À la découverte du Leecliffe Hall: Ivresse des profondeurs et devoir de mémoire

Par Emelie Bernier 20 juillet 2016
Temps de lecture :
David Tavares

Emelie Bernier

La semaine dernière, la petite escouade des Plongeurs d’Épaves Techniques du Québec (PETQ) concrétisait un projet longuement désirée : prendre contact avec la partie intouchée de l’épave du Leecliffe Hall gisant, rompue, au fond du fleuve Saint-Laurent devant les côtes charlevoisiennes. Rencontre avec 5 passionnés qui n’ont pas froid aux yeux!

Mordus de plongée technique, Sébastien Pelletier, Sébastien Savignac, Stéphan Senécal, David Tavares et Jean-Pierre Richard forment une équipe solide et expérimentée. À l’assaut des secrets les mieux enfouis du fleuve ou des grands lacs, les hardis aventuriers ne laissent rien au hasard. Parce qu’au-delà de l’exaltation de découvrir des territoires inexplorés et chargés d’histoire, leur vie dépend d’une infinité de détails.

«L’objectif des plongeurs d’épaves techniques du Québec est de découvrir des nouveaux terrains d’exploration, de nouvelles épaves et de diffuser ce qu’on découvre afin de faire partager la passion de la plongée au plus grand nombre possible et de sensibiliser le public aux vestiges et à l’histoire maritime du Québec. Ce qu’on fait n’est pas a la portée de tous les plongeurs. Ici, par exemple, on parle de courants très forts, de visibilité réduite. La possibilité de se perdre est là. Un plongeur qui voudrait explorer sans l’expérience risquerait certainement sa vie », explique Sébastien Pelletier, doctorant en sciences géographiques dans la vie de tous les jours et ancien scaphandrier offshore. Aux dires amusés de ces collègues, il porte les chapeaux de documentariste, de bibliothécaire, de trésorier et de porte-parole du groupe. Visiblement, une réelle complicité s’est tissée entre les plongeurs. Quoi qu’il en soit, une même passion les unit.

«C’est définitivement une passion, qui implique de gros investissements de temps et d’argent. On souhaite en quelque sorte remonter l’histoire maritime à la surface. Ce sont des sites oubliés! Quand un bateau sombre, les gens en parlent quelques temps, mais après, c’est fini », constate le cadet du groupe, plombier de son état, David Tavares, grand fan de Jacques Cousteau depuis l’enfance. Il est le propriétaire du zodiac, le bien nommé Goliath,  qui entraîne la troupe à l’assaut des vagues avec à son bord des milliers de dollars d’équipements à la fine pointe, entretenus avec soin. «L’équipement, notre vie en dépend. On a une embarcation, un compresseur, des équipements en double…il faut tout utiliser à bon escient, c’est pour ça qu’on prépare nos expéditions durant plusieurs mois», explique David Tavares.

Une vue aérienne du Goliath avec son équipage (Photo : PETQ)

«Le travail en amont est fondamental. Sébastien (Pelletier) cherche les documents. On étudie l’architecture, les plans du bateau pour se créer une image mentale de ce qui nous attend. Comme ça, quand on touche la structure, on est capable de s’orienter, de deviner sur quelle partie on se trouve. Il faut comprendre qu’on ne voit pas grand-chose, il y a tellement de particules en suspension et la vie sous-marine est accrochée partout sur l’épave. Plus tu étudies avant de plonger, plus grandes sont tes chances de reconnaître ce que tu vas toucher», explique à son tour Jean-Pierre Richard, directeur d’ingénierie de métier. Son statut dans le groupe est plutôt vaste.  Fin psychologue, habile médiateur, ce « cerveau logistique » a le don d’anticiper l’imprévisible, tant du côté humain que matériel.

Stéphan Senécal, lui, est le « patenteux » du groupe. Mais il n’a guère le droit à l’erreur car celle-ci pourrait être fatale! « J’ai un souci particulier pour la sécurité, l’entretien de l’équipement. Si on a besoin d’une pièce d’équipement qui n’existe pas, je vais la créer. L’aspect sécurité est primordial », lance cet ancien responsable de la sécurité chez Hydro Québec, seul retraité de la bande, et chargé principalement de la logistique matérielle des expéditions.

5e mousquetaire, Sébastien Savignac est  quant à lui propriétaire de la boutique Plongée Totale (Total Diving) à  Montréal. Il est le seul à gagner sa vie avec la plongée, et il peut aussi en sauver, de par son bagage de paramédic. «L’épave du Leecliffe Hall a un grande importance. C’est immense comme navire et c’est un privilège de pouvoir la visiter, d’autant plus qu’il y a eu des pertes de vie humaine. Il faut y aller avec beaucoup de respect », dit-il.

Dans le cas du naufrage du Leecliffe Hall, 3 personnes ont perdu la vie (voir autre texte).

Après quelques jours d’avaries dans une fenêtre de plongée déjà restreinte (il est possible d’y plonger 3 fois par an durant 3 à 4 jours, quelques heures par jour tout au plus), le groupe a réussi à établir le contact avec la fameuse épave le 14 juillet dernier. «On a eu beaucoup de difficultés, mais on a réussi à mettre le grappin dessus. C’est une belle première expérience sur la partie avant de l’épave, car on avait vu la partie arrière l’an dernier. Elle était plus facile d’accès, puisque moins profonde. Au bout du compte,  ça nous donne beaucoup le goût de retourner! », explique Sébastien Pelletier qui a capturé des images vidéos. Les PETQ peuvent revendiquer la découverte de l’épave, puisque personne avant eux ne l’a fait.

Parmi les personnes qui s’intéressent au travail des PETQ dans le cas particulier de cette épave, les filles de Jean-Louis Desjardins, un timonier du Leecliffe Hall décédé lors du naufrage. « Après nos premières plongées de l’automne dernier, j’ai reçu un courriel d’une descendante des 3 victimes. Ça lui a rappelé des souvenirs… Il y a beaucoup de questions sans réponse pour les endeuillés qui ne peuvent même pas se recueillir sur une pierre tombale puisque le corps n’a jamais été retrouvé. On a un devoir de mémoire car ce qu’on fait représente quelque chose pour quelqu’un quelque part », de conclure Sébastien Pelletier.

Les résultats du travail du PETQ peuvent être consultés sur la page facebook du groupe Les Plongeurs d’Épaves Techniques du Québec.

(NDLR : À lire la semaine prochaine : Un projet de monument commémoratif pour les victimes des naufrages charlevoisiens.)

Partager cet article