Les pharmaciens au front

Par Emelie Bernier 7:17 PM - 30 avril 2020
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Le personnel de la Pharmacie Jean Coutu de La Malbaie, exceptionnellement “rapproché” pour la photo. A droite, Mylène Auger, pharmacienne propriétaire.

 

Services essentiels, les pharmacies ont dû, comme tous les autres commerces demeurés ouverts durant la crise. David Villeneuve, Mylène Auger et Marie-Pier Labbé racontent leur tango avec la COVID-19.

La prudence sur tous les fronts

Mylène Auger est pharmacienne propriétaire au Jean Coutu de La Malbaie. Elle gère une équipe de plusieurs dizaines de personnes et ne lésine pas sur les mesures de sécurité.

Les personnes de 70 ans et plus sont les bienvenues, à condition qu’elles soient bien portantes. «On leur conseille quand même de rester à la maison pour leur sécurité, mais si elles se présentent, on leur donne un service. On peut aussi faire leurs courses pendant qu’elles attendent dans leur voiture. Les parents avec de jeunes enfants apprécient cette offre», illustre Mme Auger.

Des mesures qui étaient dans la mire du groupe Jean Coutu ont été implantées de façon accélérée. «Les commandes express par courriel avec le pré paiement par carte de crédit via un site sécurisé, ça s’en venait, mais c’est arrivé plus vite que prévu. Ça va demeurer après la crise, tout comme le service à l’auto. Ça a fait ses preuves », indique Mme Auger.

Le service de livraison à domicile est aussi fort sollicité. « On livre de tout : des produits de plancher autant que des médicaments. On a trois livreurs sur la route pour répondre aux besoins, même la fin de semaine », indique Mme Auger.

Depuis lundi, un maximum de quinze clients sont admis simultanément dans la pharmacie et chaque personne est questionnée sur son état de santé. Avant de pénétrer l’enceinte, elle doit se laver les mains. Un « circuit » a été établi dans la pharmacie et les gens sont priés de ne pas flâner.

La pharmacienne elle-même a dû adopter un comportement exemplaire, puisque son conjoint est greffé. « Les personnes qui ont reçu une greffe sont plus susceptibles d’avoir des complications. Comme deux de mes enfants travaillent avec moi, la procédure est très stricte quand on rentre à la maison pour éviter de contaminer mon conjoint », explique-t-elle.

Les employés qui le souhaitaient ont pu obtenir un congé, mais le reste de l’équipe est à pied d’œuvre. «Comme patronne, j’encourage mes employés à rester, mais je comprends la peur. Dans une pandémie, on ne peut pas obliger les gens à venir travailler. On essaie de gérer humainement, mais ça nous a obligé à réduire nos heures d’ouverture.  dit-elle. Ceux qui sont là se donnent à 200%, parce qu’on vit une explosion au laboratoire. On a reçu 4000 téléphones le mois dernier. C’est du jamais vu », dit celle qui fait quotidiennement du renforcement positif. « J’ai opté pour une hausse salariale pour mes employés pour les stimuler parce qu’ils font l’effort d’être présent. Je fais des tirages de cadeaux, des lunchs! Je suis fière de mon équipe », dit-elle.

Le chiffre d’affaires n’est plus ce qu’il était. « Ça a baissé, mais ça aurait pu être pire. C’est une pandémie! Au labo tel que tel, je ne perds de clients , mais sur le plancher, comme les gens ne peuvent plus magasiner, la baisse sur le chiffre d’affaires est inévitable », avance-t-elle.

Mme Auger constate que la plupart des clients sont compréhensifs, mais que certains ignorent, ou nient, le danger. « Il y a des gens qui sont frustrés des mesures sanitaires, on le sent. Mais ce n’est pas l’ensemble. Évidemment, on les remarque, mais beaucoup plus de gens nous remercient d’être là pour eux », conclut Mylène Auger.

Petite pharmacie, grand défi

Des trois pharmaciens sus mentionnés, David Villeneuve est sans aucun doute celui avec la petite surface de plancher. Celle-ci est sise un bâtiment rococo au cœur des Éboulements et dessert la clientèle de cette municipalité de quelque 1300 âmes.

«Ça roule, on est sur notre erre d’aller. Le gros boom a été de mettre les adaptations en place, car il y en avait toujours de nouvelles. Puis, il a fallu changer les habitudes des clients», explique le pharmacien propriétaire derrière son plexiglass.

A l’extérieur, l’ingénieux David Villeneuve a installé une lumière rouge et une lumière verte qui gèrent le trafic. Puis, une station lavabo a été organisée dans l’entrée, pour que chaque client se laver les mains avant de franchir le seuil de la pharmacie. La pharmacie fait l’objet d’un grand ménage, avec désinfection, deux fois par jour. « Pas un petit lavage, là, un vrai, à l’eau de javel puia à l’eau savonneuse! », précise le pharmacien.

David Villeneuve

Des plans de contingence ont été établis. «Qu’est ce qu’on fait si moi, je l’attrape? Ma remplaçante travaille ici et sur l’île. S’ils ont besoin d’elle et que je ne suis pas disponible, qu’est ce que je fais de ma prescription? Avec qui je m’allie? En plus de tout le travail quotidien, il a fallu faire beaucoup de projections pour éviter une rupture dans le service », résume David Villeneuve.

Pour en rajouter une couche, les informations fusaient de toutes parts. « Toutes nos instances ont envoyé des communiqués dès le début, avec des mises à jour régulières. Je me suis amusé à les numéroter. J’en ai reçu 70 de l’Association des pharmaciens propriétaires, une trentaine de mon ordre professionnel, plus d’une cinquantaine de ma bannière! Faut que tu prennes ça en considération, ça évolue tout le temps », explique-t-il.

Sa clientèle étant assez âgée, la plupart est confinée. « Les gens se sont rapidement pliés au fait d’être confinés. Du jour au lendemain, tout le monde devait se faire livrer, question d’efficacité. On a doublé le nombre de livraisons. Mon livreur avait 87 ans, j’ai dû lui trouver un remplaçant et embaucher une deuxième ressource», lance M. Villeneuve avec un sourire.

Pour éviter les contacts, la technicienne travaille le matin et le soir quand le pharmacien est absent. Heureusement, sa fille de 13 ans, Madeleine, vient parfois lui prêter main forte, mais David Villeneuve s’ennuie de la proximité avec ses clients.  « J’ai des réguliers, des gens qui venaient tous les jours pour placoter, prendre des nouvelles… »

La fin de la pandémie sera accueillie avec soulagement. «Tout ça rajoute une pression supplémentaire.  La paperasse s’accumule et notre façon de faire est chamboulée,  mais l’humain est bien fait : on s’est adapté! »

Marie-Pier Labbé

Fermeture et réouverture des portes chez Marie-Pier Labbé

Fermée au public depuis le 1er avril, la Pharmacie Marie-Pier Labbé a rouvert ses portes le 20 avril, mais de façon contrôlée.  Le nombre de cas stable dans la région et le fait que l’accès y est toujours limité ont incité la pharmacienne propriétaire à procéder ainsi.

« En premier lieu, j’avais pris la décision de fermer parce qu’il y avait beaucoup de touristes,  des gens de l’extérieur, et je ne voulais pas mettre mon équipe et ma clientèle régulière à risque », explique Mme Labbé.

La fermeture des portes a apporté son lot de travail supplémentaire. «C’était gérable, mais il y avait une pression sur les équipes. Les commandes explosaient et on manquait de lignes téléphoniques. On avait 3 livreurs sur la route. Mazda m’avait fourni un véhicule supplémentaire. J’ai quadruplé mon nombre de livraison! Oui, on peut faire ça un certain temps, mais quand on pèse le pour et le contre, quand on voit que le « peak » est passé et que la région est épargnée, je pense que rouvrir est la bonne décision », poursuit la pharmacienne.

Des mesures sanitaires sont cependant en place et l’accès à la pharmacie est limité à cinq personnes à la fois.   « Les gens doivent se laver les mains au Purell, éviter le flânage…  Ils sont très responsables et respectueux des consignes », indique Marie-Pier Labbé. Les membres de l’équipe doivent tous porter le masque en tout temps et respecter la distanciation recommandée.

Le service à l’auto et la livraison demeurent disponibles en tout temps.  « Nous avons deux livreurs sur la route, 7 jours sur 7. Si les gens à risque peuvent demeurer chez eux, c’est encore le mieux », conclut la pharmacienne qui ne cache pas sa hâte de voir cette crise se terminer.

 

 

Une pandémie anxiogène

(EB) La pandémie occasionne un lot de stress indu, si on en croit les pharmaciens propriétaires. « Ça fait presque 20 ans que je pratique et je n’ai jamais vu autant passé de nouvelles ordonnances de médicaments contre l’anxiété que dans le dernier mois. Un médecin m’a fait le commentaire qu’il n’avait côtoyé autant de détresse psychologique », commente Mylène Auger, inquiète.

Les sources de stress sont multiples, selon elle. « Les gens sont stressés par l’argent, le travail… Les personnes âgées ont peur. En fait, tout le monde a peur d’attraper la maladie. Ce qu’on entend sur l’ouverture des écoles sème un vent de panique…», ajoute Mme Auger. Sans questionner le professionnalisme des médecins, elle croit que le risque d’abus et de surconsommation de médicaments est là. «Si le médecin prescrit un anxiolytique, on va le donner, bien sûr, mais on va toujours bien renseigner notre patient. On communique avec tout le monde qui reçoit une nouvelle médication, même quand c’est livré. Et on répond à tous les appels des gens qui ont des questions », lance la pharmacienne.

David Villeneuve remarque aussi des changements de comportements chez sa clientèle et ces changements peuvent être risqués, lorsqu’amalgamés à une prise de médicaments. « Y’a des cas spéciaux, on en voit de tous genres. Il y de l’angoisse, du stress… J’ai un client qui ne buvait jamais et qui s’est mis à boire pour se clamer, juste un petit verre de fort par jour, mais tout d’un coup, en association avec sa médication régulière, son sang s’est mis à être plus clair… C’est un exemple parmi d’autres », illustre-t-il.

Les gens âgés craignent d’aller à l’hôpital pour leurs suivis. «Une dame doit faire des prises de sang, c’est important, mais elle ne veut pas aller à l’hôpital pour les faire. Dans ce cas, on a l’option d’envoyer une infirmière à domicile, mais quand on parle de traitement, ce n’est pas toujours possible… », avance le pharmacien.

Les pharmaciens sont en contact étroit avec les médecins et les infirmières et infirmiers du CLSC. « On essaie de ne laisser personne vivre sa panique tout seul », conclut David Villeneuve.

Selon Mylène Auger, les médias alimentent le sentiment d’insécurité. «La peur semée par les médias est épouvantable! Oui, le virus est contagieux, oui, il est dangereux, on ne se le cachera pas, mais dans avec toute l’emphase qui est mise là-dessus, on n’arrive pas à assurer les gens. Tout ce qui se dit dans les médias, on le vit en première ligne en pharmacie  », conclut-elle.

 

Des médicaments rationnés

(EB) Parce qu’ils sont susceptibles de servir éventuellement à traiter la COVID-19, certains médicaments ont été rationnés, dont le plaquenil, utilisé par les personnes souffrant de polyarthrite notamment. Les pharmaciens questionnés émettent des réserves sur ces mesures.

«Selon moi, cette décision de réserver tous les stocks « au cas où » est discutable. Si on était sûr et certain que ça peut traiter la COVID, d’accord, mais là, on prive des gens qui avaient intégré ce médicament dans leur traitement.  Je serais entièrement d’accord si on savait hors de tout doute que ça peut traiter le virus», lance David Villeneuve, pharmacien propriétaire aux Éboulements. Mylène Auger trouve elle aussi difficile de devoir dire à ses clients qu’ils n’ont plus accès à leur médicament. « C’est difficile de dire à quelqu’un qui est déjà anxieux « votre plaquenil, vous ne l’aurez plus pour les 3 prochains mois ». Ce n’est pas correct, mais on n’a pas le choix. Ça a un impact direct chez les gens.»

D’autres médicaments sont rationnés parce qu’on craint une pénurie en milieu hospitalier. Les pharmaciens eux-mêmes ont eu tendance à stocker davantage de certains médicaments, ce qui a provoqué une pénurie à l’intérieur même du système. « Ça fait des années qu’on commande tel médicament en telle quantité, mais là, certains commandent en double et en triple. Il a fallu limité les clients aussi, qui avaient tendance à vouloir faire des réserve. On fait attention à nos inventaires, les grossistes s’adaptent. A date, ça tient bien le coup », conclut David Villeneuve.

 

 

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