Les travailleurs étrangers à la rescousse des entreprises d’ici

Par Emelie Bernier 11:01 AM - 14 février 2022
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Diblayin Santos Sierra, Lizabeth Diaz Barragan et Vanessa Fierro Guzman travaillent tous les trois au Fairmont Le Manoir Richelieu. Visiblement, ils ont apprivoisé l’hiver québécois avec le sourire! Courtoisie

Plusieurs employeurs pourront embaucher davantage de travailleurs étrangers temporaires (TET), une nouvelle accueillie avec soulagement alors que la pénurie de main d’œuvre ne se dément pas. Encore faut-il pouvoir mettre un toit au-dessus de leurs têtes!

Dans certains secteurs d’activités, le nombre maximal de travailleurs étrangers temporaires qu’il est possible d’embaucher pour doter des postes à faible salaire passe de 10% à 20%. « C’est sûr que ça fait une différence pour développer. Ça double le nombre de TET qu’on peut embaucher. C’est bienvenu parce qu’on était bloqué, on avait atteint notre quota», indique Mélissa Gilbert, responsable des TET chez Aurel Harvey et fils, qui embauche des TET depuis 10 ans.

Présentement, l’équipe de l’entreprise compte une vingtaine de travailleurs du Guatemala, du Mexique et des Philippines. Ils sont ouvriers agricoles, mécaniciens, préposés à l’entretien de la flotte ou chauffeur.
La plupart ont des permis de travail d’un ou deux ans. Et ils sont nombreux à cumuler les années au sein de l’entreprise.

Une bonne nouvelle, oui, mais…

Au Fairmont Le Manoir Richelieu, ces « bonnes nouvelles » sont accueillies avec circonspection. « L’allégement des mesures nous permet d’ouvrir un peu plus à différents types d’emploi. On avait l’habitude d’embaucher pour l’entretien ménager, par exemple, mais on va peut-être y aller avec davantage d’embauches en cuisine, ce que les nouvelles mesures permettent », indique la gérante Talent et culture Isabelle Gaboury.

Les règles demeurent strictes et la gestion complexe. Les employeurs doivent en général soumettre une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) avant d’embaucher un travailleur étranger. Si celle-ci est favorable, l’embauche sera possible, mais exigeante.

«Le 20% d’embauche enlève une pression, mais ce n’est pas un bar ouvert. On a des heures à garantir. C’est facile entre mai et septembre, mais l’automne, ça devient plus difficile. Il faut être stratégique pour remplir nos obligations envers les employés », indique-t-elle.

Chaque département a son propre type de permis. « Un cuisinier, un préposé à la réception ou à l’entretien auront tous des formulaires différents et des traitements différents », résume Mme Gaboury. Certains sont plus complexes que d’autres, mais la liste des professions pour lesquelles il existe un processus d’embauche simplifié de TET s’allonge.
« J’étais vraiment contente d’apprendre qu’il y aurait des traitements prioritaires pour certains postes parce que dans certains cas, les délais étaient très longs. Au final, oui, on est très heureux des allégements, même ça reste énormément de paperasse! », conclut Isabelle Gaboury.

Fairmont a des bassins de recrutement au Mexique et au Maroc. De nombreux Européens sont aussi tentés par l’aventure nord-américaine.

Où loger les travailleurs?


Offrir le gîte figure parmi les obligations auxquelles doivent se soumettre ceux qui embauchent les travailleurs étrangers temporaires (TET). Si certains trouveront un toit directement chez leur employeur, d’autres seront logés dans des appartements ou des maisons du parc locatif.


Mathieu Thivierge et Gernan Lucenna des Philippines. Courtoisie Simard Suspensions

Simard Suspensions embauche une trentaine de travailleurs étrangers temporaires. Pour parvenir à en loger un certain nombre, le président de la compagnie a acquis un immeuble. L’entreprise a également une entente avec Maison Mère, mais cette option demeure une « solution alternative » peu viable à long terme.


Sébastien Vincent et Félix Alvarez-Vega de Colombie. Courtoisie Simard Suspensions

«Pour ceux qui veulent s’installer, faire venir leurs familles, ça demeure difficile», indique Pascale Beaulieu, directrice des ressources humaines, qui travaille régulièrement avec le Service d’aide aux nouveaux arrivants (SANA) qui offre de l’aide à ce chapitre.

Leandro Tinell des Philippines. Courtoisie Simard Suspensions

Les TET ne sont pas les seuls concernés, explique-t-elle. « On continue d’aller chercher des gens à l’externe, à Montréal ou ailleurs. Des gens voudraient joindre notre équipe, mais ils ne feront pas le « move » tant qu’ils n’auront pas trouvé et c’est normal! », une situation qui a des échos au Fairmont Le Manoir Richelieu.

«Pas besoin que nos travailleurs viennent d’un autre pays pour se heurter à cette difficulté de se loger! Des gens de Montréal, de Québec veulent se joindre à nos équipes et chercher un appartement est un défi qui se fait ressentir de plus en plus! », indique la gérante talent et culture de l’hôtel, Isabelle Gaboury.

Les MRC en action


La directrice des ressources humaines chez Simard Suspensions Pascale Beaulieu a assisté fin janvier à la présentation du plan d’accueil en immigration de la MRC de Charlevoix, un plan qui ratisse beaucoup plus large que la question du logement, mais n’élude pas la question. Elle est sortie de la rencontre confiante.

Felipe Barrera-Urquiza, du Mexique. Courtoisie Simard Suspensions


« On sent que toutes les municipalités sont soucieuses de la situation. Quoi qu’il en soit, on se serre les coudes», constate-t-elle.


«Nous avons présenté le plan à nos partenaires dans le but de valider nos objectifs et les actions à mettre en œuvre et de bonifier le plan. Le logement, le transport, les services de garde, la rareté de la main-d’œuvre sont des défis à relever», indique la directrice de la MRC de Charlevoix Karine Horvath.


Le chantier Habitation de DSI Charlevoix a connu un ralentissement en raison de certains départs au sein de l’équipe et de la situation sanitaire, mais des projets sont sur le point de se concrétiser.


«Un portail a été réalisé par Axe création et il ne reste qu’à faire le lancement et la mise en ligne. On y trouve les disponibilités en matière de logements social et locatif.   On planifie également un forum sur l’habitation, mais on aimerait le faire en présentiel, donc il a été mis sur la glace avec la pandémie», ajoute Mme Horvath.
Les résultats de l’étude commandée à l’organisation Vivre en ville seront divulgués à cette occasion aux municipalités et partenaires.


« Vivre en ville avait reçu la commande de réaliser un inventaire de modèles d’action possibles et adaptables à la région et aux différentes municipalités en matière d’accès au logement et à la propriété. L’enjeu est là. Il faut trouver des moyens et s’inspirer de succès et démarches mises en place ailleurs au Québec», rappelle Karine Horvath.
La MRC de Charlevoix-Est a récemment entrepris une démarche pour dresser un portrait de la situation du logement sur son territoire, une démarche qu’Isabelle Gaboury salue.
«Je suis contente que la MRC s’active dans ce dossier!», conclut-elle.

De temporaires à permanents : un souhait partagé


Plusieurs nouvelles recrues aimeraient s’installer à demeure dans Charlevoix, un souhait partagé par leur employeurs. «Dans le secteur agricole, ce sont des contrats de 9 mois à un an. Les travailleurs retournent chez eux et reviennent ensuite. Ce sont souvent les mêmes. Dans le cas des mécaniciens, qui sont très difficiles à recruter ici, on renouvelle leurs permis de travail. Certains voudraient s’installer de façon permanente, immigrer et faire venir leurs familles », illustre Mélissa Gilbert d’Aurel Harvey et fils.

La rareté de main d’œuvre dans le secteur mécanique est un argument en faveur de cette option. «On espère que plusieurs deviennent permanents, car ils sont de plus en plus essentiels à la bonne marche de l’entreprise », illustre Mme Gilbert.

Trouver un logement n’est pas leur seul parcours du combattant. « En ce qui a trait à l’obtention de la résidence permanente, c’est plus difficile, car les règles ont changé », indique Isabelle Gaboury du Fairmont Le Manoir Richelieu.
Récemment, un travailleur étranger temporaire de son équipe a quitté après quelques mois. « Il aimait beaucoup Charlevoix, le Québec, mais il a quitté vers Terre-Neuve parce que c’est une des provinces qui offrent la résidence permanente de façon accélérée … Ceux qui aspirent à obtenir leur résidence permanente ont intérêt à choisir une autre province que le Québec», déplore Mme Gaboury.

Le double palier d’immigration ne simplifie pas la chose, selon elle. «Je ne connais pas toutes les règles, mais c’est certainement un enjeu à moyen terme pour les employeurs. Oui, c’est bien de les faire venir, mais on souhaiterait aussi qu’ils puissent rester.»

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