Dre Johanne Liu porte le masque. Et vous?

Par Emelie Bernier 4:00 PM - 16 juillet 2020
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Sommité dans le monde de l’épidémiologie, la pédiatre Johanne Liu est de passage à Baie-Saint-Paul ces jours-ci. Elle collabore avec le Living Lab, qui réunit des résidents en médecine en les invitant à réfléchir aux soins d’urgence en région, spécifiquement en contexte de pandémie pour la phase en cours. Vendredi 17 juillet de 18h30 à 20h30 sur le site du Marché Public (devant l’Infirmerie de Maison Mère, au 63 rue Ambroise-Fafard),  Johanne Liu sera d’un événement mariant l’art,  la science, le politique et le communautaire dont le but est de promouvoir une pratique essentielle et très bientôt obligatoire en ces temps critiques : le port du masque.

Son regard sur la gestion de la crise actuelle est à la fois critique et indulgent.  « Oui, on aurait pu être meilleur, mais je pense qu’il faut relativiser. On est tous dans des scénarios inédits et tout le monde a une marge d’amélioration, mais il faut avoir une certaine indulgence. On est dans une courbe d’apprentissage difficile et stressante, notamment parce qu’ici, on n’a jamais vraiment fait face à de grandes épidémies », commente la médecin.

Le Québec et le Canada manquent « d’exercice pratique» en matière de pandémie,  ne peut-elle que constater. «Il y a quelques années, on a eu un peu de cas de SRAS.  On s’était beaucoup préparé, théoriquement,  pour la grippe porcine. Les gens étaient fébriles, mais on n’a pas eu l’éclosion attendue. Souvent, quand on n’a pas les cas attendus, tout ça devient un exercice théorique, mais la pratique, c’est ce que ça prend pour ajuster nos scénarios. Et c’est ce que la COVID apporte », dit la femme.

Présidente jusqu’en décembre dernier de Médecins sans frontières, Johanne Liu a été au front dans plusieurs batailles contre des virus dévastateurs. « Dans les 15 dernières années, on note une accélération et une multiplication des épidémies locales et régionales et des pandémies. On commence avec le SRAS en 2003, la swine flu (fièvre porcine), le MERS  (coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient), Ébola en 2014, la Zika en 2017-18 et maintenant la Covid », énumère-t-elle.

L’heure est à la prise de conscience collective, selon la docteure Liu.  « On est en train de mettre un lien entre tout ça et ça interpelle beaucoup les gens, dont les activistes écologistes, parce qu’on est en train de démontrer que la pression sur l’environnement est ce qui permet aux virus qui vivent dans un hôte biologique animal de sauter à l’humain et de se propager sur la planète. Il y a toute l’approche « One health », globale, à promouvoir et qui lie la santé animale, humaine et environnementale en un tout à protéger. »

Le masque, une habitude à instaurer

 « Il y a les paroles et les gestes », lance Dr Liu, lorsqu’on la questionne sur le port du masque. Et de passer de l’un à l’autre prendra du temps. «C’est quelque chose, adopter le masque. Il y a un processus d’adaptation et il est normal que ça prenne un certain temps pour qu’il y ait une adhésion complète, dit-elle. C’est un peu comme la cigarette. J’ai commencé mon cours de médecine et les patrons, sur les chariots qui transportaient leurs dossiers, il y a avait un cendrier ! Aujourd’hui, on ne peut plus fumer à moins d’être à plusieurs pieds de l’hôpital, le changement est intégré!»

On ne dispose cependant pas du même temps pour intégrer le masque dans les habitudes. «Le problème dans une pandémie ou une épidémie, partout que ce soit au Congo ou au Canada, c’est qu’il y a une compression au niveau temps, sur la décision et les gestes à poser. Et cette compression peut être problématique. Il faut accélérer l’adaptation », dit celle qui se réjouit que le décret obligeant le port du masque soit tombé. « On l’espérait fortement. Maintenant, ce n’est pas parce qu’il y a décret que ça va se « acter » entre vendredi minuit et samedi matin »

D’où l’événement de demain, à Baie-Saint-Paul, pour promouvoir le geste en impliquant tant les artistes que les élus, les scientifiques que la communauté, et auquel participe Dr Liu.  « L’objectif est de mettre en avant les propos scientifiques sur le port du masque et toutes les raisons de le porter étayées à maintes reprises.  En gros, le port du masque diminue la transmission et non, ce n’est pas parfait, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le porter. On parle entre 10 et 30% d’efficacité, mais concrètement,  si on a  10 lits de soins intensifs et que ça diminue la transmission de 10%, si une 11e personne a besoin d’aller aux soins intensifs, c’est ce lit  que le masque a permis de sauver.  Il faut que les gens comprennent que ça fait une sacrée différence,  trouver des exemples qui vont parler aux gens, auxquels ils vont pouvoir s’identifier », insiste Johanne Liu.

Elle souhaite évidemment que la population se mobilise. L’activité de demain poursuit ce même objectif. « On a essayé de faire le mariage de la science et l’art pour promouvoir un geste médical et politique qui va faire une différence dans la transmission de la covid 19 dans cette belle région », dit-elle. Le message sera porté bien au-delà de l’événement. « Pour avoir faire de la réponse d’épidémie partout dans le monde, ça prend des champions locaux qui s’approprient le message et en deviennent les porteurs de drapeau. Ce sont eux qui connaissent leur communauté, qui adaptent le message pour qu’il soit bien compris. Nous les accompagnons, mais eux vont rester et continuer de porter le message », analyse la médecin.

Charlevoix s’en sort bien… jusqu’ici

A peine plus d’une douzaine de cas ont été identifiés dans la région depuis le début de la pandémie. La fermeture des limites régionales a certes contribué à ce bilan, selon la Dr Liu, mais elle n’est pas son premier choix. « Ça s’est fait, des cordons sanitaires, des fermetures autour de certaines régions, mais on ne le priorise pas car la mobilité est importante pour l’économie et encore plus dans des pays moins nantis où fermer des routes peut être catastrophique. Ce sont les autorités locales qui décident, mais à Médecins sans frontières, ce sont des décisions qu’on encourage moyennement car elles ont un coût important. Si on le fait, que ce soit le moins longtemps possible », dit-elle.

Depuis 25 ans, la DR Liu côtoie des épidémies. «J’ai fait des réponses aux épidémies dans des endroits beaucoup moins nantis que le Québec et chaque fois, c’est une très grande leçon d’humilité. Ça ne se passe jamais comme on pense et chaque fois, je me prends une claque. La seule certitude que j’ai eu, ce sont mes incertitudes », lance la médecin qui constate qu’au Québec, cette humilité fait parfois un brin défaut. « Au Québec, on avait très confiance d’avoir passé le cap avant Pâques et bang, la crise dans les CHSLD est apparue. C’est extrêmement important d’être humble.  Les épidémies n’ont pas de pitié. Elles frappent partout, durement et où tu auras un chaînon faible, il va casser», lance la médecin.

La Dr Liu ne craint pas tant une seconde vague  que des éclosions ici et là en région avec la mobilité liée vacances.«On doit être prêt a toute éventualité.  Le système devra être prêt car la population ne pardonnera pas qu’on ne le soit pas», avance-t-elle. Cependant, elle croit que tous doivent comprendre l’importance d’appliquer sans broncher les mesures sanitaires prescrites et de maintenir un climat social sans animosité. « Il y a une conscientisation à faire auprès des visiteurs et des personnes ici localement. On vit dans un écosystème où tout est lié. C’est une question de respect et de civilité.  Tout le monde doit s’éduquer et faire preuve de tolérance et de responsabilité. Oui, le système de santé doit être prêt, mais on s’attend aussi à la population fasse sa part. Le port du masque en fait partie», conclut-elle.

 

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