Ils sont Charlevoix

Par Emelie Bernier 1:44 PM - 20 septembre 2022
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Une longue tablée de presque 100 convives. Les effluves délicieux, les rires, la complicité. À la préparation du repas, deux couples complices: Nour-El-Houda Djebar et Abdelkarim El Karmoudi, Hakima et Abdelhadi Bninou. Et quel repas! Une quarantaine de tajines généreusement garnies et mises à cuire sur le feu, sur un lit de braises, à même le sol. De la salade fraîche de concombre, persil, oignon, tomates et poivrons grillés. Du thé à la menthe. On se serait cru ailleurs, mais le décor ne pouvait mentir. Ce beau moment de connivence s’est bien passé chez nous, dans l’écrin joli du Ciné dans l’Pré, une initiative conjointe de la MRC de Charlevoix et de la fondatrice de Cinéma, Cuisine et Confidences, Lucie Tremblay.

Cet événement, Abdelkarim El Karmoudi en rêvait. L’homme d’origine franco-marocaine a été embauché en juin par la MRC de Charlevoix à titre de chargé de projet en développement territorial pour la mise en œuvre du plan d’accueil, d’intégration et de pleine participation des nouveaux arrivants.

«À la base, mon poste est en lien avec la stratégie de développement socio-économique 2019-2029. L’ac-cueil et la rétention des nouveaux arrivants sont un enjeu majeur de la stratégie. Il y a une grosse demande, beaucoup de besoins, des lacunes, mais aussi des forces dans Charlevoix. Dans ce contexte là, suite à un exercice de concertation mené par Myriam Cloutier, un plan d’action a été mis en place et c’est ma mission de le mettre en application», explique-t-il. Des événements comme le Ciné dans l’Pré aux saveurs maghrébines avec projection du film Monsieur Lazhar font partie de ce plan d’action.

«Le but est de sensibiliser la population locale aux bienfaits de l’immigration, de mettre des noms, des visages, des drapeaux sur les nouveaux arrivants, et de favoriser la mixité tout en créant un sentiment d’appartenance pour les nouveaux arrivants», explique Abdelkarim.

Thé à la menthe, tagine marocaine: les convives ont été bien servis.

Le 13 août dernier, il a participé à l’organisation de la «coupe mondiale de soccer», où se sont affrontées, dans la convivialité bien sûr, des équipes de l’Afrique, des Amériques (centrale et du Sud), de l’Europe et de Charlevoix.

L’équipe des Latinos a remporté les grands honneurs, mais tous les participants sont ressortis gagnants de la rencontre où l’interculturalisme était beaucoup plus important que le pointage.

Comme dans le cas du Ciné dans l’Pré maghrébin, Abdelkarim s’est joint pour le tournoi à une organisation existante pour y ajouter une touche interculturelle. Il souhaite ainsi que les nouveaux arrivants s’approprient la vie culturelle et communautaire de leur terre d’accueil. Et que les Charlevoisiens leur fassent une place, bien sûr.

«Le sport, comme la culture, c’est quelque chose qui va au-delà de la barrière de la langue. Le tournoi a été un moment extraordinaire, à la fois une activité humanisante et socialisante. Le sport est un puissant moyen d’intégration des citoyens avec des valeurs de fair-play, de tolérance… C’est le moyen le plus facile de créer une mixité sociale avec les Charlevoisiens natifs!», s’enthousiasme Abdelkarim.

Lui-même est arrivé au Canada en janvier avec sa femme et ses enfants. Après un passage obligé à Montréal, il est arrivé dans Charlevoix. Le choix du Québec n’est pas fortuit.

«Il y avait en France une atmosphère de plus en plus nauséabonde et je ne retrouvais pas la France dans laquelle j’avais grandi. J’ai voulu migrer pour l’avenir de mes enfants. Nous avons choisi le Québec, puis Charlevoix et Baie-Saint-Paul, parce que ça revient toujours dans les réseaux et c’est si beau! Nous avions vécu la pandémie dans un appartement, pas loin d’une zone industrielle. Nous cherchions un milieu de vie plus agréable et nous avions aussi l’impression que les préjugés seraient moins tenaces en région», résume-t-il. Ce n’est qu’en débarquant de l’avion que son épouse Nour-El-Houda a saisi l’intensité de ce froid dont on lui avait pourtant parlé.

«Elle m’a dit: mais on a débarqué dans un congélateur!», rigole Abdelkarim qui a depuis découvert le pouvoir des «combines».

Parmi les priorités du chargé de projet, «l’adoucissement du choc» n’arrive pas loin derrière l’intégration.
«Ça fait partie de mon travail, de permettre au nouvel arrivant d’avoir une vision juste de ce qui l’attend. Souvent, il ne voit que le positif! Mais il y a des réalités qu’on ignore… Je pensais arriver ici, acquérir une petite maison, avec un jardin, que ma femme et moi puissions travailler, mais la réalité est que je suis en appart comme en France parce que l’accès au logement n’est pas facile et que nous n’avons pas de garderie pour les enfants…» Cette information doit être transmise, croit-il, pour que le nouvel arrivant sache à quoi s’attendre.

Minimiser le choc

Savoir à quoi s’attendre ou recevoir rapidement les informations justes peuvent faire toute la différence. «Pour le nouvel arrivant, ce choc peut être une cause de non-rétention. Il faut les aider à se préparer à ce qui les attend et aussi travailler sur ces irritants.» Il considère que plusieurs acteurs sont à pied d’œuvre pour ce faire, dont le SANA, les MRC et les villes.

Créer des liens

Abdelkarim El Karmoudi est arrivé dans Charlevoix avec la promesse d’un emploi d’opérateur de machinerie lourde. «Pour faire face aux diverses dépenses, je n’ai pas hésité à passer mon permis classe 1 et j’ai déniché un emploi au Québec avec ça. Puis, dès que l’opportunité s’est présentée de revenir vers ce qui m’intéressait vraiment, j’ai foncé», raconte-t-il.

Il est comme un poisson dans l’eau dans ses nouvelles fonctions.

«En arrivant ici, j’ai trouvé une communauté maghrébine, des latinos, des nouveaux arrivants d’un peu partout, mais chacun dans son coin… J’ai une personnalité extravertie et je pense que j’ai voulu créer des liens entre ces communautés. On a commencé à jouer ensemble au ballon… C’est comme ça que j’ai rencontré Myriam Cloutier de la MRC. On nous a demandé ce qu’on pouvait faire pour nous et c’est un peu comme ça que j’ai été embauché», dit-il.

Il se réjouit chaque jour de l’opportunité qui lui est donnée à la MRC. Il adore cet emploi où il se sent utile auprès de ses pairs issus de l’immigration.

«Je vis moi-même tout le processus d’immigration. Je suis très autodidacte, je me débrouille bien pour mes papiers administratifs, je me documente, j’ai fait tous mes papiers seuls et on me demande de l’aide. J’en profite avec mon emploi pour faire des formations en lien avec tout ça et pour donner un coup de pouce, parce que ce n’est vraiment pas toujours simple», explique-t-il.

Immigrant, minorité visible, marié avec Nour-El-Houda qui a choisi le voile intégral, Abdelkarim connaît la chanson. «Je suis concerné directement. Je vis cette réalité, je la comprends. Et mettre en place des événements comme ce repas maghrébin a été un réel plaisir. On a ainsi mis de l’avant les femmes maghrébines, qui sont facilement marginalisées. Je pense que c’est vraiment une belle façon de les soutenir dans leur intégration», dit-il.

Hakima Bninou en train de remplir les tagines.

Il travaille maintenant avec le centre des femmes dans le but de créer des «cuisines interculturelles».
Depuis qu’Abdelkarim est en poste, il a réalisé qu’au moins 34 nationalités sont représentées dans Charlevoix «Il y a des Charlevoisiens qui viennent de Haïti, du Chili, de la République dominicaine, de la Mongolie, du Brésil, du Maroc, de Tunisie, d’Ukraine, de Singapour, du Cameroun…», énumère-t-il, impressionné.

Cet emploi dans l’équipe de la MRC est l’aboutissement de toute une vie d’expériences et de rencontres pour le Franco-marocain.

«Quand ils ont fait le plan d’action, j’ai été parmi les personnes qui ont été concertées et aujourd’hui, je suis parmi ces personnes qui le mettent en application. Ça me réjouit tous les jours!», conclut-il.

Qui sait, peut-être verra-t-on sous peu naître un petit resto maghrébin à Baie-Saint-Paul…

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