Chronique Brigitte Lavoie: Là-bas et icitte, dans un hôpital près de chez vous

Par Brigitte Lavoie 6:31 AM - 28 novembre 2018
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L’urgence de l’Hôpital de Baie-Saint-Paul a fait jaser en raison du passage d’une journaliste du Journal de Québec.

Dans notre petite vie de Charlevoisien sans histoire où patienter deux feux de circulation est un embouteillage, se faire dire par des gens de la grande ville que le nouvel hôpital de Baie-Saint-Paul est à moitié vide et que les urgences sont presque désertes, ça nous fait sourciller.
« Ben là, nos urgences, elles ne sont pas vides tous les jours. On y attend notre tour comme les autres Québécois. Pis des fois c’est long. J’ai déjà attendu six heures! » Chut, chut les amis, vous allez éventer notre secret de polichinelle! Celui d’un système de santé qui, certains jours, est encore à dimension humaine.Comme le chante Fred Pellerin, entre « là-bas » et « icitte », il y a de la marge. « Là-bas la neige est brune, icitte la neige est bleue ». Vise Charlevoix s’époumone d’ailleurs à nous le faire voir en caractère gras. La qualité de vie, c’est icitte, paraît-il. Et même à l’urgence. C’est à se demander comment ça se fait qu’il y ait encore des gens surpris. Comme si au-delà du boulevard Sainte-Anne, la vie n’existait pas. Youhou, il y a des gens qui vivent ici! Que dis-je, icitte.
Là-bas, en ville, quand tu te pointes à l’hôpital, tu prends ton mal en patience. Tu paies ton stationnement, tu marches longtemps, tu fais la file et tu prends ton trou d’être humain avec un numéro de dossier qui a besoin de soins de santé. Icitte, en région, c’est un peu différent. Tu te stationnes gratuitement devant la porte, ou presque, tu attends ton tour en jasant avec le voisin et si t’es chanceux, le médecin de garde connaît ton nom parce qu’il a accouché ta femme ou parce que vos enfants s’aiment bien à l’école.
Entre là-bas et icitte, l’expérience « hôpital » est loin d’être la même, avouons-le. Et le choc culturel, il est dans les deux sens. Si tu arrives d’une grande ville québécoise bondée et que tu te présentes à la nouvelle urgence de Baie-Saint-Paul pendant l’accalmie de virus de saison, tu penses sans doute que l’argent est jeté par les fenêtres. Ça peut donner le même effet si tu te pointes à Cowansville où l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins a lui aussi une magnifique urgence restaurée prête pour la cohue, mais sous-peuplée certains jours d’été.
D’autre part, quand tu es Charlevoisien et que tu atterris dans un hôpital à Québec, le choc est tout aussi brutal. Quand tu passes les tapis d’entrée détrempés, que tu traverses les grandes salles d’attente bien garnies de patients et les corridors avec files indiennes à tous les 100 mètres, c’est bien possible que tu penses que l’humanité tire à sa fin, que notre système de santé est un désastre et que tu vas faire tout ce que ton médecin te prescrit pour ne plus jamais avoir à remettre les pieds dans un de ces hôpitaux urbains.Là-bas, en ville, il y a partout des sections d’hôpitaux en rénovation avec des fils qui pendent du plafond. La maternité a des chambres privées payantes, les coins de plancher sont gris et les rampes sont usées même si personne n’ose les toucher. Et il y a tellement de gens malades au mètre carré qu’on a l’impression que chaque patient se sent insignifiant et se contente d’attendre son petit tour à lui.
Icitte, en région, la terre tremble plus de 150 fois par année, alors on a un hôpital tout neuf et un autre rafistolé supposé tenir debout en cas de grand séisme. Icitte, on a les services essentiels de base et des ambulances qui filent vers Québec quand ça se corse. Icitte, les enfants viennent au monde dans des chambres individuelles non facturées aux parents.
Mais icitte, quand t’as besoin de voir un médecin spécialiste qui ne vient pas assez souvent en campagne pour te sauver l’organe, tu te lèves de bon matin, tu prends une journée de congé de travail et d’enfants, tu roules vers Québec et ses embouteillages de voiture et tu prends ton petit trou d’être humain dans une salle d’attente bondée. Et là, entouré de toute cette chaleur humaine enrhumée, tu te dis que c’est quand même tout un privilège de vivre loin de tout ça… et d’avoir un hôpital tout neuf à moitié plein.

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