Feux de forêt: les pourvoiries craignent de voir l’industrie convoiter leurs forêts

Par Pierre Saint-Arnaud 5:15 PM - 13 décembre 2023 La Presse Canadienne
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Dominic Dugré, président-directeur général de la Fédération des pourvoiries du Québec (FPQ). Photo THE CANADIAN PRESS/Jacques Boissinot.

Les pourvoiries du Québec craignent que l’industrie forestière soit mise en appétit par leurs forêts, après un été où une grande part de leur menu habituel a été calciné.

Après une «saison de tous les records», comme l’a qualifiée la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), où 4,5 millions d’hectares de forêt se sont envolés en fumée, les forestières devront en effet regarder ailleurs.

«L’industrie a procédé à des coupes rapides, des récoltes rapides, mais on sait qu’on ne pourra pas récolter beaucoup plus qu’à peu près 10 % des superficies qui ont été brûlées», explique Dominic Dugré, président-directeur général de la Fédération des pourvoiries du Québec (FPQ). 

«Pour le reste, il va falloir qu’elle se tourne vers des forêts qui n’ont pas été exploitées depuis 20, 30, 40 ou 50 ans et nous, on défend ces territoires-là pour les protéger le mieux possible. On a encore des pourvoiries qui ont des bons massifs de bois qui n’ont jamais été coupés ou qui ont été coupés il y a 70 ans.»

On ne s’étonnera donc pas de l’entendre dire que le milieu «craint beaucoup d’être dans la cible de plusieurs industriels forestiers pour venir faire de la récolte accrue chez nous».

Des forêts déjà ciblées

L’inquiétude a été multipliée par les prévisions de récolte pour l’été prochain. «Ce qu’on sait, c’est que déjà l’an prochain, il y a certaines pourvoiries où il la planification de coupe peut couvrir plus de la moitié et même jusqu’à 70 % du territoire», selon certaines cartes que la Fédération a pu consulter. 

Les compagnies forestières peuvent effectivement exploiter le territoire des pourvoiries, qui n’occupent pas des réserves fauniques ou des Zones d’exploitation contrôlées (ZEC), mais bien des forêts publiques dont elles ne sont pas propriétaires et où l’exploitation de la ressource est permise. 

Dominic Dugré est bien conscient que ses membres font face à un poids lourd.

«Le ministère des (Ressources naturelles et des) Forêts, c’est un ministère qui est quand même assez pesant. Et puissant aussi», laisse-t-il tomber. Il souligne que, traditionnellement, la Fédération n’a pas l’habitude de faire des sorties publiques pour revendiquer, «mais là on est rendu à un stade où on n’a pas le choix. On sent qu’il n’y a pas d’écoute.»

Plans individualisés

La Fédération réclame, au nom de ses 330 membres, un «plan d’aménagement durable par pourvoirie» qui tiendra compte des aspects de la coupe et de la voirie forestière. «On veut pouvoir s’asseoir en amont de toute la qualification pour identifier sur nos territoires nos principales unités d’hébergement, nos sites un peu plus sensibles que ce soit pour la protection des orignaux, de l’habitat d’une autre espèce, etc., pour s’entendre sur les secteurs où il y aura des coupes, pour planifier des chemins qui vont pouvoir m’être utiles à moi aussi, le pourvoyeur», plaide-t-il.

Car l’industrie, qui crée 4200 emplois et reçoit plus de 520 000 clients annuellement, tant pour la pêche (surtout) que pour la chasse et de plus en plus la villégiature et le plein air, ne s’oppose pas aux coupes sur ses territoires, loin de là. «Un bon pourcentage de notre clientèle travaille dans l’industrie forestière. On fait nos achats pour la pourvoirie en région, dans les villages. On côtoie ces gens-là et on est bien conscient que l’industrie forestière économiquement parlant, c’est une force au Québec. On veut juste que ça soit fait différemment.»

«On occupe à peu près 1 % du territoire du Québec et pas loin de 4 % du territoire forestier productif. Donc, quand on demande des choses, ça n’a pas un gros impact sur l’industrie forestière. Mais quand eux autres font des choses sur nos territoires, ç’a un impact énorme», souligne-t-il.

Des passionnés

Or, le territoire, c’est le gagne-pain des pourvoyeurs, rappelle Dominic Dugré, qui évoque le risque que prennent ces entrepreneurs.

«Comment peut-on se consolider, déjà qu’on est dans une position difficile comme pourvoyeur, quand on vient t’enlever une trop grosse portion de ton territoire? Il faut être un peu – en fait pas mal – passionné pour opérer une pourvoirie sur des terres qui ne t’appartiennent pas, investir un demi-million, un million de dollars en infrastructures sans devoir en plus faire face à de l’incertitude vis-à-vis de l’industrie forestière.» 

Il cite l’exemple d’une pourvoirie dont 20 % du territoire est visé pour l’exploitation forestière l’été prochain. «C’est peut-être seulement 20 % l’année prochaine, mais dans les cinq dernières années, on a déjà coupé 30 %. En cinq ans, c’est quand même 50 % de la pourvoirie, ce qui ne fait aucun sens.»

Aires protégées

On ne s’étonnera donc pas que la Fédération cherche aussi à protéger le territoire par une autre voie, soit celle des aires protégées et l’engagement du gouvernement Legault de protéger 30 % de la superficie du territoire québécois.

«Des aires protégées, on en a déjà un peu sur nos territoires. Certaines en ont des grandes superficies et on a aussi des petits refuges fauniques de faible superficie, mais notre intention, c’est de soutenir le gouvernement dans l’atteinte de l’objectif pour que 30 % de la superficie de nos territoires soit aussi protégée.

«Peut-on essayer d’avoir un peu plus de certitudes puis s’entendre? La plupart des pourvoyeurs vont être heureux de montrer à leurs clients une foresterie qui est bien faite. L’idée, ce n’est pas de protéger l’ensemble des territoires de pourvoirie ou la plus grande superficie d’un territoire. C’est du cas par cas.» 

Il insiste sur le fait qu’un plan d’aménagement par pourvoirie permettra de «vraiment raffiner la foresterie sur le territoire de petite superficie. Et puis, on va arrêter d’être vu comme un irritant pour l’industrie forestière. Mais actuellement on est consulté uniquement à la fin du processus de planification des coupes». 

Or, le fait d’intervenir à la fin du processus peut facilement s’avérer irritant pour l’industrie lorsqu’on s’aperçoit que le plan risque de dénaturer une pourvoirie. «Quand on constate, par exemple, que 70 % du territoire d’une pourvoirie sera affecté, ça n’a pas d’allure. Mais en bout de ligne, tout le monde finit par réaliser à cette étape que non, ça n’a pas de sens. Mais il faut continuellement se battre», soupire M. Dugré.