Alimentation: d’importants défis pour 2024 après une année chaotique
Des produits sont présentés dans une épicerie Sobeys de l'ouest de Toronto. Photo THE CANADIAN PRESS/Graeme Roy
Flambée du prix panier d’épicerie, achalandage record dans les banques alimentaires, explosion des coûts pour les agriculteurs et transformateurs, conditions météorologiques difficiles pour les récoltes, remplir l’assiette des ménages aura été une mission particulièrement ardue en 2023.
Dans les champs du Québec, les fermiers ne débordent pas d’enthousiasme à l’idée de laisser cette année difficile derrière eux, car la prochaine année apporte tout autant de nuages à l’horizon, croit le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron.
Déjà, les pluies exceptionnelles de décembre suscitent des inquiétudes pour les prochaines récoltes. «Ça ne nous aide pas, là, de voir la neige disparaître et qu’il y a de l’eau à la surface. Il y a un risque de gel au sol avec de la glace. Ça, ce n’est vraiment pas bon pour nos cultures.»
Les agriculteurs ont été frappés de plein fouet par l’inflation, que ce soit pour l’engrais, l’équipement ou les salaires des travailleurs. Les intrants des agriculteurs ont augmenté de près de 21,2 % en moyenne en 2023, rapporte M. Caron. «Il faut reculer à 1974 pour voir un chiffre aussi élevé.»
Comme les ménages inquiets à l’approche du renouvellement de leur terme hypothécaire, les agriculteurs risquent de voir leur situation financière se détériorer en raison de la hausse des taux d’intérêt.
Il souligne que la dette des agriculteurs au Québec a presque doublé en dix ans pour atteindre près de 29,4 milliards $. Ce poids vient à un moment où les marges du secteur sont sous pression, souligne le président de l’UPA.
Avec un service de la dette plus élevé, il craint que des agriculteurs soient contraints de liquider des actifs ou de tout simplement mettre la clé sous la porte. «On voit présentement des entreprises qui ne remboursent plus de capital sur leurs prêts, elles payent juste les intérêts parce qu’elles n’ont pas les moyens de rembourser le capital. Mais, ça, tu ne peux pas faire ça à long terme.»
L’année 2023 a été tout aussi difficile pour les transformateurs alimentaires, répond Dimitri Fraeys, vice-président responsable de l’innovation et des affaires économiques au Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ).
Il cite en exemple la rareté de main-d’œuvre, la sécheresse en Europe qui a fait augmenter le prix des huiles ou la grève du port de Vancouver qui a perturbé la chaîne d’approvisionnement. «La chaîne d’approvisionnement, elle va mieux, mais elle est encore fragile.»
M. Fraeys espère toutefois une «embellie» pour la deuxième moitié de l’année en raison de la baisse attendue des taux d’intérêt. «Ça aide énormément pour accélérer les investissements. Si on veut améliorer la productivité, il faut investir pour robotiser et mécaniser. Donc, je pense qu’il y a plein de projets qui sont sur la table qui attendent d’avoir le financement nécessaire pour pouvoir démarrer.»
Une modération de l’inflation
Pour les consommateurs, les experts anticipent une modération de l’inflation. L’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean, croit que l’inflation se modérera à un rythme annuel de 2 % d’ici la fin de l’année 2024.
Au Canada, l’inflation alimentaire est passée de 8,3 % en juin à 5 % en novembre, selon les données de Statistique Canada.
L’économiste appuie son hypothèse sur des indicateurs comme les prix à la ferme, le prix du gaz naturel, les prix à l’importation et le prix des denrées internationales. «Ce que ça nous indique, c’est que l’inflation dans les aliments devrait continuer de décélérer.»
Un groupe d’experts, qui comprend des chercheurs de l’Université Dalhousie, de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université de Guelph et de l’Université de la Saskatchewan, anticipe aussi une modération de l’inflation. Il prévoit que les prix des aliments augmenteront d’entre 2,5 % et 4,5 % l’année prochaine.
À titre personnel, le professeur Sylvain Charlebois, directeur du laboratoire d’analyse agroalimentaire de l’Université Dalhousie et chef du projet, croit que le résultat final s’approchera du bas de la fourchette, peut-être même plus bas.
Même si l’alimentation est un besoin essentiel, les consommateurs ont résisté en achetant des aliments différents et en réduisant le gaspillage alimentaire. Résultat: les dépenses totales des ménages ont en fait diminué, même si les prix ont augmenté en 2023, toujours selon le rapport d’experts universitaires.
«Je m’attends à des guerres de prix en 2024, prédit M. Charlebois. La fidélité aux enseignes a vraiment pris une débarque en 2023. Les gens magasinent n’importe où pour sauver de l’argent. Pour redévelopper une certaine fidélité chez la clientèle, les enseignes vont offrir des rabais très agressifs.»
Le grand patron de Dollarama a d’ailleurs constaté que les épiciers avaient augmenté l’intensité de leur concurrence au moment où les denrées non périssables du détaillant montréalais connaissent un engouement chez les consommateurs, qui en parlent même sur les médias sociaux.
Il y a une limite à ce que l’industrie peut faire pour alléger le fardeau des consommateurs, prévenait le président et chef de la direction de Dollarama, Neil Ross, lors d’une conférence téléphonique avec les analystes financiers, plus tôt en décembre. «C’est vraiment une situation difficile. Les manufacturiers continuent de pousser les prix vers le haut. Les détaillants font leur possible pour ne pas refiler la facture aux consommateurs, mais il y a une limite à ce qu’ils peuvent absorber.»
Une progression plus lente des prix risque d’être une mince consolation pour les moins nantis qui peinent déjà à se nourrir.
Environ une personne sur dix fréquentait le réseau des banques alimentaires au Québec en mars 2023, selon des données des Banques alimentaires du Québec (BAQ), une augmentation de 73 % par rapport à 2019, avant la pandémie. «Si l’inflation a diminué un peu, c’est que les prix augmentent pareil, s’inquiétait le directeur général des Banques alimentaires du Québec (BAQ), Martin Munger, lors d’une entrevue en octobre. La situation empire.»
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