À mes frères russes

Par Guy Rousset 10:52 AM - 22 février 2023 président de l'Hôtel Cap aux Pierres
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À gauche, la maman, à droite sa fille Valeriia. Photo courtoisie

Ce soir du 23 février 2022, il faisait doux à Mykolaiv, 12 degrés, un beau coucher de soleil précédait la nuit, qui tombait lentement sur l’estuaire de la rivière Inhoul, à l’embouchure du fleuve du « Boug Méridional ».


Nous sommes en plein cœur de ma ville, Mykolaiv. Un navire marchand descend lentement le cours du fleuve, vers la Mer Noire, à cinquante kilomètres de là.


Aujourd’hui, je suis allée avec ma maman et mon amie Katia passer l’après-midi au Musée régional de la Marine et de la Construction Navale de Mykolaiv, rue Amiralska. Après ce bel après-midi au musée, nous redescendons la rue Admiralska, vers la rue Phushskinka, puis vers la rue Principale, destination le restaurant des Sports, pas très loin de la Marina et du Yacht Club. Depuis ma tendre enfance, je me passionne pour la navigation en mer, je rêve de devenir capitaine de navire.


La soirée se termine, somme toute insouciante. Nous rions toutes les trois de bon cœur, rêvant à ces navires de plaisance luxueux, qui pourraient nous mener au bout du monde, malgré les menaces de la guerre, qui pourrait gronder, plus au Nord, dans la région de Kiev, et dans le Dombass à l’Est.


Je suis une jeune femme de dix-neuf ans, une Ukrainienne fière de ses origines, et j’ai toute la vie devant moi pour réaliser mes rêves.


Il est 23h00, je suis fatiguée, la nuit s’annonce douce et profonde, je m’endors avec mes rêves d’aventure sur les mers du monde.

Et puis, le jour se lève


Sans prévenir, la vie bascule dans un cauchemar épouvantable. À 5h30 du matin, ce jeudi 24 février 2022, le tonnerre, les bombes, les missiles s’abattent sur tout notre pays…


Il résonne sans arrêt dans ma tête depuis un an. Ce bruit des bombes, la douleur de voir les souffrances de mon peuple, les morts et les blessés, mes amis qui se battent pour défendre nos libertés, tout cela hante chacune de mes nuits, sans l’ombre d’un petit espoir de voir cette guerre fratricide se terminer un jour.


Aujourd’hui, je suis avec ma maman et quelques amies ukrainiennes, au Canada, au Québec, dans la région de Charlevoix. Nous essayons de reconstruire notre vie, avec la générosité des gens d’ici pour nous aider à supporter notre détresse et nos inquiétudes. Chaque jour, nous appelons, moi mon père, ma maman son mari, avec l’inquiétude permanente qu’il ne réponde pas, qu’il ne réponde plus.


Nous travaillons très fort pour envoyer un peu d’argent, un peu de réconfort à ceux qui sont restés dans notre pays. C’est un peu notre manière à nous de contribuer à l’effort de tout un peuple.
Je cherche encore au fond de mon âme pourquoi cette guerre est venue bouleverser notre vie, une agression perpétuée par nos sœurs et nos frères de la Russie voisine.


Il n’y a pas si longtemps encore, je partageais mes projets, mes bonheurs et mes tristesses avec mes amis de Moscou, d’Odessa et de Kiev, tous unis dans la même fraternité étudiante, à l’université de Kiev, ou encore à l’hôtel Riekartz River au centre de Mikolaiv, où je travaillais comme réceptionniste.


Nous étions heureux et nous ne pouvions pas croire que cette guerre se déclencherait un jour. « Mon hôtel » comme je me plaisais à l’appeler, l’armée Russe l’a complètement détruit avec un missile, au cœur de Mykolaiv, le 31 juillet 2022.


Alors, chaque jour depuis un an, le matin, le soir, dans mes rêves, je te pose la question à toi mon frère, à toi ma sœur de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de tous les villages de la grande Russie, « Pourquoi nous attaques-tu? Pourquoi tu nous assassines? Pourquoi tu t’acharnes à détruire nos villes et nos campagnes, nous qui, hier encore, riions ensemble, nous qui faisions des projets de vie, nous qui rêvions avec toi de construire un monde meilleur.


Les chimères, les illusions, les utopies, les folies, les crimes de Vladimir du Kremlin, aussi puissant soit-il, ne devraient pas dicter ton chemin. Tu es comme moi, nous sommes les victimes, tes amis et les miens mourant chaque jour, au nom de la folie d’un homme.


Alors dans mon for intérieur, je rêve en silence du jour où, enfin, nous retrouverons notre amitié, le jour où nous tenterons ensemble d’oublier ce cauchemar, le jour où nous tenterons de nous aimer à nouveau, de construire un monde plein de complicité, de liberté et d’amour. Un peu d’utopie pour nous aider à rêver, un peu d’espoir pour nous aider à y croire, un peu d’amour pour nous aider à nous aimer.


Alors mon frère de Moscou, alors ma sœur de Saint-Pétersbourg, je rêve du jour où tu seras en sécurité avec ta famille dans ta maison, ce même jour où moi et ma famille nous serons enfin réunis ici, dans ce coin de pays magnifique et sauvage, entre fleuve et montagnes.


Pourquoi mon frère russe me frappes-tu en plein visage?


Texte rédigé par Guy Rousset, président de l’hôtel Cap aux Pierres, à l’Isle-aux-Coudres, qui a initié en mai dernier la démarche d’accueillir des immigrants et des immigrantes ukrainiennes.

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