Le périple d’Augustin le lutin

Par Marylin Tremblay 5:00 PM - 24 Décembre 2022
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C’était la nuit du 30 novembre. Augustin le lutin se préparait à quitter le pôle Nord pour aller rejoindre sa famille d’humains pour l’Avent. Il avait tellement hâte de rejoindre les petits Sophie et Hugo et de passer vingt-cinq journées magiques avec eux. Il avait apporté avec lui : des cannes en bonbons, de la poudre de chocolat chaud avec des mini guimauves, des caramels, des bas-collants de rechange et un bonnet bien chaud. Il se dirigeait dans une région nordique : la belle région de Charlevoix.


C’était l’heure du grand départ. Comme le veut la tradition millénaire, les lutins vont dans des familles d’humains du monde entier le dernier jour de novembre. Pour qu’ils s’envolent, Père Noël les couvre délicatement de poudre de sept-lieues et leur souhaite bon voyage vers leurs destinations respectives.


Le vent dans les cheveux et la tuque attachée avec de la broche, Augustin file dans le ciel, plein cap au sud. Léger comme une plume, il apprécie le fascinant voyage du 30 novembre. Traverser les grandes étendues du Nord du Canada, admirer les lumières d’Iqaluit dans l’immensité et envoyer la main aux ours polaires emplit son cœur d’allégresse. Une fois passée la Baie James, Augustin fouille dans ses poches pour sortir sa carte de navigation. Dans son empressement, et excité comme il l’était avec les préparatifs du départ, il avait oublié sa carte des étoiles! Son dernier voyage chez Sophie et Hugo remontant à l’année précédente, il ne se rappelle plus du chemin exact pour se rendre à leur maison. Sentant la panique et un sentiment de vertige le gagner, il prend de grandes inspirations, expire à fond et mange une canne en bonbon, comme le lui avait enseigné son instructeur de yoga. Une fois calmé, Augustin se rend à l’évidence : il devra se débrouiller et prendre son courage à deux mains pour se rendre dans sa famille. Impossible de rebrousser chemin, les enfants seraient si tristes ! Il se remémore alors les paysages typiques de Charlevoix, avec son cratère et ses magnifiques montagnes. Avec une vision nocturne très développée (bien pratique pour jouer des tours la nuit, pendant que la maisonnée est endormie), il est confiant de trouver facilement ces repères géographiques.


Quelques heures de vol plus tard, il voit enfin émerger le sommet du Mont du Lac des Cygnes, dans le Parc des Grands-Jardins. Sentant l’effet magique de la poudre des sept-lieues s’estomper, il décide de s’y poser afin d’avoir une vue d’ensemble sur la région. Il devra poursuivre son périple à pied.
Incapable de freiner sa course, il s’écrase comme une balle de neige au travers des conifères. Sonné, mais toujours en vie, il se redresse et secoue la neige de son bel habit de velours rouge et gris. Son regard croise soudain deux yeux jaunes qui le fixent, camouflés dans un bosquet. Un profond grognement se fait entendre. Très peu rassuré, Augustin tente tout de même d’engager la conversation avec la créature qui demeure cachée.


Bon-bonjour, je-je m’appeelle Augustin. Qui-qui es-tu ?

En guise de réponse, un long hurlement retentit dans la nuit. Suivi d’un autre, puis d’un autre, et d’un autre. Bientôt, c’est une dizaine d’yeux jaunes qui se braquent sur Augustin. Comprenant qu’il avait atterri tout près du repaire d’une meute de loups, Augustin prend ses petites jambes à son coup et dévale le sentier enneigé. Il entend derrière lui les multiples pattes qui crissent sur la neige, à sa poursuite. Les loups se rapprochent à toute vitesse et l’écart diminue entre eux et leur proie. Dans sa course folle, Augustin attrape un long bout d’écorce et saute dessus telle une planche à neige. Évitant les obstacles et les troncs d’arbres avec l’agilité d’un lièvre, il arrive rapidement au bas de la montagne, dans une plaine enneigée, bordée d’une forêt dense.


Ne glissant plus à vive allure, il doit se remettre à courir, mais en vain. Déjà, les loups le rattrapent et l’encerclent. Pris au piège, Augustin tente le tout pour le tout.


Pourrais-je vous offrir, majestueux loups de la montagne, ces cannes en bonbons ? Elles ont bien meilleur goût que moi, je vous le garantis !


Qu’est-ce que c’est que cette matière colorée et collante ? répond le mâle alpha d’une voix caverneuse. Nous sommes carnivores mon petit. L’hiver arrive et nous devons faire des réserves. Ce n’est rien de personnel… Adieu.


Alors qu’Augustin sent son heure arriver, le sol se met à trembler. Est-ce un tremblement de terre ? Les loups aussi semblent déconcertés et se mettent à reculer vers la montagne. Émergeant de la forêt, une vingtaine de caribous galopent à toute allure dans la plaine, leurs sabots foulant le sol gelé dans un bruit de tonnerre. Coincé entre les loups et la harde de caribous qui fonce dans sa direction, Augustin se recroqueville. Il s’attend à être piétiné à tout moment. Heureusement, le bruit des sabots s’arrête net et Augustin ose relever la tête. D’un côté, les loups sont aux aguets, grognant, montrant les crocs, le poil hérissé sur le dos. De l’autre, les caribous piaffent en secouant leur panache.

Une femelle caribou, au port altier, s’avance au-devant du groupe de cervidés. Son panache, argenté sous la lumière de la lune, impose le respect. Elle prend la parole, s’adressant aux loups.


Laissez ce petit tranquille, loups. Nos cousins du Nord nous ont fait parvenir un message, transmis par aurore boréale. Cette créature est un lutin du Père Noël. Il est investi d’une mission importante, et nos cousins nous ont demandé de le protéger.


Et si nous refusons ? demande le mâle alpha.


Vous commettriez une grave erreur.


Le mâle alpha montre ses crocs et pousse un long grognement. Les loups sont moins nombreux que les caribous et la course en montagne les a fatigués passablement. Ils prendront leur revanche, mais une prochaine fois. Après quelques secondes, qui paraissent interminables pour Augustin, le mâle alpha bat en retraite et rebrousse chemin, suivi par sa meute.


Sous l’effet de l’adrénaline et soulagé par ce dénouement heureux, Augustin explose de joie :


C’est UN pour les rennes, ZÉRO pour les vilains loups. Youhouhou! crie-t-il en faisant quelques pas de danse dans la neige.


Nos cousins du Nord se font appeler rennes, mais nous portons le nom de caribous, répond la caribou qui mène le groupe, amusée. Je me nomme Frimas. Comment t’appelles-tu?


Augustin. Je dois me rendre chez Sophie et Hugo avant l’aube, mais je suis complètement perdu. J’ai oublié ma carte des étoiles au pôle Nord. Pouvez-vous m’aider à retrouver mon chemin ?


Nous te guiderons le plus loin possible dans la bonne direction, mais nous devons garder certaines distances avec la ville et les routes. C’est mon cousin Comète le renne qui a trouvé ta carte. Il a tout de suite su que tu serais dans le pétrin. Nous sommes arrivés au bon moment ! Monte sur mon dos et accroche-toi.


Augustin monte sur la croupe de Frimas qui s’élance, traversant la plaine et entrant dans la forêt. Bercé par le galop régulier du caribou, Augustin s’endort doucement. Il rêve qu’il est arrivé chez Sophie et Hugo. Les enfants dégustent le chocolat chaud qu’il leur a préparé avant leur réveil. C’est le matin de Noël, les cadeaux sont sur le point d’être déballés… Augustin est tout à coup tiré de son sommeil. Frimas s’est arrêtée sur le bord d’une route.


Tu dois continuer ton chemin seul Augustin. C’est ici que nous devons nous séparer. Suis cette route, elle te mènera à la ville. Sois prudent. Tu es un petit lutin très courageux. Bonne chance !


Merci ! Je n’oublierai pas votre aide ! Dites bonjour à Comète de ma part. Au revoir les amis !
Augustin envoie la main aux caribous, qui pénètrent à nouveau dans la forêt. Il doit se dépêcher à gagner la ville, car l’aube ne tardera pas. Il se met en marche d’un bon pas. À son grand plaisir, de jolis flocons se mettent à tomber. Au début, il est enchanté par cette jolie neige douce qui lui fait penser à son chez-lui. Les flocons délicats se transforment peu à peu en lourde neige humide, qui tombe en peau de lièvre. Augustin a alors de plus en plus de difficulté à avancer. Il s’enfonce dans la neige collante jusqu’à la taille et ses vêtements sont détrempés. Transi de froid, il se félicite d’avoir apporté une paire de bas-collants de rechange. Se réfugiant sous un arbre pour se changer, il est surpris par un gros chat velu qui s’y était camouflé.


Je reçois rarement de la visite, et je n’ai jamais vu de créature qui te ressemble. Je m’appelle Edgar le lynx. Comment t’appelles-tu? À quelle espèce appartiens-tu? Tu a l’air trop vieux pour être un enfant humain, mais trop petit pour être un chasseur.


Bonjour! Vous m’avez fait peur. Je suis désolé de l’intrusion chez vous, monsieur Edgar. Je suis un lutin du Père Noël. Je m’appelle Augustin. Je dois rejoindre la ville avant l’aube, mais la neige rend la marche vraiment ardue. Si seulement j’avais de grosses pattes comme les vôtres, j’irais beaucoup plus vite… dit Augustin, en prenant son air le plus mignon.


N’en dis pas plus! Saute sur mon dos! Un peu d’action me fera le plus grand bien. La vie de lynx est plutôt solitaire, mais j’aime bien me balader avec des copains à l’occasion.


Ne se faisant pas prier, Augustin embarque sur le dos d’Edgar et se cale dans le long pelage doux et soyeux. Il est, à cet instant, empli de gratitude envers la vie. Sa nuit, qui avait bien mal commencée, se terminerait à bon port grâce à la générosité de tous ces animaux qui ont croisé sa route et ont apporté leur aide.


Le grand félin court avec agilité, malgré la neige épaisse. Rapidement, les lumières de la ville pointent à l’horizon et Augustin ne peut s’empêcher de pousser un cri de joie et d’encourager Edgar:

La ville! On arrive! Allez Edgar! Tu es le meilleur!


Mais soudain, AAAHHH! Augustin s’envole brusquement dans les airs, bien que la magie n’y soit pour rien. Une chouette rayée l’a pris pour cible et enfonce ses serres dans le dos de son habit en velours. Le lutin s’élève de plus en plus haut.


S’il vous plaît gentille chouette, lâchez-moi! Je dois absolument me rendre dans la maison de Sophie et Hugo avant l’aube, sinon ils seront extrêmement déçus. Je suisun lutin du Père Noël, voyez-vous. Les enfants attendent mon arrivée avec impatience, explique Augustin, suppliant.
J’ai d’abord cru que tu étais un écureuil ou un tamia… Je suis un peu déçue. Tu ne m’as pas l’air comestible, rétorque la chouette, qui n’en a que faire de la mission d’Augustin. Si je te lâche d’aussi haut, tu te briseras le cou. Je te descends?


Vif d’esprit, Augustin profite de l’occasion et demande plutôt à la chouette de se diriger vers le quartier où résident les enfants. En échange des caramels qu’Augustin réservait à Sophie et Hugo, la chouette accepte de survoler la maison et laisse tomber le lutin dans la cheminée.
L’atterrissage est brutal, mais Augustin n’a rien de cassé. Son sachet de poudre de chocolat chaud est détrempé et éventré, les mini guimauves sont dispersées, ses habits sont déchirés et couverts de suie. Mais il a réussi à rejoindre la maison de Sophie et Hugo.


Trop épuisé de son périple pour jouer un premier tour aux enfants, il s’endort devant le foyer.
À leur réveil, Sophie et Hugo sautent de joie en apercevant leur lutin adoré, couché dans le salon.
Maman! Papa! Augustin est revenu! scandent-ils à l’unisson.


S’approchant pour le prendre dans leurs bras, ils sont surpris de constater l’état dans lequel se trouve le lutin. Levés à leur tour, les parents sont aussi étonnés de trouver Augustin tout dépenaillé. Maman propose de recoudre les habits du lutin et de lui donner un bain moussant et parfumé.


Malgré les bons soins de la famille, Augustin garde quelques cicatrices de son périple épique. Comme Sophie et Hugo ont l’imagination fertile, ils s’imaginent sans mal les épreuves qu’Augustin a surmontées cette nuit-là. Ces marques sont celles du courage, de la résilience et de la force dont il a fait preuve. À partir de ce jour, les deux enfants chérissent encore davantage leur petit lutin courageux et passent le plus beau des Noëls en sa compagnie.

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