grand copain, Jean-Jacques Etcheberrigaray, avec une aussi grande peine. Parti si jeune alors que lui-même, souffrant, condamné depuis belle lurette, n’en finissait plus de gagner des semaines, des mois de sursis.

La liste de ses amis envolés n’a d’égale que la liste de ceux qui le pleurent aujourd’hui.

Ses cinq enfants ont tous en eux un heureux mélange de ce que fut leur père. Sa pugnacité, son audace, sa créativité, son bagou, sa curiosité. L’amour du beau, du bon.

Quand est venu le temps de dire adieu, Jean a choisi le moment, la manière, mais surtout la discrétion. Il voulait se glisser sans bruit hors de la vie, sans interrompre le cours des jours de l’été. Sa saison préférée. Celle de son œuvre chaque année renouvelée. Des visites sur le perron. Des apéros. Des festins. Des bateaux sur le fleuve. Des chevreuils. Des oiseaux. Du jardin.

Comme il aimait la beauté!

C’est étrange d’écrire sur lui au passé. J’ai perdu un tonton, un papi, un ami.

Ses enfants ont perdu un père, ses petits-enfants un grand-père épatant. Sa douce, un amoureux.

Ce paysan cultivé, qui lisait religieusement Marianne, le Canard enchaîné et Libé, laisse dans le deuil sa tribu de sang, ses enfants et petits-enfants, leurs amoureux et amoureuses. Et parlant d’amour, il ne voudrait pas que j’oublie son épouse des 61 dernières années, sa Marie adorée,  la merveilleuse Catherine qui continue de veillée sur la pépiante couvée.

 « Mononcle » laisse également une innombrable quantité de neveux, vrais ou faux, orphelins soudain de celui qui fut un ogre au cœur tendre.

Comme le voulait le gentil géant, il n’y aura aucune cérémonie pour souligner son départ. Son corps redevenu poussière ira rejoindre les flots du fleuve, la terre des champs…

Son souvenir, lui, demeurera bien vif et bien vivant! « Merci la vie », disait-il souvent.

Vos témoignages de sympathies peuvent se traduire par un souper joyeux avec vos proches! Riez, mangez, buvez, et ainsi vous l’honorerez! Et surtout,  n’oubliez pas de garnir la tablée des si beaux légumes de saison…

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