Fermeture d’une porcherie aux Éboulements: inquiétant effet domino

Par Émélie Bernier 12:30 PM - 12 avril 2023 Initiative de journalisme local
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Normand et Jean-Yves s’inquiètent du sort des terres agricoles des Éboulements et du grand Charlevoix.

Normand et Jean-Yves Audet mettront la clé dans la porte de leur porcherie d’ici moins de deux ans. Cette fermeture sonnera le glas de l’entreprise mise sur pied avec hardiesse par leur grand-père, puis leur père après lui. Et aura un effet domino préoccupant sur l’agriculture ébouloise.

Les frères Audet sont producteurs de porcs. Avec un rendement de 8 000 bêtes à l’abattage par année, leur ferme est considérée de taille moyenne, mais les déjections de leurs animaux permettent d’engraisser les 250 hectares de terres qu’ils cultivent. Du nombre, ils en possèdent 150 et en entretiennent une centaine qui ne leur appartient pas.  

« On reprenait les terres du voisinage qui sinon allaient tomber à l’abandon. Dans Saint- Godefroy et Saint-Pascal (des secteurs de la route du Fleuve à l’est du noyau villageois), il y a des petites fermes, Alpagas Charlevoix, la Ferme Éboulmontaise, mais ils n’ont pas besoin de cultiver grand comme nous. Quand on va arrêter de cultiver, la friche va pogner. Et ça, c’est des terres perdues. C’est nous qui faisions la différence. Qui va venir étendre du purin ici? C’est pas intéressant, on est loin. »

Les deux frères ont cru pouvoir compter sur une relève, le fils de Jean-Yves, mais celui-ci leur a annoncé en janvier qu’il lançait la serviette. « Il aime le travail, mais il ne voit pas la lumière au bout du tunnel. Depuis qu’il est rentré avec nous, il n’a pas connu de bonnes années. Et les éleveurs ne voient pas d’accalmie à court terme. On se met à sa place, il aurait fallu qu’il investisse beaucoup et en plus, on s’est endetté dans les deux dernières années juste à cause du prix du porc. Quand tu sais que tu vas travailler à perte, t’es mieux d’aller travailler dans le nord », concède Jean-Yves.

« On aurait voulu appuyer la relève, mais on se met à sa place et on comprend son choix », indique son frère.

Un marché en déroute

Le marché du porc est « catastrophique » depuis l’automne, expliquent les frères. « Ça fait plus qu’un an que ça va mal, mais ça empire. Les abattoirs sont en difficulté et depuis avril 2022, ils nous ont refilé une partie de la facture. Pour leur donner une chance, on leur vendait chaque porc 55 $ de moins d’avril à octobre. Depuis octobre, c’est 30 $ de moins par porc. Ça devait durer 3 mois, mais ça ne finit
pas. Notre profit est directement amputé », explique Jean-Yves Audet.

Qui plus est, durant la pandémie, les cochons étaient beaucoup plus difficiles à écouler, avec un impact direct sur les frais de production. « Les porcs en attente, ça fait pas si longtemps que c’est réglé. Pendant
un bout de temps, on n’arrivait pas à écouler nos animaux… Les gros cochons mangent plus et la moulée coûte de plus en plus cher… », résume Jean-Yves Audet.

Pour ajouter à ces difficultés, le récent rôle d’évaluation les a frappés de plein fouet, à l’instar de plusieurs
agriculteurs de la municipalité (voir autre texte). « Une des terres a pris quasiment 350 000 $ de valeur, mais on a rien fait de plus dessus! C’est difficile à comprendre. Le MAPAQ nous aide tant qu’on est producteur, mais après? », s’inquiètent les deux hommes.

Leur décision de fermer l’entreprise est toutefois prise. D’ici 20 mois, le troupeau sera vendu, les bâtiments fermés. Avec des impacts qu’ils ne connaissent que trop bien.

« C’est la vitalité agricole de notre village et de notre région qui en pâtit. On récolte du foin, des céréales, on en vend… On est dans un système de collaboration et ça va paraître pour les autres agriculteurs. Les bâtiments vont être dévalués, c’est une perte pour la municipalité. On dépense presque 2 M$ par année dans Charlevoix et un peu à l’extérieur. C’est pas une bonne nouvelle pour la meunerie non plus… Chaque fois qu’une entreprise agricole ferme, ça débalance l’équilibre. C’est quoi, l’avenir de l’agriculture dans Charlevoix? », questionne Jean-Yves Audet.

Malgré tout, les deux frères sont encore très épris de leur métier et le sort qui attend leur ferme les désole l’un comme l’autre. 

« On travaille fort, mais on ne s’en plaint pas, lance Jean-Yves, un brin nostalgique. On n’a pas pris beaucoup de vacances, mais on a eu une belle vie. »

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