À quoi t’as pensé?

Par Émélie Bernier 3:40 PM - 4 juin 2019
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Salut. Je ne sais pas trop par où commencer, mais j’ai eu envie de t’écrire une lettre parce que tu dois être en train de passer un mauvais quart d’heure. Tu dois la revirer dans ta tête, la question que je te pose…

Que tout le monde se pose. Pourquoi t’es partie?

Un accident, ça arrive. Je sais que tu n’avais pas l’intention de mettre fin à la vie d’un ado ce fameux jeudi-là.  Je ne pense pas me tromper en disant que tu vas regretter toute ta vie cette  ride de char qui aura changé radicalement le cours de ton existence.

Et pas seulement de la tienne. Tu le sais, ça aussi. Tu as brisé le cœur de bien du monde en frappant un gentil petit gars dans la fleur de l’âge. Ses parents, ses proches, ses amis, tu les as frappés eux aussi.  En plein cœur. Pas de quartier. Et si tu as pu te sauver du lieu de l’impact, tu ne pourras jamais te sauver d’eux. Ni des remords qui, j’imagine, te  grugent le dedans.

Je n’écris pas ça pour te faire capoter. Tu capotes déjà, c’est sûr. J’écris ça parce que j’essaie de comprendre à quoi t’as pensé.

Tu n’es pas la seule personne de l’Histoire à avoir choisi de  prendre la poudre d’escampette et de ne pas affronter ta responsabilité, tu sais. On n’a pas inventé l’expression délit de fuite pour rien. On cherche encore le chauffard qui a tué Étienne Gourde en 2013 à Loretteville. Étienne venait d’avoir 28 ans et il marchait peinard vers chez lui après une soirée avec des amis. Le gars qui l’a percuté s’est poussé sans regarder derrière. Six ans plus tard, la famille d’Étienne espère encore que le chat sortira du sac. M’est avis que tapi au fond de son sac plein d’ombres, ledit chat ne doit pas dormir sur ses deux oreilles… Et des exemples comme ça, il y en a tout un tas.

Pourquoi on se sauve après une collision? Dur d’imaginer qu’on puisse frapper un être humain et ne pas s’en rendre compte.

Il y a des choses comme ça qui dépassent l’entendement.

Tu as sûrement eu peur. Peur des conséquences de ton geste. Peur de perdre ton permis, ta job. Peur de perdre la face, qui sait.

Et la peur de perdre ton humanité en te sauvant loin de ton  prochain en détresse, elle ne t’a pas traversé l’esprit?

Le petit gars qui est mort parce que tu as foncé dedans avec ton char avant de sacrer ton camp avait un sourire craquant, des copains, des rêves, des passions. Son cœur bat peut-être aujourd’hui dans le corps de quelqu’un d’autre tellement le sien était grand et pur.

Toute une communauté est sous le choc. Toute une école apprend à dealer avec un pupitre vide.

Les accidents, ça arrive, mais on ne peut pas éternellement esquiver les conséquences de ses actes. Si ce n’est pas un juge qui se sert des textes de lois pour déterminer la sentence,  c’est l’auteur de l’acte répréhensible lui-même qui se condamne, par son silence, à vivre dans la fange de ses mensonges. Une punition plus lourde encore peut-être. Les hindouistes appellent ça le karma.

Et si ce n’est pas dans cette vie-ci que la balance se rétablit, ce sera dans la suivante, si tant est qu’il y ait une autre vie après celle-ci.

A tous les amis et les proches de ce charmant jeune homme privé bien trop tôt de la sienne,  je tiens à offrir mes plus sincères condoléances. C’était votre pote, votre fils, votre frère, votre cousin, votre voisin.

Honorons sa mémoire en signant notre carte de dons d’organes. En assumant nos bourdes, petites ou immenses. En conduisant prudemment. Rien n’est suffisamment urgent ou important pour valoir plus que la vie d’un enfant.

Même pas la peur de perdre la face. Alors, dis, pourquoi t’es partie?

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