Assis, mais pas arrêtable

Par Émélie Bernier 3:50 PM - 24 septembre 2019
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Qu’est ce qui fait qu’on rebondit ? Pourquoi, lors d’une chute, certains s’écrasent dans un grand splash irréversible tandis que d’autres parviennent à transformer l’énergie négative du choc en élan? Quel est le secret de ces ninjas?

Parce qu’il n’y a rien de tel qu’aller à la source pour comprendre les grands mystères de l’existence, je me suis mise en quête d’un ninja. Et j’en ai trouvé un. Plutôt facile, la tâche, d’ailleurs. Il était un des peintres à l’honneur d’un vernissage au Carrefour culturel Paul-Médéric. Parce qu’on est en 2019 et que l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite est encore loin d’être une réalité partout, il ne pouvait même pas accéder à sa propre exposition par lui-même…

Car oui, Marco Pilotto est tombé. Et ne s’est jamais relevé. Pas sur ses jambes du moins.

Dans sa tête, il court toujours !

La vie devant lui

Un 20 janvier, alors qu’il dévalait libre comme l’air une piste du Massif, ses skis ont cessé d’avancer subitement. Son corps, tête première, a continué. Une fraction de seconde. Fatidique pour sa 6e vertèbre et  fatale pour sa mobilité de bipède. «Je me suis rendu compte que j’étais paralysé avant de passer out dans l’ambulance. J’ai vu le tunnel. Ça a duré 8 jours. J’entendais toutes sortes de choses, mais je n’avais pas de voix. J’étais maintenu sur plein de drogues, je faisais des cauchemars. Quand je me suis réveillé, j’ai entendu la machine qui respirait à ma place», évoque-t-il. Il avait 44 ans. Une vie derrière, et bien résolu à avoir une vie devant.

Jusque-là, Marco Pilotto fabriquait des planches à neige. Et pas qu’un peu. 10% de la production mondiale de « snowboards ». Avant d’être brusquement interrompu dans sa descente, c’était un plus que sportif, un hyperactif au sens littéral du terme.

« J’ai toujours travaillé dans l’industrie du sport.  J’ai vendu des produits qui me permettait de pratiquer mon plaisir. Ski, planche à voile, planche à neige… Je suis graphiste de formation, mais la pub, l’environnement superflu qu’on crée pour vendre des choses superflues dont on n’aura pas besoin l’an prochain, très peu pour moi », explique-t-il, calé dans son fauteuil.

Plat dans le bon sens du terme

Marco habite Baie-Saint-Paul depuis quelques mois. Il y a trouvé l’amour et un environnement suffisamment « plat » pour s’y sentir libre! Depuis peu, il habite une maison qu’il a conçu pour répondre à ses besoins d’homme à roulettes.

 

Au bout de l’immense table de réfectoire autour de laquelle ont été échafaudés les plans de la maison traînent deux grandes tasses remplies de pinceaux. Marco est tétraplégique (paralysé des quatre membres, bras et jambes), certes, mais il peint. Une orthèse lui permet de tenir le pinceau et de créer ses tableaux, joyeux, oniriques, lumineux. Il y apparaît souvent sur ses jambes. «La nuit, je marche », glisse-t-il.

 

Et le jour, il roule et pas dans n’importe quel bolide ! Un carrosse « custom fit », manuel, léger et versatile qui lui permet d’aller partout… ou presque.

«Je me suis vite aperçu que les fauteuils étaient hyper mal conçus, donc j’ai fondé ma compagnie de pièces de fauteuil roulant pour faciliter la vie des «assis » comme moi», explique-t-il.  Assis, mais pas « arrêtable », disions-nous.

Le ninja Pilotto a transformé sa nouvelle réalité en élan. «Je suis un débrouillard, c’est dans ma nature. J’ai vu ma nouvelle condition comme un défi et je l’ai embrassé. Je me suis dit dès le début : « je vais sortir de là le mieux que je peux». Je vais créer des affaires pour ceux qui sont pris comme moi.  Ma voix va parler! Je ne me voyais pas autrement. Oui, j’ai une limitation physique, mais je m’en fous! »

Viser haut

Lorsqu’il a commencé sa réadaptation au centre François-Charron (François-Chialons pour les intimes), on a demandé à Marco Pilotto ses attentes. Elles étaient élevées. « Ils m’ont demandé « Qu’est-ce que tu veux en sortant d’ici? Moi? C’est simple :  prendre l’avion, faire l’amour et faire du ski de fond », se remémore aujourd’hui en riant la « bête noire » du service.  Malgré le scepticisme des troupes, il a atteint la plupart de ses objectifs. Il a cependant besoin d’aide pour certains aspects de sa vie. Passer de son fauteuil au lit et vice versa, par exemple. « Il y a des choses que je ne peux pas faire, mais il y en a beaucoup que je peux faire », résume-t-il.

Marco Pilotto a la chance d’être tombé sur une amoureuse aussi crinquée que lui. Sa belle, qu’il a rencontré grâce à ses tableaux,  l’a convaincu que son art était dû pour être vu. Avec sa bonne fée Cathy, sa “reine de Charlevoix”, il a fait de la chaloupe et de l’hélico, il court les expos, il fait la fête avec des amis.  Bref, il vit!

« Quand je suis tombé, j’avais 44 ans, j’étais complètement accompli. J’avais eu une vie merveilleuse, mais maintenant, il faut qu’elle soit fantastique! », lance-t-il, un grand sourire éclairant son visage.

 

Alors si vous croisez « le monsieur de la rue Tremblay », dites-lui bonjour… À votre tour, vous pourrez raconter que vous avez rencontré un ninja!

Photos: merci à Cathy Martin!

 

 

 

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