Semaine québécoise de la déficience intellectuelle: Vivre au rythme de Marc-Antoine

Par Emelie Bernier 13 mars 2013
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Le matin, Mireille Landry réveille son fils. Elle doit souvent insister pour que celui-ci sorte du lit. Puis, elle lui rappelle ce qu’il doit faire, en pointant des pictogrammes sur un papier plastifié. Se laver les dents, se brosser les cheveux, faire son lit et… retirer sa couche. Mireille en fait un peu plus que les autres mamans, car elle aide aussi son garçon lorsque vient le temps de se raser la barbe. Son fils, Marc-Antoine Caron,  n’est plus un bébé. À 25 ans, il est un grand enfant.

 

Une naissance comme les autres, un bébé différent

Mireille Landry était heureuse de donner naissance à son premier enfant.  Mais dès la naissance, son bébé présente des problèmes et est transféré de l’hôpital de La Malbaie au CHUL. « Il faisait beaucoup de jaunisse. Il avait de la misère à téter et ses prises de sang étaient anormales. Il perdait du poids… À Québec, ils l’ont « boosté », mais quand il est revenu à la maison, j’ai commencé à me poser des questions. Je me demandais s’il entendait bien. Il avait peu de tonus, c’était pénible de le faire boire. À 6 mois, il a été ré hospitalisé. On a commencé l’ergothérapie, la physiothérapie… Toute sa petite enfance, on s’est promené une à deux fois par semaine à Québec. Je travaillais, j’étais fatiguée, mais on voulait donner toutes les chances à notre fils », dit celle qui vivait alors avec le papa de Marc-Antoine.

 

Les pronostics ne sont pas bons. Elle se souvient d’ailleurs de ce neurologue qui lui avait annoncé sans une once d’empathie que le petit ne serait pas capable de faire sa 2e année.

« Ça manquait de délicatesse, mais les mauvaises nouvelles, il n’y a pas de bonne façon de les annoncer », dit-elle, indulgente. Le suivi de son fils est ensuite transféré au centre de réadaptation Cardinal- Villeneuve. Il souffre d’atrophie musculaire de type B, ce qui occasionne des tremblements des muscles supérieures.

 

Tout est plus long, plus lent et demande beaucoup d’effort à l’enfant. Il marche à 2 ans, après avoir appris avec une petite marchette. La poussette est restée longtemps dans la vie de Mireille et de Marc-Antoine. «Jusqu’au secondaire, on avait des exercices d’orthophonie et d’ergothérapie,  en plus des  devoirs et leçons. Je travaillais et quand j’arrivais à la maison, on faisait tous les exercices, on mangeait, puis je lui donnais le bain, je le mettais au lit, puis je faisais mon ménage, la vaisselle. À ce rythme-là, j’ai bien pensé craquer », se rappelle la gentille dame.

 

L’épisode de la propreté est un symbole de la vie parfois complexe des parents d’enfants vivant avec une déficience intellectuelle. «La propreté, ça a été long le jour, et il n’est pas encore propre la nuit. Je me suis levée 2 fois par nuit jusqu’à ce qu’il ait 16 ans et un jour, un travailleur social à qui je me suis confiée m’a recommandé de lâcher prise pour me sauver la vie. Moi qui  avais peur qu’il me dise que je n’étais pas une bonne mère… », se remémore Mireille. ,

 

Avec Marc-Antoine, elle a pris le parti de faire «un petit pas à la fois ». « Oui, il y a du découragement. Je me suis demandé 100 fois « comment je vais y arriver? » Il ne faut pas que tu penses à long terme. Si, quand il a 2 ans, tu de demandes ce que sera son travail quand il va être grand, tu ouvres la porte au découragement. Tu es toujours confronté à la limite et chaque limite est un deuil. Quand on l’a retiré de la classe régulière à l’école, ça a été un deuil. Faire sa demande d’aide sociale, c’était gênant. Mais c’est notre vie », dit-elle résiliente.

Elle sait que son fils ne sera jamais autonome et qu’il restera vraisemblablement toujours auprès d’elle, et ce même s’il a un emploi qu’il apprécie dans un salon de toilettage et qu’il vaque à plusieurs de ses occupations sans l’aide de maman.  

 

« C’est ma confrontation.  Je trouve ça difficile d’accepter que les gens de mon âge retrouvent une certaine liberté avec le départ de leurs enfants.  Ma retraite s’en vient, mais qu’est-ce que ça veut dire dans mon cas? Je suis consciente qu’il y a pire que moi, mais j’avoue que c’est difficile. Si je veux partir ne serait-ce que 2 jours, ça me prend une gardienne, mais je ne peux pas demander à une ado de garder un homme de 25 ans qui porte des couches! », confie cette mère Courage.  Elle essaie de profiter au maximum du répit offert par le Regroupement pour l’intégration sociale de Charlevoix (RISC) (voir autre texte). » Même les soirées où elle doit partir travailler (elle travaille au centre hospitalier comme technicienne en pharmacie) l’angoisse toujours un peu. Elle se demande toujours si son garçon est à la maison, s’il ne fait pas de folies…  Et les matins où elle quitte tôt la maison, elle doit aussi affronter une logistique qui donnerait le tournis à n’importe qui. «Je le réveille avant de partir pour lui dire que toutes ses affaires sont prêtes.  J’ai mis un cadran pour qu’il se réveille plus tard et j’ai plein de minuterie pour chaque chose qu’il doit faire. Il faut que je l’appelle pour vérifier et parfois, je passe tout droit. Quand j’appelle et qu’il ne répond pas, je stresse. Marc-Antoine n’a pas de notion du temps. Pour lui, il est toujours 10h! », explique Mireille Landry.

 

Chaque détail compte. «Il faut que je pense à tout, à ce que la pinte de lait soit pas trop pleine, ni le jus, car sinon, il n’est pas capable de verser », donne-t-elle à titre d’exemple.

 

Un enfant dans un corps d’homme

Marc-Antoine a dépassé le stade de l’adolescence, une période pour le moins intense. « Marc-Antoine n’est pas difficile, il n’a pas d’énormes troubles de comportement, mais à l’adolescence, il a vécu 3 bonnes crises.  Il devenait un homme avec l’intelligence d’un enfant et les hormones d’un ado. Ça n’a pas été facile à gérer ni pour lui ni pour nous », dit celle qui, dans les moments les plus pénibles, a toujours pu compter sur le père de son fils, parti alors que celui-ci avait 11 ans.

 

« D’avoir envie de le placer, ce n’est jamais arrivé.  De perdre patience, oui. De mettre ses affaires dans un sac de poubelle aussi. Ça m’est arrivé de dire au père : « je ne suis plus capable, viens le chercher ». Et il l’a fait. Mais je n’ai jamais voulu lâcher prise. Dernièrement, j’ai regardé pour des appartements, mais est-ce que je suis prête? Est-ce que mon enfant est prêt? Je lis, je réfléchis sur la question. C’est une décision qui n’est pas facile à prendre et qui a de nombreuses implications », dit Mireille. Les coûts sont une des ces implications.  «On parle de 800$ par mois pour une résidence comme ça, mais ici, il y a beaucoup de familles d’accueil, des résidences intermédiaires… Je continue ma démarche, mais on en n’a pas parlé beaucoup ensemble. Je suis devant des choix.» On les devine déchirants. Son conjoint Dominique Vachon, arrivé dans sa vie en toute connaissance de cause il y un peu plus de 7 ans, n’essaie pas de l’influencer.

 

« C’est sa décision », dit celui qui a réussi à faire sa place au milieu de ce duo improbable et solidement noué que forment Marc-Antoine et Mireille.

« Quand elle m’a dit qu’elle avait un enfant différent, j’étais prêt. On a été en relation 3 ans avant qu’on vive ensemble, on a appris à se connaître. Quand j’ai été prêt à foncer dans une nouvelle aventure,  je lui ai demandé si elle était  prête à avoir quelqu’un d’autre dans sa vie. On a foncé  en se disant qu’il serait toujours temps de me prendre un appartement si ça n’allait pas», se rappelle Dominique.

Marc-Antoine a bien accueilli Dominique, mais il a tout de même piqué de petites crises de jalousie à sa mère. Après 4 ans, la routine est là. « Ce n’est pas toujours facile, il a eu sa mère à lui tout seul pendant 10 ans… », confie Dominique, conciliant. Un éducateur est venu faciliter la nouvelle vie de « famille ». « Heureusement qu’on a de l’aide, ça nous aide à mettre les choses en perspectives », confient ces deux amoureux d’exception.

 

La fierté d’une mère

« Marc-Antoine a pris beaucoup de maturité, mais ce n’est pas comme un fils de 25 ans. Les enfants, c’est pour la vie, mais je ne m’attendais pas à ça. Si je l’avais su quand il était petit,  très sincèrement, je me serais sûrement découragée. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait pour lui. J’ai mis le paquet pour lui, je n’ai pas de regret», poursuit-elle, un éclat brillant dans les yeux. 

À 25 ans, Marc-Antoine est un jeune homme curieux, dont les intérêts vont de la lutte au cinéma. Il est aussi amoureux depuis quelques temps, ce qui a aussi occasionné quelques petites sueurs froides à maman Mireille.

 « Il parle de tout sortes de choses! Ce qui se passe au travail, ce qui se passe au RISC, à la lutte, les films… Il est heureux, mon fils, très heureux. Il a des relations amicales,  une vie sociale, un suivi médical, il travaille 4 jours semaine. Il fait une vie normale! »

Elle est immensément fière de son fils, ce fils que les médecins ne savaient dans quelle case placer et dont l’avenir apparaissait bien sombre. Il a fait des pas de géants! Je suis fière de ce qu’il réalise,  de ce qu’il fait, de ce qu’on a fait ensemble.  Au-delà de tout ça, je suis fière de lui. Non, il n’a jamais reçu de méritas à l’école, mais aucun de ces enfants qui performent n’ont fait tout ce que mon fils a fait comme progrès », souffle-t-elle, une manne d’amour dans la voix. Une question déchirante la tarabuste. «Il va arriver quoi quand je ne serai plus là? Il ne faut pas trop y penser… ». En attendant, elle évitera de laisser la pinte de lait trop pleine et veillera sur son grand garçon, sa fibre maternelle étirée jusqu’à l’infini.

 

 

 

 

 

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