Charlevoix tombe dans le trou noir

Par Jean-Sébastien Tremblay 2:30 PM - 6 Décembre 2017
Temps de lecture :

Julie Brassard

Le phénomène du trou noir de l’assurance-emploi prendra cette année une ampleur inégalée. Au total, plus de 2 000 travailleurs saisonniers charlevoisiens seront privés de revenus pour une longue période pouvant dépasser dix semaines en 2018. En prévision du désastre annoncé, les chômeurs se mobilisent.
Julie Brassard, directrice du Mouvement Action-Chômage, décrit la problématique. Ironiquement, le faible taux de chômage, qui est actuellement de 6,7 %, est la principale cause de l’aggravation de la situation cette année. Elle explique que le nombre de semaines durant lesquelles un travailleur peut recevoir de l’assurance-emploi est calculé en fonction du nombre d’heures travaillées durant la période de référence et du taux de chômage dans la région déterminée par le gouvernement fédéral. « Plus le taux de chômage est bas, plus le trou noir est grand », soutient-elle.
De plus, le taux de chômage est calculé pour un secteur déterminé. Ainsi, aux fins d’assurance-emploi, le gouvernement fédéral amalgame Charlevoix, une partie du Saguenay, de la Côte-Nord et du Bas-Saint-Laurent dans le secteur 19. « La réalité ces régions est totalement différente de celle de la nôtre ! Elles sont industrialisées, alors que nous vivons du tourisme saisonnier », avance-t-elle. Selon le dernier recensement de Statistiques Canada, le taux de chômage charlevoisien serait entre 9,7 % et 11,8 %. Selon la directrice générale, à cause de cette déformation statistique, les travailleurs d’ici doivent donc faire 135 heures de plus, pour obtenir cinq semaines de moins d’assurance-emploi.
À titre comparatif, elle souligne qu’au début des années 2000, lors du Mouvement des Sans-Chemise, les trous noirs étaient de deux à quatre semaines, et il fallait 420 heures pour se qualifier pour des prestations d’assurance-emploi.
Julie Brassard tient à démystifier la croyance populaire selon laquelle il suffirait que les travailleurs saisonniers occupent la pléiade d’emplois disponibles dans la région pour régler le problème. « Malheureusement, ce n’est pas aussi simple que ça. Ils n’ont pas la formation nécessaire ou les habiletés requises pour occuper certains postes disponibles. De plus, certains emplois offerts sont saisonniers. Ça ne fait que déplacer le problème », décrit-elle. L’âge plus avancé de plusieurs chômeurs et le manque d’éducation sont également rébarbatifs pour certaines entreprises.
Pour cette dernière, la solution proposée par la députée fédérale Sylvie Boucher (voir autre texte), soit de séparer Charlevoix du secteur 19 n’est que temporaire. « Le taux de chômage va continuer de descendre. Les jeunes quittent la région, et ceux qui restent vieillissent », soutient celle qui sent la panique s’installer chez les 2 000 personnes touchées par le trou noir. « Ces gens travaillent et ont une fierté. L’aide de dernier recours n’est pas une solution », souligne-t-elle.
Présentement, le Mouvement Action-Chômage se mobilise et rencontre les chômeurs pour les sensibiliser à la situation. Plusieurs groupes de pression, dont l’organisme charlevoisien, ont interpellé et discuté avec le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social Jean-Yves Duclos, responsable de l’assurance-emploi. « Si nous n’avons pas de réponse en janvier, nous allons nous mobiliser. Nous irons à Québec et à Montréal dans les bureaux gouvernementaux. Nous organiserons aussi une manifestation. », avance celle qui invite la population à se questionner sur l’avenir de Charlevoix.
Deux travailleuses saisonnières témoignent
Rencontrées lors d’une réunion particulièrement achalandée du Mouvement Action-Chômage, deux dames ont accepté de se confier au Charlevoisien. La première, âgée dans la cinquantaine, qui travaille dans la restauration depuis plusieurs années, énonce : « Je n’aurai plus de revenus à la fin du mois de janvier 2018. Ma priorité sera de manger. Pour l’hypothèque, les paiements de voitures et les dettes, on verra ! ». Sa collègue de travail, mère célibataire d’un enfant de 9 ans entrera dans le trou noir en février 2018, partage ses inquiétudes : « Je ne sais pas comment je vais faire pour arriver, vraiment pas ! » confie-t-elle. Toutes les personnes présentes s’entendent pour se mobiliser le plus rapidement possible au début de l’année 2018.

Partager cet article