Le bar rayé, nouveau roi des eaux

Par Émélie Bernier 12:01 PM - 20 juillet 2023 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Julie Gauthier, de Pêcheries Charlevoix. Archives

Les pêcheurs sportifs adorent s’y mesurer. Les pêcheurs commerciaux le surveillent du coin de l’œil. Les pêcheurs de saumons sont préoccupés par son impact sur la précieuse ressource qu’ils convoitent. Quoi qu’il en soit, qualifié par les chercheurs de « prédateur opportuniste », le bar rayé est un poisson gourmand qui se nourrit d’une grande variété de poissons, de crustacés et d’invertébrés. Le capelan, les lançons, les épinoches, les éperlans arc-en-ciel, les crevettes, voire même les homards s’inscrivent à son menu.

L’augmentation de l’abondance du bar se traduit par une augmentation de la pression de prédation sur une grande variété d’espèces, peut-on lire noir sur blanc dans un rapport du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

« Au cours des dernières années, les deux populations de bar rayé présentes au Québec ont connu une croissance démographique importante, en particulier celle du sud du golfe du Saint-Laurent, suscitant des inquiétudes quant à l’impact que la présence de ce poisson pourrait avoir sur le maintien des populations de certaines espèces exploitées », admet Daniel Labonté, relationniste de presse à la Direction des communications du ministère.

Pourtant, la pêche au bar demeure interdite dans une grande partie de la province, notamment dans Charlevoix, en raison du statut d’une des deux populations de cette espèce disparue des eaux du Saint-Laurent dans les années 1960 et réintroduite avec un succès indubitable depuis. 

Corrélation, adon ou  exception?

Propriétaire d’une pêche à fascine à Saint-Irénée dans Charlevoix, Julie Gauthier résiste difficilement à l’envie de faire un lien de cause à effet entre la présence de plus en plus marquée du bar rayé et une baisse des captures des poissons qu’elle commercialise.

« 2023 est une saison de capelan catastrophique!, lance-t-elle sans ambages. En moyenne, on capture environ 20 tonnes de poisson dans une saison. Cette année, on a récolté une tonne seulement. On est très inquiets. Je ne peux pas mettre ça sur le dos du bar rayé, mais on ne peut pas exclure qu’il y un lien. »

En 2022 à Saint-Irénée, le bar a été présent comme jamais de mémoire d’homme selon Julie Gauthier qui travaille de connivence avec son oncle et son père, des octogénaires pour qui le fleuve n’a que très peu de secrets.

«Ça fait 60 ans qu’on pêche et qu’on va voir 2 fois par jour dans la fascine les pieds dans l’eau. Et ce qu’on a constaté l’an passé c’est qu’on était envahi! Et ça semble vouloir prendre la même tangente cette année », commente Julie Gauthier. 

Non seulement augmente-t-il en quantité, mais la période où il est présent s’allonge également.« Au lieu d’arriver en juillet et de rester durant 2, 3 ou 4 semaines, le bar est arrivé le 10 juin et on  a eu des spécimens jusqu’en octobre!  C’est une première! Est-ce qu’il est là en plus grande quantité, je ne peux pas m’avancer, mais c’est certain qu’il y en a en abondance », indique Julie Gauthier.

Les pêcheurs de l’Anse-au-Sac participent d’ailleurs depuis plusieurs années à un programme de monitoring.  « Depuis plus de 20 ans, on travaille avec le réseau d’inventaire des poissons de l’estuaire (RIPE) sur le programme des bars rayés. Avant, on s’amusait, mais depuis l’an dernier, c’est plutôt le « cr… » de bar rayé… Est-ce que c’est une corrélation, un adon ou une exception?  Je ne le sais pas, mais pendant qu’il est là, on n’a presque pas de capture ! »

Les pluies abondantes et la température froide du printemps n’ont peut-être pas aidé, estime toutefois la pêcheuse. « Les inondations du printemps ont sali l’eau au fleuve… Est-ce que le capelan aime frayer quand c’est sale? Ça ne doit pas aider… »

La pêcheuse estime que les instances concernées travaillent de bonne foi dans le dossier, mais la dernière demande du COSEPAC de prolonger de deux ans le moratoire sur la pêche n’est pas bienvenue.

«Il va très bien, trop bien même!  Je serais très intéressée à le pêcher de façon commerciale! On est juste 2 pêches a fascine au Québec, ce ne serait pas un gros précédent de nous accorder un droit de pêche.  Donnez-nous le droit de le pêcher, donnez le droit aux pêcheurs sportifs de le pêcher. Si je peux avoir un permis au bar rayé pour compenser la diminution des captures d’autres espèces, je vais le prendre! »

Partager cet article