Le départ de Pierre Girard marque la fin d’une époque

Par Dave Kidd 9:00 AM - 11 janvier 2024
Temps de lecture :

Jean-Christophe Maltais, l’ex-préfet suppléant Alexandre Girard et Pierre Girard ont annoncé des aides financières. Photo archive

Le départ de Pierre Girard de la direction générale de la MRC de Charlevoix-Est marquera la fin d’une époque. C’est l’un des derniers acteurs d’une importante phase de développement de Charlevoix qui tire sa révérence. Rares sont ceux qui n’ont pas eu de contact avec lui. Il ne laissait personne indifférent et il jouissait d’une grande influence dans plusieurs cercles. On peut l’aimer ou pas, mais personne ne peut lui reprocher d’avoir travaillé pour autre chose que la région.

Pierre ou Monsieur Girard. Ça dépend du lien qu’on avait avec le puissant intervenant. Il refuse d’admettre qu’il en menait large, préférant dire qu’il effectuait les mandats donnés. 38 ans à diriger une MRC, on ne reverra pas ça de sitôt. 22 ans dans le milieu scolaire non plus. Un parcours impressionnant pour un homme qui ignorait totalement ce qu’était une MRC deux semaines avant de soumettre sa candidature!

Employé du Manoir Richelieu, il a connu le conflit. Ironiquement, c’est un pro-Malenfant, le préfet Jean Lajoie, maire de Pointe-au-Pic au moment des événements, qui lui a fait confiance et l’a embauché. « Moi, j’étais un pro-CSN. Ça n’a jamais été considéré dans le processus », se rappelle-t-il.

Pierre Girard n’avait aucune, mais aucune idée de ce qu’était une MRC. Son père lui avait dit qu’il s’agissait d’une « belle job pour toi ». Après avoir pris un peu d’information, le destin s’est chargé de la suite.

« Ma sœur vivait avec Jacques Landry, directeur du service de l’aménagement de la MRC de Portneuf. Un homme reconnu comme le top au Québec. J’en parle avec lui et il m’a aidé à me préparer. Il m’invite à passer une dizaine de jours chez lui pour en apprendre sur le sujet. Yves Laroche, une autre sommité qui dirigeait une MRC, est devenu mon mentor. Quand est arrivée l’entrevue, j’étais ferré pas à peu près. Je suis têtu. J’ai passé à travers la Loi sur l’aménagement et le Code municipal au complet. J’ai une facilité à apprendre par cœur, alors je savais tout ce qu’il y avait à savoir sur une MRC », se souvient-il.  

Son premier patron a été Jean Lajoie. Ce dernier, un habile politicien, l’a pris sous son aile. « Sur le plan politique, c’est vraiment lui mon mentor. Au départ, la politique me faisait peur ». Or, l’ancien préfet ,qui était vice-président de la défunte Union des municipalités régionales de comtés (qui allait devenir la Fédération québécoise des municipalités), a bien réussi avec son poulain.

« J’ai fait de la zone grise », répond Pierre Girard quand je lui fais remarquer qu’il a fait de la politique. « Quand les préfets me le demandaient ou me le permettaient, j’allais de l’avant. Je me suis toujours sécurisé avec les élus avant de faire quoi que ce soit. J’étais un bon compagnon pour les préfets », continue-t-il. « C’est arrivé aussi que des préfets m’aient dit de ne pas aller dans la zone grise. Dans toutes les MRC, ça se passe ainsi », dit-il également.

Dans son cas, il était à une certaine époque président de la défunte Commission scolaire de Charlevoix. Comme l’organisation était impliquée dans la plupart des dossiers, Pierre Girard était directement dans le feu de l’action. « C’est clair que dans ces années-là, la zone grise était un peu plus foncée, mais ç’a aidé la région », dit-il.

L’ex-députée Véronique Hivon avait louangé la Commission scolaire de Charlevoix à l’Assemblée nationale.

L’impact de Marc-Yvan Côté

« Le bleu me plaisait beaucoup plus que le rouge dans ma jeunesse. Avec Jean Lajoie (son frère travaillait au cabinet de Robert Bourassa) et Pierre Asselin, j’ai appris à apprécier les libéraux », dit-il. Et dans les années où Jean Lajoie était préfet, un nom résonnait partout quand venait le temps de régler un dossier : Marc-Yvan Côté. L’ex-ministre de la Santé et de la région de Québec avait beaucoup de poids au cabinet et les intervenants le savaient.

L’anecdote concernant Côté est savoureuse et a changé le cours des choses. Aux états généraux de Charlevoix dans les années 90, les organisateurs ont oublié de l’inviter. Évidemment, l’impair a insulté l’ancien ministre qui l’a fait savoir à Jean Lajoie en le croisant devant les salles de bain du Manoir Richelieu.

La suite de l’histoire est digne d’un film. L’ancien ministre retire sa veste, roule ses manches et s’adresse aux politiciens locaux. « En regardant notre liste d’épicerie, il a dit « identifiez deux dossiers et je vais les faire ». Le cégep (Centre d’études collégiales en Charlevoix) et le casino ont été ciblés », confie Pierre Girard. « Marc-Yvan livrait toujours la marchandise », ajoute-t-il.

Loto-Québec

Dans le temps que Loto-Québec était dirigée par Michel Crête, la société d’État investissait massivement. Charlevoix a obtenu sa part de dollars. La route pour se rendre au parc des Hautes-Gorges, l’implantation du Casino et la cure de jeunesse du Manoir Richelieu sont de beaux exemples.

« On avait obtenu la maitrise d’œuvre des travaux pour la route. C’est une belle fierté pour la MRC. Si Michel Crête était resté plus longtemps, la piste (le prolongement) aurait été réglée aussi », croit Pierre Girard.

« Les maires ont été courageux avec le projet de la route. On avait confiance dans la politique. On s’était dit, si ça coûte plus cher on s’organisera bien. Le projet devait coûter 8 M$. Il s’est soldé à 9 M$. La dernière section marécageuse et le dynamitage ont fait grimper les coûts. Le gouvernement du Québec avait fourni le million manquant », précise-t-il.

En 38 ans, Pierre Girard ne s’est jamais brûlé les ailes lorsqu’il devait évoluer dans la « zone grise ». « J’ai toujours été prudent et bien accoté par mes préfets. Au final, ce sont les élus qui décident. »

L’épisode Caroline Simard

L’ancienne députée Caroline Simard n’avait pas tellement apprécié que Pierre Girard discute de dossiers avec la CAQ et le PQ. Elle lui avait dit « qu’il n’avait plus beaucoup d’amis chez les libéraux ». Il avait alors répondu « qu’il en avait dans les autres partis ». « C’était important pour la région », rappelle l’ex-
président de la Commission scolaire de Charlevoix.

Pas de fusion : grande déception

« C’est la plus grande déception de ma carrière. Je ne le prends pas personnel. Au 25e anniversaire de la MRC de Charlevoix-Est, les maires l’ont dit aussi qu’ils étaient déçus de ne pas avoir réussi à se marier avec la MRC de Charlevoix », se souvient Pierre Girard.

L’ancien préfet Ulysse Duchesne et Pierre Girard ont répété souvent dans des entrevues qu’ils m’ont accordées que l’actuel DG de la MRC était prêt à laisser son poste dans le cas d’une fusion.

« Le timing était bon, mais la MRC de Charlevoix n’était pas prête. Aujourd’hui, nous sommes plus loin que jamais (d’un regroupement). Ça va revenir un jour peut-être. Ça fait 38 ans que je suis à la MRC et tout le monde me demande pourquoi il y a deux MRC ici. Le regroupement des deux anciennes commissions scolaires n’a pas laissé de traces. Il n’y avait pas d’est ni d’ouest. Ce mariage n’a pas été difficile », mentionne Pierre Girard.

Au sujet du scolaire, l’ex-président de la Commission scolaire garde un souvenir amer de la manière dont la CAQ a aboli ces structures. « C’est arrivé de nuit. C’est assez cavalier comme façon de faire. La députée Véronique Hivon avait témoigné à l’Assemblée nationale en faveur de notre organisation. Le Centre de services scolaire a l’air de bien aller, mais plus personne ne peut revendiquer quoi que ce soit au gouvernement. C’est un gros levier qu’on a perdu », analyse-t-il.

Possible relève à l’interne

Celui qui aura été le 3e directeur général de la MRC de Charlevoix-Est et qui a servi sous dix préfets quittera le 5 avril, soit une semaine avant d’avoir 65 ans. Il n’a pas « pantoute l’intention de jouer à la belle-mère » même si le poste devait être attribué à un de ses anciens collègues. « À l’interne, des gens sont prêts à prendre la relève. Je les ai bien préparés à cela. Des cadres et professionnels seront de bons candidats », laisse-t-il entendre.

« Ma fierté est de quitter une organisation où la compétence déborde. Les gens sont heureux. Plusieurs gestionnaires sont ici depuis longtemps. Ils ont progressé. Le prochain DG trouvera une organisation en bon état à tous les niveaux », termine-t-il.

Partager cet article