Semaine de prévention des dépendances: En valoir la peine

Par Émélie Bernier 3:30 PM - 12 novembre 2019
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Vue de l’exterieur, Marie-Eve Tremblay avait tout pour elle. La jeunesse, la joliesse, des amis, une famille, la vie devant elle.  Mais il manquait un morceau essentiel au casse-tête de son bonheur. L’amour d’elle-même. Marie-Eve aimait si peu cette jeune femme un peu timide, timorée qu’elle rencontrait tous les matins dans le miroir qu’elle a bien failli la noyer. Dans l’alcool. Et la drogue.  A 41 ans, après quelques tentatives infructueuses et bien des montagnes russes, elle est sobre depuis 5 mois.

Et cette fois-ci est la bonne. Elle le sait, elle le sent, elle l’espère aussi parce que pour l’avoir vécu, elle sait que personne n’est à l’abri d’une rechute. A la demande de son intervenante Lucie, qu’elle a rencontré à Vision d’Espoir, elle a accepté d’être porte-parole de la semaine de prévention de toxicomanie. Elle a dit oui parce qu’elle sait à quel point le chemin peut être ardu et à quel point il vaut la peine d’être parcouru, malgré les ascensions ardues, les détours pénibles, les inévitables débarques.

« J’assume à 100% ce que je suis. Je n’ai rien à cacher et je veux être authentique.  Je ne veux ni tomber dans la prétention, ni camoufler des trucs. C’est la première fois de ma vie que je vis quelque chose comme ça, sans filtre », confie-t-elle lorsqu’on lui demande pourquoi elle a accepté de dévoiler ainsi, au grand jour, une facette d’elle-même que très peu de gens choisissent d’exposer.

Histoire brève d’une longue chute

«J’ai toujours été une fille qui aimait le party.  Ça a toujours été là, mais la dépendance, ça n’arrive pas du jour au lendemain », explique Marie-Eve.

Fin des années 1990. Alors qu’elle entame sa vingtaine, Marie-Eve traîne un mal-être croissant. « Je n’étais pas bien dans ma peau. Je me cherchais, beaucoup. Je voulais faire du théâtre, je n’avais pas réussi à entrer dans une école… Cet échec m’avait anéantie.  J’avais un énorme manque de confiance et d’estime », résume-t-elle. La consommation, jusque là récréative, devient de plus en plus un échappatoire, une soupape nécessaire.

«Je me suis mise à consommer autrement. L’alcool me donnait la confiance en moi que je n’avais pas à jeun. J’ai commencé à m’associer à la personne que j’étais en état d’ébriété.  Quand le lien s’est fait, la demande a été de plus en plus forte parce que j’aimais davantage ce personnage que je devenais en consommant », confie-t-elle sans détour.  «L’alcool m’a menée à la coke. J’en prenais pour ne pas perdre la carte. Elle me donnait une impression de puissance, d’être celle que je souhaitais être. »

Comme bien des toxicomanes, elle s’entoure de gens qui partagent ce mode de vie qui fraie avec les extrêmes.  «Je n’étais pas consciente que j’avais un problème, car tout le monde autour se la pétait comme moi. Quelqu’un à l’extérieur de mon cercle m’a aidée à réaliser que c’était allé trop loin », raconte-t-elle. A 30 ans, elle entre pour une première fois en thérapie fermée. La prise de conscience entamée alors aura pris 10 ans à venir à bout de la dépendance. « Je sais, c’est long, 10 ans, quand tu y penses.  Tu es conscient que tu as un problème, qu’il y a quelque chose qui ne va pas en toi, mais le trois quart du temps, tu n’es même pas en contact avec toi-même. C’est difficile de faire beaucoup d’introspection dans ces circonstances-là…»

Des lendemains qui déchantent

Les lendemains de veille sont de plus en plus pénibles. « Ma consommation augmentait, je buvais jusqu’à perdre la carte. Et de plus en plus souvent, je n’avais aucun souvenir de ma fin de soirée de la veille. Je me suis déjà réveillée à l’hôpital parce que je m’étais plantée, mais je ne savais ni où ni quand ni comment.… Je me disais qu’un jour, il m’arriverait quelque chose d’irréversible », confie-t-elle.

3 thérapies fermées ne permettront pas à Marie-Eve de venir à bout de sa dépendance. À chaque rechute, Marie-Eve tombe un peu plus bas.

« A la 3e, seulement, j’ai compris que j’avais perdu la maîtrise de ma vie », dit-elle. Sa vie professionnelle, sa vie de couple, ses relations avec ses amis, sa famille, rien ne va plus. « Ma vie tournait toujours autour de la consommation. Les trois fois où je suis allée en thérapie fermée, je suis allée pour les autres, parce que mes amis, ma famille s’inquiétait, que ça n’allait pas bien dans ma vie de couple, c’était chaotique. Mais la dernière, à Vision d’Espoir, je l’ai fait pour moi.  Franchement,  je ne donnais plus cher de ma peau.. »

Les étés charlevoisiens

Si Marie-Eve habite pour la plus grande partie de l’année à Québec, l’été, elle vient donner un coup de pouce à son frère qui tient une auberge. C’est en cherchant à se joindre à un meeting des AA dans la région qu’elle est tombée sur l’organisme qui a pignon sur rue à Baie-Saint-Paul. « J’ai parlé à Lucie au téléphone. C’est devenu mon intervenante. Elle m’a dit : ce ne sera pas facile, mais tu en vaux la peine ». Cette phrase… Il fallait que je réalise ce que je valais, mais aussi pourquoi je consommais. J’ai réalisé qu’à bien de moments, l’alcool m’avait donné le goût de vivre. Mon regard envers moi était très sombre et l’alcool m’apportait de la lumière. Mais c’était une arme à double tranchant… Pour m’en sortir, il fallait que je me fasse assez confiance, que j’aie assez d’estime envers moi pour me dire que j’étais capable d’affronter la vie sans ça.»

Vision d’Espoir, et Lucie,  lui ont permis de franchir ce pas.

« J’ai créé un lien de confiance avec mon intervenante. Le feedback qu’elle me renvoyait, c’est qu’à chaque rechute, j’avançais. J’ai purgé ma peine. J’ai enfin senti une paix, un désir d’aller mieux s’installer. J’ai réalisé que oui, j’étais capable. Que oui, j’étais mieux sans cette béquille », dit-elle.

Et elle a développé son « coffre à outils», celui qui lui permet de désamorcer ses élans vers la dive bouteille. « Non, je n’y pense plus tous les jours, ça a fait son temps. En fait, ça prend au cerveau environ un mois pour arrêter de faire l’association entre l’alcool et ton prétendu bien-être, défaire le lien qui fait que la consommation est associée à une récompense… Il faut trouver quelque chose pour pallier à ça et l’accompagnement des organismes comme Vision d’Espoir t’aide à le faire », explique Marie-Eve.

Ses trucs à elle? Marcher, beaucoup, longtemps. Voir des amis qui comprennent la situation qu’elle vit.  Écouter des films. Et travailler, constamment, sur elle. «J’ai appris à gérer davantage mes émotions, à voir les situations autrement pour désamorcer l’anxiété, à moins sombrer dans l’apitoiement, la victimisation.   Ça nourrit beaucoup la bête, cette impression de ne pas avoir de pouvoir sur ma vie.  J’ai réalisé que toutes les raisons étaient bonnes pour plonger dans l’autodestruction! ».

Le pouvoir du brownies

D’alcoolique, elle est devenue « chocoolique », dit-elle en s’esclaffant. Plus sérieusement, elle admet avoir peur de la rechute.  « Oui, je vis dans la crainte de la rechute. Si je virais une cuite là, je ne sais pas ce qui pourrait arriver, et oui, j’ai peur. Je ne sais pas si je pourrais supporter de me réveiller…», glisse-t-elle. Elle ne veut pas taire cette peur, qui est un outil, comme un autre, dont la fierté.

« J’ai cheminé et je suis fière de mon abstinence. Desfois, ça m’arrive d’y penser, de me dire que j’en virerais une… Parce que je vis des contraintes, par exemple. Mais je fais tout pour revenir dans la réalité quand mon émotion dérape.  Je sors, je vais faire un meeting, j’appelle un ami, je médite. Et ça passe aussi vite que c’est venu. »  Le chocolat est son nouveau « kick ». Quand j’ai une petite crisette, c’est fou le pouvoir du chocolat! Ça replace les esprits! C’est réconfortant ! »

Et plus le temps passe, plus elle se sent forte. Et à titre de porte-parole, c’est ce qu’elle souhaite véhiculer comme message. « La vie m’a donné un citron, je veux en faire une limonade.  Plus le temps passe, plus  je reçois le côté positif de ce que j’ai vécu. Je pense que je suis devenue plus humaine.. Tout ça a créé une forme d’empathie, une envie de redonner au suivant. Mais oui, je dois replacer mes bases si je veux devenir une meilleure version de moi-même. Ça été tellement le bordel! » Elle salue ses proches qui ne l’ont jamais lâchée, malgré la colère et l’impuissance qu’ils ont pu ressentir. « Ils m’ont vu rechuter, revivre à chaque jour mon Jour 1… Je sais bien que je leur en ai fait vivre de toutes les couleurs. Parfois, les proches ont aussi besoin de se faire aider pour passer à travers… »

Tu en vaux la peine

Marie-Eve Tremblay enfile son grand chapeau de porte-parole pour passer quelques messages.

«C’est tabou, la dépendance, ce n’est pas noble. Tu ne veux pas que les gens le sachent, qu’ils pensent que tu es instable, pas fiable…Mais a un moment donné, il faut admettre que tu es impuissant, que tu n’as plus le contrôle et que ça prend trop de place. On le sait, quand on a un problème », dit-elle. Et il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. « A quelqu’un qui a un problème de dépendance, c’est ça que je dirais. « Tu en vaux la peine ». Prendre soin de soi, c’est la clef de la sobriété ».

 

 

 

 

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