La relève au moulin

Par Émélie Bernier 6:00 PM - 23 septembre 2020
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Emmanuel Deschênes et Jean-Guy Tremblay, le présent et l’avenir du Moulin seigneurial des Éboulements.

Son avenir était pourtant tout tracé. Conseiller municipal, ambulancier fort impliqué en tant que représentant syndical au sein de la Corporation des travailleurs ambulanciers de son coin de pays, père d’une belle trâlée de cinq ados, Emmanuel Deschênes n’avait, disons, pas le temps de s’ennuyer ni de remettre son avenir en question. Pourtant, suite à cette visite au moulin qu’il avait voisiné sans jamais le visiter, sa vie allait prendre une tournure imprévue.

« En 2017, quand la municipalité a reconnu le travail de Jean-Guy Tremblay (l’actuel meunier du moulin de la Seigneurie), il y a eu un 5 à 7 avec une visite du moulin. C’est drôle, je suis un gars natif des Éboulements, mais j’avais jamais mis les pieds à l’intérieur. Ça m’a fait un choc! »

Est-ce l’ambiance surannée, les imposants mécanismes de bois patiné par le temps, les murs de pierre sans âge ou l’odeur de grain moulu qui l’ont bouleversé à ce point? Probablement un mélange de tout ça.

« Je suis un gars qui aime l’histoire! J’ai « pogné » de quoi. Il y a quelque chose là qui me parlait. Ça m’attirait sans trop que je comprenne rationnellement pourquoi», dit-il.

Coïncidence, ou pas, le meunier Jean-Guy Tremblay commençait de son côté très sérieusement à penser à la retraite. L’homme est né et a grandi entre les murs du moulin. Son enfance s’est jouée entre les bacs à grains, la meule et la grande roue tournant au rythme du ruisseau. Il a appris le métier de meunier en regardant son père le faire. Il a vécu la restauration des lieux sous l’égide d’Héritage canadien du Québec puis la remise en opération du moulin qui a refait farine dans les années 1990 après une cure de jouvence nécessaire. Il habite toujours dans la maison du meunier, à même le bâtiment historique. À 60 ans et des poussières, M. Tremblay est conscient depuis quelques années déjà qu’il ne pourra continuer à pratiquer ce métier exigeant encore longtemps, mais les candidats ne se bousculent pas au portillon.

Jusqu’à ce qu’Emmanuel entende l’appel!

« L’an passé, j’ai su qu’Héritage canadien, qui est propriétaire du moulin, cherchait activement une relève. J’ai fait une introspection : si je veux aller finaliser ce que j’ai ressenti en 2017, c’est là qu’il faut que je plonge. C’est un « timing « qui ne reviendra pas », explique Emmanuel.

Lorsqu’il a approché Héritage canadien du Québec, Emmanuel Deschênes a mis les cartes sur table. Pas question, pour l’instant du moins, de laisser son métier d’ambulancier. Mais l’intérêt pour la meunerie et le poste « multifonction» de meunier est bien là.

« Je leur ai donné mes disponibilités et je leur ai dit que j’étais prêt à apprendre le métier de Jean-Guy à son rythme, à la façon qu’il a développée. À Jean-Guy, j’ai dit : tu peux me congédier en tout temps. Toutes les parties ont accepté. J’ai plongé.»

Le maître et l’apprenti

Lorsque la fée Patience s’est penchée sur le berceau de Jean-Guy Tremblay, il vaquait probablement déjà à quelque occupation dans sa maison-moulin. Son frère Réal résume parfaitement le personnage. « Avec Jean- Guy, il faudrait que ce soit fini avant de commencer, lance Réal Tremblay. C’est un gars rapide, pour qui ça ne va jamais assez vite ! »

Emmanuel reconnaît ce trait de caractère, mais il se prête au jeu. «J’apprends à la dure, mais droite! rigole-t-il. C’est dur, mais c’est durable, pas de faux plis! Les faux plis ne sont pas permis. Ça fait partie de l’apprentissage. C’est l’école de la vie! Lui aussi, il a appris comme ça, en observant. Il fait tout!»

Emmanuel constate à quel point les chaussures du meunier sont grandes à chausser et se considère chanceux de pouvoir compter sur l’expérience de son mentor. « Ce qui est le fun avec Jean-Guy, après un peu plus d’un an à travailler avec lui, c’est qu’il me fait confiance pour de nouvelles tâches. Il lâche de plus en plus les cordeaux. Mais j’en suis au début, j’ai tout à apprendre », indique-t-il.
Jean-Guy Tremblay n’en fait pas tout un plat, mais sa connaissance du moulin est intrinsèque. Il sait faire la maçonnerie, réparer quelque bris que ce soit détecter presque instinctivement les grains de sable dans l’engrenage géant.

Jean-Guy Tremblay habite toujours le moulin où il est né. Il connaît les moindres rouages et racoins du bâtiment patrimonial.

Jean-Guy Tremblay est un homme de peu de mots.

« J’apprends en le regardant faire! Il ne m’explique pas, mais je pose des questions et j’essaie d’être dans sa tête. Avec Jean-Guy, si tu fais une erreur, tu vas le savoir, ça fait partie du « deal », mais il n’y a aucune rancune et il ne faut pas le prendre personnel. Il a une discipline de fer a l’ouvrage et c’est ce qu’il va falloir que je continue. Il ne fait pas dans la demie mesure. »

Cet automne, l’improbable duo, les Laurel et Hardy de la meunerie, s’attaqueront à la restauration du barrage. Emmanuel y consacrera un mois. «Je commence à assimiler ce que j’ai appris l’an passé parce que j’en suis à mon deuxième cycle des saisons. Malgré ça, je suis encore au début de l’acquisition de connaissances. Ce qui me donne confiance, c’est que Jean-Guy a une attitude incroyable, Il me dit : Je l’ai appris, tu vas l’apprendre. C’est sa façon de me dire que je suis capable. »

«Si quelqu’un est débrouillard, tout s’apprend. Faire de la farine n’est pas compliqué! Une fois que c’est parti, c’est de surveiller, voir ce qui peut arriver, faire l’entretien avant, c’est ça qui est compliqué », résume Jean-Guy Tremblay.

Jean-Guy Tremblay ne cache pas qu’il a hâte de se consacrer à ses passions, la moto et la motoneige!

Emmanuel espère compter sur son mentor pendant quatre ou cinq ans avant la transition officielle. Jean-Guy Tremblay aimerait pouvoir prendre la poudre d’escampette d’ici deux ou trois ans et profiter enfin de ses passions, la moto en été, la motoneige en hiver.
Entre les deux, les hommes trouveront bien un terrain d’entente…

« Je suis capable de concilier les deux solitudes, mais éventuellement je veux être ici à temps plein. C’est ça le but. Je pense que Jean-Guy sera toujours là. Je suis convaincu qu’il va me guider tant qu’il va pouvoir», lance le futur meunier.

D’ailleurs, Emmanuel Deschênes n’a pas l’intention de chasser le maître de céans des lieux. « Jamais je ne vais dire à Jean-Guy de s’en aller. C’est pas moi qui va sortir les Tremblay du moulin! »,

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