REPORTAGE: Les autistes: une main-d’œuvre en or

Par Karine Dufour-Cauchon 3:00 PM - 13 octobre 2021
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Notre journaliste a suivi Kilian et Jérémy dans leur quotidien, ce qui lui a permis d’apprécier les bienfaits de cette intégration, autant pour les jeunes adultes que pour les entreprises où ils travaillent.

Avec leur différence, les autistes sont une main-d’œuvre en or. C’est ce que deux entreprises de Charlevoix constatent alors qu’ils ont fait une place à ces employés dans leurs rangs. Le journal vous propose des portraits de Kilian et Jérémy, différents et travaillants!

Jérémy Lavoie et Kilian Roussel ont 18 ans. Ces jeunes adultes travaillent dans deux entreprises bien connues de Charlevoix-Est: l’usine Fibrotek de Clermont et le restaurant McDonald’s de La Malbaie.

Leur tutrice à l’École Secondaire du Plateau, Julie Dion, ne pouvait passer sous silence les exploits d’intégration de ces deux jeunes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Comme le prévoit leur programme scolaire, les deux garçons sortent de la classe trois jours par semaine.
Mme Dion a 12 étudiants dans sa classe adaptée. De ce nombre, sept font un stage qui les prépare au marché du travail.

Kilian et Jérémy, plus vieux, sont les deux seuls à travailler à l’extérieur de l’école. Les cinq autres sont intégrés aux équipes de travail de la conciergerie et de la cafétéria.

Le programme se nomme Formation préparatoire au travail adapté ou modifié (FPTA).

Kilian, Jérémy et Mme Julie

Jérémy et Fibrotek

La manufacture spécialisée dans la fibre de carbone a fait une place à Jérémy dans l’entreprise en 2020. Trois jours par semaine, le grand gaillard s’occupe de la tâche très importante de «rouler des bandes de carbone», soit des lacets. Une fois bien roulées, les bandes noires pourraient être empilées sans soin particulier. Jérémy se fait toutefois un point d’honneur de les agencer minutieusement sur la table.

Il s’agit d’une des tâches qu’il accomplit. Son superviseur, Marc Boily, témoigne que l’aide de Jérémy est précieuse et appréciée au sein de l’équipe. Le gestionnaire de la finition et de l’assemblage travaille chez Fibrotek depuis plus d’une dizaine d’années. Il avoue qu’il «en prendrait plus, des employés comme cela.»

«Y’a beau être quatre heures moins dix, il est toujours à l’ouvrage. Il fait plein de petites tâches essentielles. Il n’est pas limité. Il ne faut pas trop en montrer en même temps pour être sûr que chaque chose est bien comprise. Par contre, on n’a tellement pas besoin d’être toujours là! On lui montre au début, et après, on ne s’en occupe pas. Moi, j’en prendrais deux, trois autres, des comme ça! Ce n’est pas tous les jeunes de nos jours qui veulent le faire. Il est travaillant et très habile», déclare-t-il.

Kilian dans la cuisine du McDonald’s

Les employeurs de Kilian Roussel ne sont pas des inconnu: ses parents l’ont intégré dans les rangs d’une de leurs entreprises, le restaurant McDonald’s de La Malbaie.

Le duo, également propriétaire des restaurants de Baie-Saint-Paul et de Saint-Anne-de-Beaupré, se fait un point d’honneur d’embaucher des employés «différents». À La Malbaie, quatre membres de l’équipe ont un TSA, une déficience intellectuelle ou une condition particulière.

«L’entreprise a un devoir moral de représenter la société, soutient M. Roussel. C’est normal que l’on accueille des gens différents. Il y a un surcoût, en tant qu’entrepreneur, au moment de la formation. Ça peut durer deux à trois fois le temps requis, mais une fois que cette étape-là est passée, que l’on a travaillé sur tous les problèmes d’intégration et que tout est bien expliqué à l’employé et aux collègues, ce sont des travailleurs que l’on devrait tous rechercher», dit-il.

Kilian Roussel et sa mentor, Guylaine Harvey.

Comme Kilian, ils sont «hyper fidèles et respectueux des règles et ont des critères qui sont bien supérieurs à la moyenne» dans l’exécution de leurs tâches, estime M. Roussel. «McDonald’s propose des tâches simples, accessibles à tout le monde, donc on peut accueillir beaucoup de personnes qui vivent avec un handicap ou un déficience intellectuelle», estime-t-il.

Kilian a des «marraines», ou plutôt, des «professeurs» avec qui il travaille régulièrement. La stabilité est un élément important, rappelle son père. L’une de ses mentors, Guylaine Harvey, confirme que l’apport de Kilian est très apprécié. «C’est très bien, il travaille fort. Il y a des journées plus dures un peu, mais tout le monde a de mauvaises journées. J’aime travailler avec lui», décrit-elle.

«Par rapport à un neurotypique, Kilian fait les mêmes tâches, sauf qu’il faut l’encadrer un peu plus. Il a besoin d’explications précises. Une fois qu’ils sont formés, ce sont des jeunes qui respectent les règles. Au final, le travail qu’il occupe est le même qu’un équipier normal. Il n’y a pas de différence. Une fois que l’on passe les étapes de la formation et de l’intégration, il est un employé normal», termine Éric Roussel, fier du parcours de son fils.

«On n’a personne pour s’en occuper»

«Si l’on engage un jeune, on n’aura personne pour s’en occuper» est la réponse la plus courante que reçoit Julie Dion, enseignante au programme FPTA, lorsqu’elle cherche des milieux de stage. Elle veut convaincre la communauté d’affaires que les personnes différentes sont un investissement profitable sur le long terme.

«Un employé TSA (autiste), c’est quelqu’un qui va être là tout le temps, qui va se présenter tous les matins. Ce sont des gens fiables. On leur donne une tâche, ils vont la faire, ils ne vont pas déroger de cela. On nous dit que s’il y avait plus de Jérémy et de Kilian, il n’y en aurait plus, de problèmes de trouver de la main-d’œuvre. La constance de ces jeunes-là est très appréciée. Dans le fond, ils ont seulement besoin de quelqu’un pour les démarrer. C’est ce que l’on veut leur démontrer.»

Julie Dion, enseignante à l’École secondaire du Plateau de La Malbaie

Les bénéfices d’un emploi pour une personne TSA sont nombreux, indique-t-elle. Jérémy et Kilian ne sont plus les mêmes depuis qu’ils fréquentent leur milieu de travail.

«Jérémy s’est ouvert aux autres. C’est très rare chez un TSA. Il touche davantage aux gens, a un besoin de les coller. C’est nouveau! Avant, il était très renfermé, il était beaucoup dans son monde. Il a besoin maintenant d’entrer en contact avec les autres. C’est probablement grâce à la proximité avec toutes ces autres personnes qui s’occupent de lui à son travail qu’il a développé ces liens», décrit Mme Dion. L’emploi de Kilian lui a donné de la confiance en soi. Lui aussi s’est ouvert à de nouvelles choses et sort de sa zone de confort.

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