Il est possible de réduire significativement la consommation d’électricité en pointe

Par Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne 3:00 PM - 17 février 2024
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Il est possible de réduire à presque rien la consommation d’électricité en période de pointe dans les écoles et sans doute dans d’autres bâtiments chauffés entièrement à l’électricité.

Le secret d’une telle réalisation se trouve dans la cueillette de données les plus précises et variées possible afin d’établir un «modèle prédictif» des besoins de chauffage de l’établissement en question. 

C’est ce qu’ont réussi à démontrer des chercheurs des universités Concordia et de Sherbrooke dont les résultats ont été présentés lors du 13e Symposium nordique de physique des bâtiments, au Danemark, et publiés en décembre dernier dans la revue «Journal of Physics: Conference Series».

«La plupart des thermostats qui sont installés dans les bâtiments utilisent des contrôles qu’on appelle réactifs, c’est-à-dire qu’ils réagissent en fonction des conditions actuelles. S’il fait plus froid, ils vont augmenter la chaleur», explique l’un des auteurs de l’étude, le professeur José Candanedo, du département de génie civil et du bâtiment de l’Université de Sherbrooke. 

Utiliser des données multiples

Les travaux qu’il a menés avec ses collègues de Concordia se sont déroulés à l’école primaire Horizon-du-Lac, de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Ils y ont recueilli une foule de données telles que les prévisions météorologiques, l’occupation prévue dans les différents locaux – la présence humaine ayant un impact sur la température d’une pièce – la capacité naturelle de l’enveloppe thermique du bâtiment, le chauffage solaire passif que représente la présence ou non du soleil afin d’établir leur modèle prédictif. Bien qu’il soit possible de programmer des thermostats, rien ne s’approche de la méthode qu’ils ont mise au point.

C’est ce modèle prédictif qui leur a permis, par exemple, lors de périodes de pointe par grand froid de lancer le chauffage à 2h30 du matin pour porter la température au niveau de confort requis à 6h00, de fermer le chauffage jusqu’à 9h00 sans provoquer de perte de confort et de le remettre en marche à ce moment. «En utilisant le contrôle prédictif, on peut se préparer à l’avance, on peut commencer à préchauffer l’espace et éviter ou à tout le moins réduire la consommation d’électricité à des moments critiques», explique le chercheur.

Un résultat gagnant-gagnant

Or, c’est là que les bénéfices sont doubles: d’une part, ce genre de modèle prédictif étendu à grande échelle réduirait de beaucoup la pression sur la demande d’électricité. «On pense souvent à la consommation d’énergie comme étant le problème le plus important, mais il y a aussi l’appel de puissance, la demande d’électricité en kilowatts, qui est aussi importante. Au Québec, plusieurs bâtiments utilisent l’électricité et à certains moments de la journée, il va y avoir un appel de puissance très élevé qui va contribuer à la pointe du réseau d’Hydro-Québec», fait valoir le professeur Candanedo.

D’autre part, dans un modèle à tarification dynamique où le consommateur paie jusqu’à 15 fois le prix du kilowatt/heure durant les périodes de pointe, l’économie est majeure pour le Centre de services scolaire qui gère plusieurs écoles. Aussi, toujours en matière d’économies, poursuit M. Candanedo, «mettre en œuvre de nouvelles stratégies de contrôle, c’est moins cher que d’installer d’autres équipements. On utilise des systèmes qui sont déjà disponibles.»

Hydro-Québec fixe les pointes entre 6h00 et 9h00 le matin et entre 16h00 et 20h00 en fin de journée. Il va donc de soi qu’une école peut tout aussi facilement fermer son système de chauffage à 16h00 et le remettre en marche à 20h00. De là, l’école étant vide, elle peut maintenir la température plus basse et recommencer le cycle au milieu de la nuit. 

L’école comme point de départ

Le modèle prédictif ne permet pas d’éliminer toute la consommation d’électricité puisqu’il y a toujours des besoins pour la sécurité et pour l’éclairage, par exemple. «Mais on peut réduire l’appel de puissance de façon significative pendant la période de pointe. C’est possible de le faire de façon raisonnable parce que ça nous permet de ne pas dépasser les limites de confort et de sécurité des occupants, ce qui, dans le cas des écoles, est vraiment critique avec des élèves, des enfants.»

Le choix d’une école pour mettre au point ce modèle prédictif n’est pas un hasard, précise José Cantanedo.

«Les bâtiments scolaires constituent un cas d’étude intéressant parce qu’ils ont un potentiel de mise à l’échelle, de reproductibilité. Aussi, les écoles offrent une valeur importante comme vitrine technologique.

«Ce qui est le plus compliqué est la création d’un modèle mathématique et ça prend quelqu’un qui doit s’en occuper. Heureusement, tranquillement, on gagne du temps pour automatiser la création de modèles. Le défi est dans le fait que les bâtiments sont tous différents.»

Répandre l’idée

La bonne nouvelle, dit-il, c’est qu’on peut appliquer le même modèle partout. «Notre intention, c’est de présenter des solutions qui pourraient être déployées ou adaptées à plusieurs types de bâtiments scolaires et, certainement, si on le fait pour un bâtiment scolaire ça pourrait se faire avec d’autres bâtiments commerciaux et institutionnels.»

Et en fin de compte, ajoute-t-il, on peut aussi transposer les mêmes principes au secteur résidentiel. «Bien sûr qu’on peut faire ce modèle dans une maison, prédire à quel moment partir le chauffage, l’arrêter», dit-il, laissant planer l’espoir d’une méthodologie de consommation qui soit gagnante tant pour soulager la demande d’énergie à Hydro-Québec en pointe que pour le portefeuille de l’ensemble de ses clients.