Une histoire d’Aurore

Par Émélie Bernier 3:30 PM - 7 mai 2019
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Il y a des gens qui ne sont tout simplement pas faits pour être parents. La biologie en a décidé autrement, mais vient l’enfant et la réalité crue les rattrape. Ils n’ont pas cet instinct qui pousse la vaste majorité des mammifères à protéger leurs petits, à veiller non seulement à leur survie, mais à leur bien-être. 

Toi. Petite Aurore des temps modernes. Tu fais les manchettes de tous les journaux, de toutes les télévisions, de toutes les radios. Dans ce tumulte, je voudrais pouvoir te lire une histoire. Ou réécrire la tienne.

Cette fois, elle serait belle, avec tout plein de personnages attachants et aimants. Avec des pique-niques, des promenades, des repas en famille, des sourires, de la lumière, des étoiles qui brillent, des nuits sans cauchemars et des matins joyeux.

Et très très loin, tout au bout des milliers de pages, un happy end comme dans les films qui finissent bien.

Avant que le livre ne se referme, tu aurais eu le temps de vivre une belle vie, de découvrir tes passions, de t’accomplir, de tomber amoureuse, de devenir une maman imparfaite comme toutes les mères, mais aimante, puis une grand-maman aux cheveux blancs, avec toujours ce petit sourire espiègle, celui qui orne tes dernières photos.

Mais ça n’arrivera pas. Tu es déjà morte.

Et la mort, c’est bien connu, est irréversible. On aura beau taper sur les doigts de tous ceux qui, de près ou de loin, ont eu un rôle à jouer dans ton épouvantable histoire, ça ne changera rien. On aura beau faire rouler des têtes, au figuré évidemment, ça ne ramènera pas la vie dans ton petit corps meurtri. On aura beau déchaîner notre haine et notre colère sur les réseaux sociaux, toi, tu n’auras plus jamais de voix au chapitre.

Tu es morte. Pour toujours.

Tu ne le sais pas, tu ne le sauras jamais, mais ta mort a fait du bruit, beaucoup de bruit. Toi qui n’as jamais réussi à te faire entendre, tu as laissé derrière un monde qui crie ton nom.

Tu es un symbole. Celui de l’échec monumental d’une société censée protéger ses petits.

Je pense que le Québec n’avait pas été aussi indigné depuis la folie meurtrière du docteur Turcotte. Tant mieux si tu n’as jamais entendu parler de lui. Ça t’aurait sûrement empêchée de dormir la nuit. Quoique… Pas sûre que tu n’aies jamais très bien dormi…

Ça fait mal d’imaginer ton bref passage sur Terre. La peur au ventre. Les bleus au cœur. Ce n’est même pas une vie.

Et nous voilà devant ta mort, impuissants, indignés.

L’indignation, c’est bien, mais l’action, c’est bien mieux. J’espère que ta fin sera le début de quelque chose, qu’elle justifiera les moyens, comme le dit le proverbe.

Tu es tombée dans une craque d’un système faillible et il ne faut pas tant blâmer les personnes qui le tiennent à bout de bras que le système en lui-même. Les ressources ne suffisent pas à colmater les failles pour éviter que des petits êtres humains comme toi s’y cassent le cou.

Ton sort est atroce et remet en question tout ce système de bric et de broc où bien des gens s’investissent corps, cœur et âme. Ce serait quand même triste que ceux qui se démènent du mieux qu’ils le peuvent pour éviter ce sort à d’autres soient cloués au pilori.

 

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