Adieux aux “rennes” de Charlevoix

Par Émélie Bernier 3:24 PM - 17 Décembre 2019
Temps de lecture :

 

Il était une fois les caribous de Charlevoix…jusqu’à ce qu’ils ne soient plus. Puis ils furent une 2e fois, de la main de l’homme celle-là. Aujourd’hui,  ils vivotent dans nos forêts striées de routes et de rivières, une forêt qui change trop vite pour leur capacité d’adaptation et où ils ne sont pas seuls, car nul n’est une île, même au fin fond des bois… Il n’y aura pas de 3e fois.

 

On a beau crier aux loups, les pauvres canidés ne sont qu’une donnée dans l’équation de l’extinction annoncée de la harde de Charlevoix. L’arbre qui cache la forêt. C’est triste, mais soyons réalistes! Il ne reste plus que 31 spécimens de ces majestueux rangifer tarandus dans la vaste forêt boréale qui s’étale de part et d’autre de la route 175. Et ce n’est pas que la faute des grands méchants loups.

Les loups, on l’a dit, aiment bien croquer du caribou. D’autant plus que celui-ci, plus court sur pattes que son compatriote l’orignal, est une proie plus facile à attraper quand la neige s’accumule et lui barre les pieds.

C’est un « tough », le rangifer tarandus… Il réussit à survivre tout l’hiver dans des conditions particulièrement difficiles, en grignotant du lichen aux grands vents des sommets, en espérant le printemps comme la moyenne des ours. Parce qu’il choisit un habitat hostile, il évite le plus possible les territoires prisés par ses prédateurs…

C’est un « tough », le caribou,  mais un « tough » sensible. Seul dans sa toundra, sans loup ni homme pour lui chercher des noises, il fera sa petite affaire peinard. Mais viennent les chasseurs avec leurs pétarades ou les motoneigistes avec leurs bolides, voire même les inoffensifs randonneurs,  clochettes à ours accrochées aux bottines, et le petit cervidé sera si stressé qu’il en oubliera de manger!

Qui dit ski doo, chasse, pêche et rando dit accès… et tous les mammifères en profitent, qu’il soit homme, ours, loup, orignal ou caribou. Sauf que certains courent plus vite que d’autres et que plusieurs se retrouvent soudain dans des endroits où ils n’avaient pas coutume d’aller. Là où pousse le lichen et soufflent les grands vents.

Dans un État de situation et suivi des populations de caribous forestiers du Québec produit par le Service de la gestion des espèces et des habitats terrestres du gouvernement québécois, on énumère les facteurs qui peuvent fragiliser la belle bête aux bois seyants qui nous occupe et nous préoccupe.

Évidemment, le gros méchant loup y figure, avec son patibulaire copain l’ours noir, mais les maladies (apportées jusqu’à eux notamment par les orignaux qui étendent de plus en plus leur territoire), les accidents impliquant des véhicules, le prélèvement illégal et la perte et la modification de l’habitat aussi.

On a reproché au ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs d’être partial dans ses décisions concernant le caribou. Mon petit doigt me dit que le MFFP fait ce qu’il peut avec les contraintes qu’il a. Dont, oui, l’approvisionnement des compagnies forestières. Mais pas n’importe comment!

Depuis 2006,  la forêt qui sert d’abris aux caribous de Charlevoix fait l’objet d’un aménagement minutieux dont l’objectif est d’améliorer son habitat. On travaille notamment à maintenir une connectivité entre les massifs forestiers des parcs de la Jacques Cartier, des Grands-Jardins et  des Hautes-Gorges pour que le caribou puisse déambuler à son aise. Mais il faut temps pour réhabiliter les caractéristiques souhaitées par l’animal… Et le temps joue contre la survie de la harde de Charlevoix.

Oui, c’est en partie de la faute du MFFP si le « renne » charlevoisien tire de la patte, il y a bien d’autres facteurs qui lui font des jambettes. Rappelons-nous les feux de 1991 et 1999. Le chablis de 1995. Son habitat ainsi perforé ne le protège plus comme jadis.

Le nombre d’animaux a chuté de moitié en deux ans. Les femelles sont vieillissantes. Entre vous et moi, et malgré tout l’amour que je porte à ce magnifique animal,  ça regarde mal.

Peut-être est-il temps de se résoudre à laisser la nature faire son œuvre, comme le dit Jean-Simon Bégin, le photographe animalier qui nous a gentiment permis d’utiliser ses magnifiques clichés la semaine dernière (et dans cette chronique).  Peut-être que la réintroduction des rangifer tarandus dans les années 1970 était un beau rêve de biologistes amoureux de la nature, un rêve miné aujourd’hui par la réalité et ses innombrables variables.

 

 

 

Partager cet article