Portraits d’étudiants en francisation: la classe de Mme Suzanne

Par Emelie Bernier 9:00 AM - 25 mai 2022
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Tout quitter pour rebâtir sa vie à 1000 lieux de la terre natale, le feriez-vous? Dans la classe de francisation de l’enseignante Suzanne Rhéaume, les élèves ont ce dénominateur commun. Durant 13 jours, à raison d’un portrait par jour, Le Charlevoisien vous invite à la rencontre de ces néo-Charlevoisiens qui débarquent de Finlande, du Brésil, du Japon, du Mexique  ou d’ailleurs pour écrire un  nouveau chapitre de leur vie dans le plus bel écrin qui soit, Charlevoix.

Pour lancer le bal, voici un entretien avec l’enseignante Suzanne Rhéaume.

Dans la classe de Mme Suzanne, les élèves sont là pour apprendre comme dans n’importe quelle classe, à la différence qu’aucun ne part du même point. Si on y enseigne officiellement qu’une seule matière, le français, toute une panoplie d’apprentissages collatéraux s’ajoute et des liens durables se tissent.

Suzanne Rhéaume. Courtoisie

Lorsqu’elle enseigne à ses étudiants venus des quatre coins du monde, Suzanne Rhéaume se sent investie d’une mission.

«La francisation, c’est mon bébé. J’y vois une responsabilité sociale. J’ai le privilège d’enseigner à 10 nationalités la langue et la culture de mon pays. Les gens qui assistent au cours veulent être là. Ce n’est pas un employeur qui leur dit « vas-y, tu n’as pas le choix ». Ce sont des cours pour les individus, les citoyens qui veulent faire partie du même tissu social que nous.»

Pandémie oblige, les cours en mode virtuel ont pris le relais des cours en présence. Ainsi, les élèves des de Baie-Saint-Paul et de La Malbaie ont été réunis, formant une famille élargie et agrandissant le réseau personnel des étudiants.

« Je m’inquiétais de perdre cette qualité d’intimité que l’on tisse dans nos cours en salle de classe, mais nous avons retrouvé l’intimité en entrant directement dans les résidences des participants!», relate Mme Rhéaume.

Ainsi, les enfants de ses étudiants font régulièrement des apparitions, tantôt pour donner un câlin à leur parent avant le dodo ou simplement pour jeter un regard curieux sur l’étrange assemblée divisée en rectangles sur l’écran.

«Au final, la formule des cours à distance est gagnante. C’est une bonne façon de concilier le travail et les études, mais évidemment, on a hâte de se revoir», relate l’enseignante.

Le parcours de ses élèves ne cesse de l’émouvoir. 

«Les touristes voient la femme de chambre laver les toilettes,  mais ils ne réalisent pas que c’est une ingénieure en robotique. Il faut être très humble pour venir ici parce qu’en général, les acquis professionnels ne sont pas reconnus. Mes élèves font souvent un métier auquel ils n’auraient jamais pensé. Ils aident la famille restée au pays… Et si on était inquiet de nos proches durant la pandémie, pour certains d’entre eux qui viennent de pays où les infrastructures sont caduques,  c’était traumatisant! »

La  barrière de la langue peut paraître infranchissable de prime abord, mais Suzanne Rhéaume veut les aider à la franchir.

« Enseigner,  c’est libérer le potentiel de chacun et c’est ça qui vient me chercher. J’ai une reconnaissance émue devant ces personnes. Je sens que je fais quelque chose avec eux qui est beau, durable, extrêmement positif pour la société. Il y a de la place pour tout le monde dans Charlevoix.  C’est difficile, mais ils ne lâchent pas », dit la dame issue du milieu de l’enseignement qui a fait carrière dans l’Outaouais.

Enseigner une classe multi niveaux est un « très beau défi ». 

«Le dénominateur commun, c’est la langue parlée.  À chaque cours, on commence par tisser la toile de la soirée. Tout le monde a le droit de parole. Ça nous unit et ça développe l’écoute, la compassion. Ensuite, on va aller vers les connaissances, les verbes, la grammaire… On consolide.  C’est une approche holistique, je dirais », rigole Suzanne Rhéaume.

La classe elle-même est un organisme en mouvement.

« Il y a des gens qui arrivent, qui partent… Mais l’aspect social de la classe est intéressant. Ça brise l’isolement. Pendant la pandémie, plusieurs n’avaient plus d’emploi parce qu’ils travaillent en tourisme. Ils étaient inquiets de ce qui se passait chez eux. Lundi soir, mercredi soir, ils avaient une place pour venir s’ancrer. On était tous dans la même petite chaloupe dans la tempête.  Ça a créé un bel esprit de communauté.»

Tout un système d’entraide découle de cette classe atypique.

«Avec les liens humains, un réseau s’est créé. En unissant Baie-Saint-Paul et Malbaie, on a agrandi le réseau. En élargissant le réseau, sur le plan social, ils se donnent plus d’outils. C’est beau à voir! », lance Suzanne Rhéaume.

Elle se réjouit d’ailleurs de l’intérêt que nous portons à ses protégés.

«Ils ont décidé de venir vivre ici, au paradis, mais il y a un prix à payer pour vivre au paradis. Repartir a zéro, c’est  prendre un énorme risque! Ils sont incroyables de résilience, de positivisme!», conclut-elle.

NDLR: Les cours de francisation aux citoyens ainsi qu’au Service aux entreprises sont offerts par le Centre d’éducation des adultes et de formation professionnelle de Charlevoix (CÉAFP) au Pavillon Les Cimes à La Malbaie et au Pavillon Saint-Aubin à Baie-Saint-Paul. Les cours offerts par Suzanne Rhéaume sont destinés aux individus dans le cadre de la formation aux adultes.

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