L’effritement de la bienséance

Par Emelie Bernier 4:00 PM - 1 février 2022
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Illustration Istock

Bienséance: conduite sociale en accord avec les usages, respect de certaines formes. Ce qu’il convient de dire ou de faire dans une société; savoir-vivre. Savoir vivre. Savoir être. Vivre ensemble. Ces notions sont mises à rude épreuve par la pandémie qui perdure et use d’un même élan nos bonnes manières, nos nerfs, nos cœurs.

La semaine dernière, j’ai «fait du pouce» sur un article de La Presse. Cet article, signé conjointement par Gabrielle Duchaine et Vincent Larouche, posait dans sa prémisse une question délicate. «Les non-vaccinés devraient-ils passer devant d’autres malades en attente de quelque chose d’aussi rare que des organes?» (source La Presse, 25 janvier).
Il n’y a pas de réponse facile.

«Pour les personnes atteintes de fibrose kystique, la greffe d’un ou de deux poumons est en quelque sorte le Saint-Graal, un laissez-passer difficile à obtenir, mais garant d’un semblant de vie normale. Plusieurs patientent durant des années sur la liste d’attente en attendant leur tour», ai-je donc écrit dans un article publié sur notre site Web.
Deux personnes, dont la vice-présidente bénévole de l’Association québécoise de la fibrose kystique – section Charlevoix Valérie Tremblay, ont accepté de commenter.

Pour elle, qui voit souffrir au quotidien sa fille et bien d’autres personnes affectées par cette maladie qui leur coupe littéralement le souffle, cette nouvelle a eu l’effet d’une baffe.

«C’est frustrant comme situation quand on sait que des centaines de personnes aux prises avec une maladie mortelle sont en attente de greffes et meurent bien avant de recevoir ce don si précieux! Quand on pense que des gens décident (…) de ne pas se faire vacciner de peur de brimer leur liberté… Quelle liberté a une personne qui naît avec une maladie fatale comme la fibrose kystique quand elle sait, dès son plus jeune âge, que le seul choix qui s’offre à elle afin de soulager ses souffrances ou de lui donner un second souffle est de passer par la transplantation pulmonaire?», commentait Valérie Tremblay.

Elle rappelait au passage que pour les patients atteints de FK qui n’ont plus d’autres options, la moyenne d’attente pour une greffe est de 362 jours. «362 jours à souffrir et à angoisser, en espérant ne pas mourir avant.»

J’étais consciente de m’aventurer en terrain glissant en la contactant pour avoir son point de vue. Elle était consciente qu’elle m’y rejoignait en me le donnant spontanément. Parce que oui, le dilemme éthique est terrible et je n’ai pas écrit ce texte à la légère ou pour foutre le bordel.

Personne, ici, n’a dit de laisser crever les non-vaccinés, mais l’eut-on écrit que les réactions n’auraient pas été plus dures!

Mais est-ce notre boulot de faire consensus? D’éviter les sujets délicats? De faire comme si ces questions fondamentales, de vie et de mort littéralement, n’existaient pas? Personne, ici, n’a dit de laisser crever les non-vaccinés, mais l’eut-on écrit que les réactions n’auraient pas été plus dures!

Valérie Tremblay savait qu’elle s’exposait en assumant ainsi publiquement sa position personnelle. Et elle a assumé quand son Messenger s’est mis à dérailler. Et celui de ses proches. La part des choses, vous connaissez?

Pourtant, Valérie Tremblay n’a jamais dit que la vie des malades de la COVID qui ont reçu des greffes valait moins que celle de sa fille malade ou des autres patients en attente d’une greffe!

Certains ont lu ça entre les lignes. On lit bien ce qu’on veut lire… Ça s’appelle un biais et c’est largement documenté.
Preuve s’il en fallait une de plus que les réseaux sociaux sont un ring où plusieurs refusent de grimper, une représentante de Fibrose kystique Canada m’a écrit pour que je précise que Mme Tremblay, une bénévole, parlait en son nom personnel et pas en celui de l’association. Évitons les zones de friction.

Bien évidemment, les commentaires hargneux, voire violents, se sont mis à défiler sous la publication de l’article sur Facebook. Nous avons dû en masquer quelques-uns. De tels débordements n’ont pas leur place chez nous.
En voici tout de même un florilège. Nous assumons, nous osons espérer que vous aussi…


«Les ptites journalistes de La Malbaie sont rendues comme Denise Bombardier, Josée Legault, Richard Martinau, Patrick Lagacé pis tout ste gang la à force de vouloir créer des tensions pour avoir des clics sur leurs articles y finiront ben par se faire haïr autant» (sic) a écrit Louis-Pascal.

Tu sais, Louis-Pascal, ce que tu considères comme une pluie d’insultes est quand même un peu flatteur.

«Comment diviser la population? Méchant merdias», s’est enflammé Pierre.

Désolée, Pierre, mais comme le dit si bien cet autre internaute, rien ne t’oblige à nous lire.

Un autre lecteur nous a accusé d’être «un média subventionné par Trudeau»…

Nos comptables voudraient bien savoir quand sera acheminé le chèque. Je vous rassure, nous ne sommes à la solde de personne.

Et j’en passe. Et des pires.

Le commentaire d’une certaine Geneviève traduit parfaitement le jemenfoutisme qui gagne une partie de la population. «Non mais un moment donné ça pu de sens le statut vaccinal du monde moi j’men calice……» (sic)

On est peut-être rendu là. À se foutre complètement du sort de nos semblables, à évacuer les questions litigieuses, à cracher la haine sur les divergences?

Les émotions sont à vif et conduisent à une virulence telle qu’il convient parfois de prendre un pas de recul.
Prendre des baffes pour ce que j’écris, c’est difficile, mais je suis capable. Savoir que des personnes qui ont accepté de prendre la parole et de répondre à mes questions se font varloper, ça, ça me désole.

Et si on se reconnectait sur nos valeurs profondes? Commençons donc par le respect, tiens.

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