Les Charlevoisiens et le Club Med… au théâtre?

Par Jean-Baptiste Levêque 7:00 AM - 3 septembre 2023
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Caroline Tosti et Laurie Léveillé en plein pitch du projet Haut les mains. Photo Guillaume Boucher

Les complexes touristiques dans Charlevoix, comme le Club Med ou le projet géoLAGON, n’ont pas fini de faire jaser, peut-être même sur une scène. Trois artistes se penchent sur la question de leur effet sur la population locale dans un projet de pièce de théâtre documentaire.

Laurie Léveillé est autrice, Zoé Boudou et Caroline Tosti sont comédiennes. Elles se sont rencontrées à l’École nationale de théâtre du Canada. Un jour, la compagnie de théâtre documentaire Porte Parole lance un appel de projets pour une soirée de pitchs, qui consiste à présenter un projet devant public en 10 minutes.

« On s’est dit : on va appliquer aux Pitchs Porte Parole. Ils offraient de chapeauter cinq projets pour une soirée de pitch devant plein de gens du milieu. C’était une occasion en or d’essayer quelque chose », se
rappelle Laurie Léveillé.

Les trois artistes remuent leurs méninges et le sujet de l’impact du développement touristique sur la population locale sort du lot.

« Je ne suis pas particulièrement pro-resort dans la vie. Je savais qu’il y avait un Club Med dans Charlevoix. Ça a amené toute une réflexion sur la place du tourisme au Québec et à l’international, notre rapport au voyage, depuis la pandémie en particulier, depuis la crise climatique aussi. Ce sont des réflexions qui m’habitaient », évoque l’autrice.

La première édition des Pitchs Porte Parole a reçu une soixantaine de propositions. Celui de Laurie, Zoé et Caroline fait partie de la courte liste des projets retenus. Un important travail de collecte d’informations débute alors.

Enquête dans Charlevoix… et ailleurs

« On est allé trois jours dans Charlevoix. On a rencontré différentes personnes : des gens au hasard, des travailleurs du Club Med, canadiens et étrangers, des gens qui avaient travaillé par le passé au Groupe Le Massif, et des personnes qui avaient émis des questionnements face au Club Med, sa construction et ses retombées environnementales », explique Zoé Boudou.

« Une des choses qui s’est dégagée de nos discussions, c’est qu’il y a un fort attachement à la nature et aux paysages de Charlevoix. Un projet comme le géoLAGON, c’était assez unanime que ça ne ressemble pas à Charlevoix. Pour le Club Med, c’était plus partagé. Certains disaient : j’ai l’impression de perdre ma montagne, mais c’est quand même une bonne chose », poursuit la comédienne.

« Ce qui m’a surpris, c’est à quel point c’est polarisant, parce que les gens ne sont pas contre un développement touristique, mais dans le respect de la région », ajoute Laurie Léveillé. « On a évidemment contacté le Groupe Le Massif. Le but est de ne pas avoir une approche partisane d’un côté ou de l’autre. On a des opinions, mais ça ne change pas le processus d’enquête. »

Les documentaristes se butent toutefois à un refus de l’entreprise. « Mais si on continue, on aimerait ça rencontrer les promoteurs », affirme Zoé Boudou.

Pour mieux comprendre le développement touristique dans son ensemble, elles font une revue de presse des 25 dernières années du Massif. « On a élargi nos recherches à d’autres projets touristiques ou d’autres développements immobiliers et sur la manière dont la région recevait les touristes. On s’est donc aussi intéressé au cas du géoLAGON », mentionne-t-elle.

Les trois jeunes femmes questionnent enfin Mohamed Reda Khomsi, professeur et directeur des cycles supérieurs en tourisme à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, et une étudiante qui réalise sa thèse sur la gestion des grands projets touristiques au Québec.

« En général, comment on développe le tourisme? Qu’est-ce que ça fait au niveau social, économique et environnemental dans une région, dans une communauté? », sont les grandes questions qui les animent.

Le sujet de la pièce a touché et choqué le public présent aux Pitchs Porte Parole. Photo Guillaume Boucher

Haut les mains

Les trois artistes titrent finalement leur projet Haut les mains, en référence à une chanson « Crazy Signs » typique du Club Med. « L’angle qu’on a voulu prendre, c’est : est-ce qu’on est en train de se faire « hold-uper » le territoire québécois au profit d’intérêts étrangers ou capitalistes qui font de la nature un produit? », résume Zoé Boudou.

Les trois amies ont « pitché » leur projet en mai dernier, à Montréal. « On n’a pas gagné, mais on est quand même arrivé haut dans les votes du public. On a reçu vraiment beaucoup de commentaires très positifs. Il y a des gens dans la salle qui étaient soit choqués, soit touchés. Certains venaient de Charlevoix », raconte Laurie Léveillé.

Les trois jeunes femmes en sont maintenant à l’étape d’appliquer dans différents programmes de production ou de bourse afin de développer davantage leur projet de pièce. La direction artistique que prendra celle-ci n’est pas encore définie.

« Ça risque de prendre la forme d’une enquête », indique toutefois Laurie Léveillé, en cohérence avec leur propre démarche. « Ce sera important d’avoir sur scène les vraies paroles des personnes qu’on a rencontrées, non seulement parce que c’est du documentaire, mais aussi parce qu’on n’est pas trois portes-paroles. Il faut leur laisser la place verbalement. »

Et les trois jeunes femmes comptent bien retourner dans Charlevoix pour approfondir leurs investigations.

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