Un toit vaut mieux que deux tu l’auras
Un toit adéquat sur la tête est un des fondements du bien-être des êtres humains selon la pyramide de Maslow. Istock
Des tentes dans le parc du Gouffre en plein novembre. Des dizaines et des dizaines d’annonces de personnes qui cherchent à se loger de façon d’abord pressante, puis urgente et éventuellement désespérée. Des listes d’attentes et des délais interminables pour l’accès à des logements sociaux. Des demandes d’aide alimentaire qui explosent… On la sentait venir depuis quelque temps, mais l’année 2023 aura été celle de l’éveil, sans ” réassoupissement ” possible, à cette réalité persistante. Le clivage entre les mieux et les moins nantis se creuse dans Charlevoix. Et la région à la réputation d’accueil historique manque de toit!
Improbable commune
Dans la maison de Marie* et Vincent*, la vie a fourmillé avec une intensité peu commune cet automne! Durant plus de trois mois, le nombre de personnes résidant à leur adresse a plus que doublé puisqu’un second clan s’est installé, tant bien que mal, dans le sous-sol. Appelons le second duo de parents Anne* et Albert*, tiens. Venus de loin, les ” colocs ” préfèrent ne pas être identifiés. Vous comprendrez : quand on est issu de la précarité autant que de la diversité, on souhaite éviter d’attirer encore davantage la poisse et/ou l’attention…
Comment cette inusitée commune a-t-elle vu le jour?
Un premier indice : pénurie de logements. Un second : humanité.
Vous souvenez-vous de la pyramide de Maslow, ce concept auquel s’est frotté à peu près tout étudiant ayant vaguement approché les contours de la sociologie?
Tout en bas de cette pyramide qui hiérarchise les besoins des êtres humains se trouvent les besoins physiologiques (respirer, se nourrir, dormir…). Juste au-dessus se pointent les besoins de sécurité, dont ” un environnement stable et prévisible “. On comprend que dormir sous un toit est un élément essentiel à une vie épanouie.
Mais revenons-en à Marie, Anne, Vincent et Albert.
Lorsqu’Anne a appris qu’elle obtenait un emploi au Québec, toute la famille s’est réjouie! Même les tout petits, nonobstant le fait que la nouvelle impliquait de se séparer de maman durant quelques mois…
L’arrivée au Québec a surpris et enchanté Anne, malgré le contraste saisissant entre la terre natale et celle d’accueil.
Anne, en solo, a d’abord été logée par son employeur. Puis elle s’est mise à chercher un logis pour sa troupe, et ce, tout en trouvant ses nouveaux repères au Québec, en débutant un nouvel emploi, en essayant de comprendre toutes les subtilités de la vie nord-américaine, d’obtenir son permis de conduire, de trouver une garderie pour les plus petits…
Même en cherchant très fort, même en étant supportée par le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA Charlevoix), Anne a vite réalisé que des logements pour l’accueillir décemment avec sa tribu, il n’y en avait tout simplement pas. Et disons-le : là d’où elle vient, la décence est pas mal moins capricieuse qu’ici.
C’est ainsi que, par un hasard de circonstances, après quelques circonvolutions et beaucoup, beaucoup de stress, toute la famille s’est retrouvée à ” squatter ” temporairement le sous-sol de Marie et Vincent et de leurs enfants.
La solution d’urgence, d’abord prévue pour quelques semaines tout au plus, a duré plus de trois mois.
La famille d’accueil improvisée a adoré l’expérience interculturelle, les soupers en gang, l’esprit de commune… ” Ce sont des gens habitués de vivre en communauté, on ne s’est pas senti envahi du tout. Ils sont super souriants, de bonne humeur! Ils ont un rire contagieux et je suis franchement heureuse d’avoir pu vivre ça dans ma maison! “, relate Marie.
Mais la situation n’avait rien d’idéale. Dans la valse étourdissante de la recherche d’un chez eux, entre espoir et déconfiture, Anne et Albert n’osaient pas trop défaire les valises et s’installer. C’est un peu le principe du ” temporaire “…
Heureusement, ils ont fini par trouver quelque chose qui leur convient. Un petit appartement pas trop crado qui a le grand mérite d’être, enfin, le leur. Les valises à moitié défaites ont été bouclées.
La smala du sous-sol a gravi les escaliers pour de bon.
L’amitié entre les deux familles, elle, est là pour rester.
” On est devenu très proche et ça va rester! Cette expérience est venue ouvrir un pan de valeur chez nous: le partage, la générosité… Je pense que ça va teinter ma vie pour les dizaines d’années à venir. Et de donner cet exemple à mes enfants, c’est génial! “, m’a raconté Marie.
Elle questionne toutefois la façon de faire de l’employeur d’Anne et, plus largement, tout le système d’accueil des travailleurs, étrangers ou pas, sur qui on compte pour contrer la pénurie de main-d’œuvre.
” Ce n’est pas de la malveillance, mais plutôt de la méconnaissance. Il y a tout un volet de l’accueil qui gagnerait à être développé. Est-ce que l’employeur ne devrait pas s’assurer que les travailleurs qu’il fait venir puissent se loger? “
Bonne question, Marie.
Mot clé : accessibilité
Il suffit de jeter un coup d’œil au portail Logement Charlevoix pour réaliser à quel point le marché immobilier locatif est tombé sur la tête. Mi-décembre, on n’y dénichait que six annonces pour toute la région. Tous dans l’ouest. Les prix y sont… comment dire… prohibitifs? Du (petit) lot, un 5 et demi à 1 550 $, un 6 et demi à 2 500 $… Qui a les moyens de se payer ça? La plateforme mise en place par Développement Social Intégré Charlevoix (DSI) est une initiative fantastique qui se heurte toutefois à la réalité d’un marché en déséquilibre absolu.
Sur les pages Facebook de location, les prix ne sont guère plus avenants. Et la demande supplante largement l’offre…
Mode solution
Quelques initiatives prometteuses se pointent le bout du nez, mais il y a loin de la clé dans la serrure.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement estime que le Canada est en déficit de 3,5 millions de logements pour assurer l’abordabilité et l’accessibilité. Au Québec, ce chiffre est de 600 000. On aura beau chialer, se désoler, pointer du doigt les Airbnb de ce monde, si on n’agit pas, rien ne changera.
Le gouvernement fédéral a ressorti des boules à mites le concept des catalogues de ” prêt-à-construire ” de l’après-guerre qui permettra, dit-on, d’accélérer l’obtention des permis et les mises en chantier. La voie des minimaisons est prometteuse, mais elle ne convient pas à des familles comme celle d’Anne et Albert, évidemment. Et il faudrait que les municipalités ouvrent les valves. Nos villes ont des projets, c’est beau, mais le temps presse…
Il faut une législation forte pour éviter une gentrification de nos villes et villages et le syndrome des belles grandes maisons aux lumières fermées. Les maisons sont faites pour être habitées, non?
Drapeau rouge sur la loi 31, dont l’adoption a heureusement été remise à la reprise des travaux parlementaires. Cette loi met en péril la cession de bail et donne beaucoup de latitude aux propriétaires.
Haro sur la surenchère! Qu’on parle de vente ou de location, le juste prix devrait être la norme. Et dans un monde idéal, ce juste prix ne dépasserait pas 30 % des revenus de celui ou celle qui doit le payer.
Que 2024 soit une année durant laquelle on se permet de rêver.
Mais surtout on choisit d’agir.
*Noms fictifs.
#JeSuisSophie
Dans un budget équilibré, 30 % des revenus devraient être dévolus au logis. Prenons le cas, fictif, mais réaliste, de Sophie. Sophie travaille à temps plein (37,5 heures par semaine) dans le commerce de détail. Son salaire de 19,75 $ de l’heure (presque 5 $ de plus que le salaire minimum, précisons-le!) lui garantit un salaire brut mensuel d’environ 3 200 $. De ce montant, 354 $ iront directement dans les poches du fédéral, 258 $ à l’impôt provincial, 38 $ à l’assurance-emploi, 177 $ au régime des rentes du Québec et 15 $ au régime québécois d’assurances parentales, pour un grand total de ponction d’environ 840 $. Salaire net après ce coup de râtelier? 2 300 $ et des poussières.
Maman monoparentale, Sophie a deux enfants dont elle a la garde 12 jours sur 14. Son appartement de deux chambres à coucher (les deux filles partagent une chambre) lui coûte 1 500 $ par mois, non chauffé, non éclairé, non ” interneté “. Et bien sûr, la bouffe dans le frigo et dans le garde-manger n’est pas incluse non plus…
Pas besoin d’un bac en math pour en venir à la conclusion que le 30 % est largement dépassé… avec les conséquences que l’on devine. Fini, les petits extras à l’épicerie. Sous le sapin, on a opté pour la sobriété. Et récemment, Sophie a dû se résoudre à ce qu’elle n’aurait jamais pu imaginer : faire appel à la banque alimentaire. Déjà stratosphérique, le nombre de personnes ayant reçu de l’aide alimentaire a bondi de plus de 30 % depuis un an et de 73 % depuis 2019, découvre-t-on dans le Bilan-Faim 2023 du réseau des banques alimentaires du Québec. 872 000 personnes sont aidées chaque mois. Ça, c’est un Québécois sur 10.
Sophie n’existe pas, mais on connaît tous une Sophie. Et elle est plus près de vous que vous ne le croyez.
Êtes-vous Sophie?
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