Prières pour les « enfants invisibles »

13 avril 2012
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« À 11 ans, je voulais mourir », confie Maude*, dont l’enfance a été assombrie par la maladie mentale de ses parents. Si elle accepte de raconter son histoire, c’est pour convaincre les plus grands que les enfants vivant une situation semblable à la sienne ont besoin d’aide et de support.

Par Brigitte Lavoie

Être enfant d’un parent atteint d’une maladie mentale, c’est de « l’inconnu » et « tellement de souffrance », résume Maude. « Nos enfants, on leur donnerait la lune. Alors pourquoi on ne leur offre pas de l’aide lorsqu’ils vivent ce genre de situations? »

Enfant, Maude était une première de classe « pour que son père l’aime et aille mieux ». À la maison, elle préparait les repas, supervisait son frère et sa sœur plus jeune, donnait les bains, s’assurait qu’ils ne fassent pas trop de vagues « pour éviter les crises ». La situation familiale demandait une certaine délicatesse : ses parents souffraient de maladie mentale. Troubles anxieux, paranoïa chronique et schizophrénie étaient au menu quotidien où séjournaient crises, violence verbale et alcoolisme.

Parce que le sujet était tabou, Maude ne connaissait pas la maladie de ses parents. Et elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour que tout aille mieux sans savoir ce qui n’allait pas. « C’était comme toujours marcher sur des œufs, sans savoir quand ça allait éclater », raconte-t-elle. « Les enfants dans ce genre de situation n’ont pas d’enfance. Ils vivent de la culpabilité, du désespoir. Ils ont une très grande loyauté envers leurs parents avec le sentiment très fort qu’ils peuvent les guérir. Mes parents faisaient leur possible, mais ils comptaient beaucoup sur moi. Lorsque j’essayais d’en parler à quelqu’un, je n’étais pas prise au sérieux. Ce n’était pas une affaire d’enfant. Je suis devenue très isolée socialement, j’avais l’air négligée… Tout ça, ce sont de petits détails anodins dans la vie, mais pour un enfant… J’étais rejetée par mes compagnons de classe et j’ai subi de l’intimidation. »

Les timides confidences de la fillette à des adultes suscitent peu de compassion ni proposition d’aide. « Ce sont les enfants invisibles. Ils prennent beaucoup de responsabilités sur leurs épaules. À 11 ans, j’étais épuisée. Ça demandait tellement… Je voyais l’avenir et je me disais : c’est ça la vie? Je ne veux pas. Je voulais mourir. »

« Heureusement! », un enseignant entendra alors la souffrance de la fillette. De la psychologue de l’école à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), Maude et sa famille recevront une aide salutaire qui prendra la forme de différents services et suivis à la maison. Un souffle d’espoir pour la jeune fille. « C’est tellement de souffrance pour un enfant. C’est tellement tabou. C’est de la souffrance jusqu’à l’âge adulte », confit-elle. Aujourd’hui, cette femme charismatique et pétillante admet « donner le change, comme quand j’étais jeune », avouant être hantée par les vestiges d’une enfance qui n’en était pas une. Tout comme son frère et sa sœur.

C’est pourquoi Maude a deux prières à adresser aux adultes gravitant dans l’entourage d’enfants ayant un proche atteint de maladie mentale. La première : dire la vérité aux enfants. « Lorsque j’ai deviné ce que mes parents avaient, j’étais adulte. J’avais 30 ans quand j’en ai parlé ouvertement avec mon père », raconte-t-elle. « Lorsque tu es petit, tu n’as pas de mots à mettre dessus. Le non-dit, c’est pire que la vérité. C’est trop lourd à porter pour des enfants » alerte-t-elle, rappelant que les enfants n’iront pas demander de l’aide comme le ferait un adulte et que l’entourage doit veiller sur eux.

Et sa seconde prière est la suivante : « Si vous (adulte) pouvez faire quelque chose, faites-le. Ça ne changera pas tout, mais ce sont de belles graines qu’on va semer dans la vie de ces enfants. Dans le fonds, ce qu’on a besoin, c’est de l’espoir. »

Pour en savoir plus sur les maladies mentales et les services disponibles pour les enfants ayant un proche atteint, on communique avec La Marée (665-0050, www.lamaree.ca).

 

* Le nom a été changé pour préserver l’anonymat.

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