Chronique: Un antidote nommé Riley

Par Émélie Bernier 4:00 PM - 8 Décembre 2020
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Ça en prend, du courage, pour consentir à ce que soit écrit noir sur blanc un passé qu’on serait tenté d’enfouir bien au fond de notre mémoire jusqu’à ce qu’une épaisse couche de souvenirs plus heureux l’étouffe. Les écrits restent. Et Jason Côté assume.

Jason Côté n’avait même pas encore franchi le pas entre la petite école et la grande que déjà, il fumait des clopes sous le viaduc du pont Leclerc. Selon une progression assez classique, il s’est mis à picoler. De la bière d’abord. Puis du fort.

Les joints ont fait leur apparition quelque part dans le parcours. Rien de bien exceptionnel dans les années 2000 à Baie-Saint-Paul. Et que celui qui n’a jamais emprunté ce chemin lance la première canette…

Mais Jason avait une petite tendance à lever le coude et à fumer un peu plus que ce que recommande la Santé publique, mettons. «C’était un trip de gang. Au secondaire, je fumais des joints sur l’heure du midi.

Disons que ça ne m’a sûrement pas aidé avec l’école…», confie-t-il.
Au bout du fil, la voix est sereine. Même quand le propos se corse un peu, il y a de la lumière dans les mots de Jason. Si j’étais quétaine, je dirais qu’il l’a trouvée, la lumière, et qu’il l’a suivie.

Ok, je suis quétaine. Mais demeurons dans la chronologie.

Durant ses années à Saint-Aubin, Jason ne connaît pas énormément de succès scolaires. Il décroche, raccroche, re-décroche… Il enfume ses échecs au tétrahydrocannabinol et les noie dans la Wild Cat, mais le «chimique», très peu pour lui. «J’avais peur de ça, la pinotte, la poudre, les pilules…»
Jusqu’à ce jour-là.

La première
Jason venait de quitter le foyer familial pour son premier appartement à Baie-Saint-Paul. «J’avais ma place à moi tout seul, je voulais vivre ma liberté, être une rock star! Un ami qui était dans une passe sombre m’a dit: «on devrait l’essayer, c’est pas si pire, ça a l’air le fun». On a pris un premier speed un après-midi. On s’est clanché une 24 à 2, j’avais jamais fait ça!»

Il venait de goûter au pouvoir magique, et maléfique, des méthamphétamines.
Un goût de revenez-y. Souvent.

«Ça nous permettait de faire le party plus fort, de sortir de notre tête… Je pouvais passer trois ou quatre  jours sans dormir ou presque. Je me couchais avec une et je me levais avec une», dit-il parlant des petites pilules si faciles d’accès. «C’est la façon la plus facile de se détruire», affirme sans l’ombre d’un doute Jason. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je l’ai cru tout de suite.

D’une par jour, il est rapidement passé à une dizaine. Des pinottes, mais pas des cacahuètes.
«Je suis un consommateur de speed», lance-t-il sans tourner autour du pot de pilules.

«Dès le début, une fois que j’ai commencé à consommer, je ne voulais pas débarquer du feeling, revenir dans le réel, parce que le réveil est brutal. Le down du high est désagréable… En étant tout le temps gelé, tout le temps sur ton élan, tu te sens invincible. Je donnais même un meilleur rendement à l’emploi, mais je consommais tout le temps. C’était ma façon de vivre.»

À cette époque, Jason est commis-vendeur de matériaux de construction. Il punche gelé, dépunche tout aussi gelé… L’employeur n’y voit que du feu. «Je cachais bien mon jeu, disons.»

Face à face
Et un jour, Jason s’est vu dans le miroir et il ne s’est pas reconnu. «Déjà que je suis un gars pas très gros…. Dans le miroir, j’ai vu un paquet d’os. J’ai fait un saut. Ça faisait un an que je consommais au quotidien. À ce moment-là, j’ai pris mes affaires et je suis allé chez mes parents. Je me suis assis et je leur ai carrément annoncé que j’avais besoin d’aide.»

Jason salue au passage sa famille. «J’ai des bons parents, ils ne m’ont jamais rejeté. Mon frère a toujours été présent pour moi», glisse-t-il.

Le lendemain, ses parents se pointent avec lui à Vision d’Espoir. Il y rencontre Lucie D’Entremont qui lui conseille une cure de désintoxication à Québec. «Je te le dis tout de suite, la détox a pas marché.»
Il y est resté deux jours.

«Je pensais que j’étais Jésus, que j’étais guéri! Je suis ressorti, retourné dans mon appartement…»
Des petites pilules l’y attendaient bien sagement. «J’ai replongé. D’aplomb.»

Ses souvenirs de cette période-là sont un peu «nébuleux». «Je suis tombé dans la cocaïne. J’avais 20 ans et je me suis poussé à Québec. Là, je me suis lâché lousse…»

Loin de la bienveillance familiale, Jason a trouvé une meute. «C’était plus rocambolesque, disons… Je me tenais avec du drôle de monde. Quand tu es rendu là, tu cherches le type de gens qui ne te jugera pas. C’était une gang pour qui la consommation était carrément un mode de vie. Je me suis éloigné solide de ma famille», dit-il.

Une grosse dérape de cinq mois.

Cinq mois à avoir un pied dans le réel et l’autre dans un monde parallèle. «Je confondais mes rêves et la réalité.»

Dans un éclair de lucidité, Jason a réalisé que la dérape avait assez duré. «J’ai pris la décision de me sortir de ce milieu à Québec, de retourner à l’école. J’ai tout arrêté net fret sec: la cigarette, l’alcool, la poudre… Tout. J’aurais pas dû.»

Son corps a capoté, sa tête encore plus.

«J’ai sauté un plomb et je me suis tapé une psychose. Je me suis réveillé dans un lit d’hôpital, avec ma mère à côté de moi. Ça été tout un électrochoc.» Mais le début de la fin d’une époque qui devait finir.
Jason n’est pas retourné en cure, mais la vie, et sa volonté, lui ont permis de guérir de sa dépendance. Certains événements l’ont fait cheminer vitesse grand V, dont le suicide de cet ami avec qui il avait pris son premier speed. «C’est avec lui que tout s’était déclenché. La veille de son suicide, je lui avais écrit pour qu’on se voit, ça faisait longtemps… Je ne l’ai jamais revu.»
Et il est tombé en amour, un amour qui a porté le plus joli des fruits.

Un antidote prénommé Riley
Il y a deux ans est arrivée Riley. La lumière éblouissante au bout du tunnel. La toison d’or de Jason Côté, ce sont les cheveux blonds et bouclés de sa fille.

«Elle a vraiment changé ma vie. C’est une autre sorte de drogue, mais très saine celle-là! Depuis qu’elle est dans ma vie, j’ai envie de montrer l’exemple. À une certaine époque, je ne me serais jamais vu où je suis aujourd’hui. Et je pense que c’est facile d’être un père, mais je veux être plus que ça, je veux être un bon père», confie-t-il.Et un bon beau-père pour Malyka, la grande sœur de Riley.

Dans ma cuisine de télétravailleuse, je suis bien émue tout d’un coup. Je le trouve héroïque, Jason. Un vrai héros de la mythologie contemporaine.

En février, ça fera quatre ans que Jason n’a pas consommé de méthamphétamine. «Je suis capable de rester dans une consommation légale. Je n’étais pas contre l’ouverture de la SQDC, disons. On sait ce qu’on fume, on sait ce qu’on boit», rigole-t-il. Dans le jargon, on appelle ça la réduction des méfaits.

Parce qu’il a tapé le fond et qu’il a su se donner l’élan pour remonter à la surface, parce qu’il souhaite tendre une perche à ceux qui n’ont pas encore trouvé pied pour se propulser vers la lumière, Jason Côté accepte de partager son histoire. Ici, mais aussi aux étudiants en techniques d’éducation spécialisée du CÉCC.

«Une prof m’a invité à parler de mon histoire. Si ça peut aider…» Parce que l’aide est là, insiste-t-il. «Si ça ne va pas, il faut demander de l’aide, faire confiance à son entourage. Il y a toujours une solution. Il faut vider son sac et essayer de comprendre pourquoi on se pète la face… J’ai fait un gros travail sur moi-même, sur le passé, plein de choses. Faut pas avoir peur de se regarder dans le miroir, disons.»

Et aux proches, il conseille d’être à l’affût.

«Mes parents ont joué un rôle incroyable, mon frère aussi. Même si la personne qui consomme a l’air de ne rien vouloir savoir, elle va l’entendre, que vous êtes là pour elle, si vous lui dites. Il faut être à l’écoute de nos proches, de nos amis. Il y a toujours un signe.»

Et chacun peut trouver sa raison de remonter vers la lumière. Comme le sourire craquant de Riley.

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