Chronique de Brigitte Lavoie: Du « cœur dans les affaires »

Par Brigitte Lavoie 10:47 AM - 3 novembre 2018
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Il y a encore des gens qui mettent du cœur dans leurs affaires.

Au-delà de l’expérience d’achat et de l’objet, c’est ce qui reste au bout qui compte. Et c’est nécessairement ce qui fera toujours un peu la différence et qui fait souvent défaut à certains commerçants de ce monde. Car même le plus structuré des services à la clientèle, le plus beau sourire gelé de vendeur, le rabais multicolore, le plus joli des paquets ou le plus stylé des sites internet transactionnels n’arrive souvent pas à combler l’impression de vide d’une transaction sans complicité. Acheter pour acheter, on s’en lasse.
Récemment, j’ai acquis des pneus d’hiver usagés et ça faisait un bail que je ne m’étais pas autant amusé en achetant un truc utile. Moi qui ne connais rien à la mécanique ni aux pneus, je me suis retrouvée passé l’heure du souper dans un de nos villages au nom de Saint à jaser de kilométrages et de driving shaft sur le perron d’un petit garage indépendant avec un sympathique monsieur habillé en Big Bill et coiffé d’un bonnet de laine. Un langage coloré, une expérience de vie enrichissante, des expressions à faire sourire même le plus taciturne des clients. Si l’affaire n’avait pas été négociée au téléphone par ma douce moitié, j’aurais sans doute payé le plein prix, et même pourquoi pas un peu plus, compte tenu de ce sympathique personnage.
Le gentil monsieur au bonnet m’a conseillé d’aller chez un collègue à l’autre bout du comté pour l’entretien de ma voiture. « Tu vas voir, la cour ne paye pas de mine, mais quand tu entres dans le garage, il y a là un grand homme avec tout un cœur. » Il a renchéri : « Ici aussi, on met du cœur dans les affaires. On s’arrange pour que tout le monde ait son compte. Nous et le client. » Ça se sentait bien avant qu’il ne le dise. Une mission d’entreprise simple, mais qui impose le respect. Tu adhères et c’est tout, parce que ça a tout son sens. Et quand tu jettes un œil tout autour, au garage propret et sans extravagance, à la maison fière sans prétention qui a élevé une famille, tu te rends compte que c’est clair qu’ici, tu paies pour des gens, pas pour du clinquant.
Et là, le petit miracle opère : ton expérience d’achat passe le cap de l’objet et s’accroche à l’humain croisé dans le détour de la transaction. La satisfaction ou la déception se passe d’ailleurs souvent entre quatre yeux, que tu sois sur un vol Montréal-Paris ou au dépanneur du coin. Tu as beau avoir passé des heures à choisir ton canapé et être tout content de t’y affaler, tu te souviendras aussi du préposé qui t’a répondu ou ignoré, de son ton, de son attitude générale, de son sourire, sincère ou forcé. J’ose croire qu’encore aujourd’hui, même quand on est pressé et exaspérant, il y a de la place pour du cœur, quelque part entre le porte-monnaie et la caisse enregistreuse.
La réaction des enfants est aussi assez instructive lorsqu’il est question de consommation et d’expérience d’achat. Tu les entraînes dans une grande surface et ils veulent tout acheter. Le désir de posséder devient insatiable : mission accomplie pour les as du marketing. Après les emplettes, où les choix supposément déchirants se sont succédé, tu ressors avec des gamins frustrés de tout ce qui n’est pas dans le panier. Et là, petit arrêt au café du coin. Les gamins deviennent sereins et sages, patientent pour un chocolat chaud et pour leur conversation avec le commis devenu ami qui leur fait une fête avec un nuage de crème. Un commis qui a sans doute comme mission lui aussi, peut-être même sans le savoir, de mettre « du cœur dans les affaires ».

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