Conte de Noël : Le Noël des générations

Par Alain Goulet 6:00 PM - 24 Décembre 2023
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La grand-mère de Jules lui raconte comment était Noël à son époque. Photo istock

Jules : Allo grand-mère!  Ça va? 🙂

Grand-mère : Oui!

Jules : Je veux te souhaiter un beau Noël!

Grand-mère Madeleine : Toi aussi, mon Jules!

Jules : J’aurais aimé ça être là ce soir, mais je travaille

Grand-mère : Je comprends!

Jules :Vous êtes seuls, toi et grand-père?

Grand-mère :Oui, toute la famille est à l’extérieur.

Jules : Ah! Oui?

Grand-mère :Dans le Sud ou au camp, dans le bois…

Jules :Grand-maman? C’était comment, Noël dans le temps!

Grand-mère : Appelle-moi, je vais te raconter!

Jules prend la voie du téléphone.  Et, ainsi, débute le récit.

Senior woman reading messages on the phone stock photo

C’était comment dans les années 70-80? Il y avait une forte fébrilité.  Il fallait aller, obligatoirement, à la messe de minuit. Ton grand-père faisait ses vocalises dans la douche.  Chanter le Minuit Chrétien, c’était du sérieux.  La table était déjà mise, les caisses de bières attendaient la débouche au sous-sol et les habits ainsi que les robes, sur leurs cintres, étaient parés à faire flèche de tout bois.

Sans être parfait, il fallait que tout soit parfait! Des semaines auparavant, les arbres de Noël trônaient dans les salons, boules étincelantes, guirlandes de supermarchés, village et crèche au goût de boutiques de centre d’achat, tandis que les bergers et les moutons de plastique veillaient sur le petit Jésus.

L’odeur des pâtés à la viande, du ragoût et des beignes embaumaient la maison. Sur le plan culinaire, c’était simple, mais oh, combien délicieux. Ça sentait le temps des Fêtes depuis le début de l’Avent! L’Avent? C’était comme les éliminatoires de privations avant le grand soir où l’on pouvait se becter. Comme le carême avant la Pâques.

Il y avait aussi le silence dans l’attente.  Le silence avant la veillée de Noël tout comme l’attente pour les cadeaux qu’on avait demandés. Recevoir un présent était à la fois une surprise et un privilège.  Souvent, l’année durant on en rêvait, on plaidait son importance et il fallait multiples rappels, en espérant que ce sera le choix des parents ou des parrains et marraines.

Il faisait froid et les bancs de neige étaient aussi hauts que les poteaux de téléphone. Quand il y avait une tempête à Noël, c’était autant un cadeau qu’une damnation.  Comment les oncles allaient sortir de cet enfer, après la nuit du réveillon? Une tempête, c’était un événement qu’on allait parler pendant longtemps. Isolés, attendre que les chemins soient grattés et ouvrent à nouveau. 

Par chance qu’il y avait un poêle à bois lorsque l’électricité manquait.  On pouvait inévitablement garder la tourtière au chaud et cuisiner sans que cela n’altère les festivités. La chaumière chauffait au bois et les
cousins-cousines s’occupaient de réchauffer l’atmosphère.

Les messes de minuit, ça durait longtemps. Une éternité. C’est long quand, enfant, tu as hâte de recevoir ton cadeau. La messe, c’est long quand tu sais que tu reçois la parenté. Le curé fait son homélie sur l’humilité et la pauvreté du Christ, tandis que tu veux seulement retourner à la maison pour être certain que la dinde ne crame pas au fond de la rôtissoire. Paradoxe. Pas ce qu’il y a de plus charitable et chrétien pour celui qui va naître.

La messe finit, les gens ne s’attardent pas trop sur le perron.  Les oncles sont déjà partis réchauffer les voitures après l’eucharistie et ils en profitent pour prendre une gorgée de gin. En cachette.  En attendant que les familles embarquent pour aller au réveillon. Il fait un froid glacial tandis que les claques et souliers vernis crissent sous les pas. Nous sommes à l’ère des manteaux de vison et de castor. 

Arrivés à bon port, chez l’élue qui reçoit, on lance les manteaux sur le lit, pêle-mêle.  On descend les escaliers dans le sous-sol, on en décapsule une.  Enfin. La plus belle soirée de l’année. Tant attendue. Ça fume à qui mieux mieux. Les cendriers débordent déjà. Les jeunes garçons ont hâte de savoir s’ils auront un chandail du Canadien tandis que les filles rêvent à leur Barbie.  Il y a ceux et celles qui pestaient en silence, ne croyant ni au sport national ni à la poupée, préférant souvent Ken…

Il y avait toujours un enfant, insomniaque, vers la fin de la veillée qui posait l’incontournable et mystérieuse question.  Un enfant plus noctambule que les autres qui s’adresse à sa grand-mère, alors que les tables à cartes sont en effervescence, que certains chantent et que d’autres parlent des déboires du Canadien. La question en marge des festivités.  Le mystère des soirées d’antan était comme le mystère de la Nativité.

Grand-mère Madeleine de Jules : Grand-mère, c’était comment Noël dans ton temps, dans les années 30-40?

Arrière-Arrière-grand-mère, Marie-Ange :  Tu veux vraiment savoir comment c’était.  Laisse-moi y penser…

Calme, en retrait, elle prenait un respire, regardant au ciel, se souvenant des temps immémoriaux où il fallait se priver pendant toute l’année pour offrir ne serait-ce qu’un cadeau de fortune et préparer le réveillon pour les familles nombreuses. II fallait bien recevoir et contenter tout le monde.  Être digne en toutes circonstances. Pauvres, mais fiers.

À une époque lointaine, révolu, un fruit ou une étoffe suffisait dans le bas de Noël.  Un monde très pauvre. Plus complexe et complexé. Au temps où le Québec français était le tiers-monde, enseveli sous la misère. 

Les Noëls les plus durs, pour nos familles, ont été ceux de la Seconde Guerre mondiale.  Que des lettres. Pas de présence du fils chéri ni de la fille courageuse. Rien que des lettres qui arrivaient souvent en retard.  Des fois, la seule, était pour nous annoncer la mort de celui ou de celle à qui on avait donné vie. Ces veillées de décembre étaient pour nous un enfer.  On priait, on festoyait pour se changer les idées.  Parfois, certains revenaient dans le temps des Fêtes, amochés et pour de bon. 

Je me souviendrai toujours de Cyrille, lorsqu’il est revenu à la fin ’45.   On se disait que cela allait être le plus beau temps des Fêtes. Dans l’église, à la messe de minuit, les soldats revenus de la guerre avaient les yeux hagards, mouillés, mais quand même rassurés d’être là.  Ils pleuraient en silence. Les mères le savaient et les pères n’osaient s’en rendre compte. Enfin revenus. À la chaleur. Accueillis en héros.  Le seul qui pouvait rivaliser avec eux, en termes de popularité, c’était le jeune Maurice Richard.

C’est le plus beau Noël que j’ai vécu. Cyrille et Desneiges revenant des combats, c’était comme une grâce.  Les oncles n’en avaient que pour lui, pour elle aussi.  Desneiges avait les mêmes doléances de la part des tantes et lorsqu’elle arrivait dans le salon des oncles, ils la regardaient avec beaucoup de déférence et de curiosité. On oublie trop souvent les femmes qui ont travaillé dans les usines d’armements et dans les hôpitaux de fortune comme infirmières sur les champs de bataille.

Les familles étaient si nombreuses que l’absence de certains était comblée par le nombre. Cette absence mélangée de peurs et de soupirs. Grand-père Ernest disait souvent que les vrais héros étaient ceux tombés au combat. Pour sauver la démocratie. Cinq années de subsistances, de privations et d’incertitudes. 

Noël ’45 a été le plus mémorable.  Le plus triste aussi.  Certaines familles n’avaient pas eu cette chance de revoir ceux et celles qu’ils chérissaient.  Les voisins n’avaient pas gagné à cette loterie : leurs deux fils, jumeaux et uniques, ont laissé leur vie sur les plages de Normandie. Comme ils étaient maintenant seuls, le soir du réveillon, ils étaient venus nous voir pour mettre un baume sur leur veulerie. Ces voisins avaient pris dans leurs bras mes enfants revenus. Dans ces accolades, ils espéraient sans doute retrouver et ressentir la présence de leurs fils.

Ç’a été pour eux leur plus beau Noël, malgré tout, me disent-ils.  Un pansement de l’âme, grâce à la chaleur humaine et à la compassion. Le retour des siens est précieux comparativement à tous ces présents sous l’arbre.  Le retour de l’absence est un cadeau inestimable.  Voilà, le vrai sens de la vie :  la santé et la famille. La patrie aussi.

Jules :Merci Grand-mère! C’était spécial dans ton temps!

Grand-mère : Je sais que ça peut paraître bizarre, mais c’était comme ça! En passant, qu’est-ce que tu aimerais pour Noël?

Jules : Rien, c’est pas mal Noël à l’année pour moi.  J’ai tout ce que je veux.  J’aimerais ça être avec vous autres dans Charlevoix.

Grand-mère : Nous aussi, on aimerait ça vous avoir tous au Lac-Saint-Jean.

Jules : Grand-mère? Joyeux Noël!  J’aurais aimé ça vivre dans ce temps-là!

Grand-mère : Ah! Tu sais, chaque chose en son temps.  Et, il passe très vite. Douce nuit! Paix et amour à toi, mon homme, oups!  C’est vrai. On ne dit plus ça!… Humain de bonne volonté. Ce qui compte?
Le cœur. Tout passe par le cœur.  Je t’aime profondément! 

Jules : Moi aussi Grand-mère, du plus profond de mon cœur.

NDLR L’auteur Alain Goulet est né à Saint-Cœur de Marie (Mistouk) au Lac-Saint-Jean. La famille
Al-Simaani-Goulet est venue s’enraciner à La Malbaie en décembre 2011. Depuis, Alain Goulet s’implique dans la communauté charlevoisienne. Il est actuellement directeur général d’ÖBois Charlevoix à Saint-Siméon.

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