« Libre-échange d’ici la fête du Canada », pari gagné pour Mark Carney ?

Par Kyle Duggan, La Presse Canadienne 8:00 PM - 30 juin 2025
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Le premier ministre Mark Carney lors d'une conférence de presse à Ottawa le 20 juin 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Justin Tang

Les administrations fédérales et provinciales s’efforcent de démanteler les barrières au commerce intérieur qui font grimper le coût des biens et compliquent les échanges au Canada.

Celui qui s’attendrait à ce qu’elles soient toutes supprimées risque cependant d’être déçu.

Tout au long de la campagne électorale fédérale de ce printemps, le chef libéral Mark Carney a promis à plusieurs reprises d’éliminer les barrières au commerce interprovincial et d’instaurer le «libre-échange d’ici la fête du Canada».

Le gouvernement Carney a maintenant adopté les modifications prévues, mais il s’agit davantage du début que de la fin du processus.

«C’est un départ qui donne le coup d’envoi à beaucoup plus d’activités et de travail, ce qui est vraiment excitant, a déclaré Ryan Manucha, expert en commerce intérieur. Si tout cela était facile, ça aurait déjà été fait.»

M. Manucha écrit sur le sujet pour le groupe de réflexion de l’Institut Macdonald-Laurier et est l’auteur du livre «Booze, Cigarettes, and Constitutional Dust-Ups: Canada’s Quest for Interprovincial Trade».

«Lorsque je conseille les gouvernements, je dis: “Ne considérez pas cela comme un simple interrupteur”, a-t-il raconté. Nous changeons la façon dont chacun aborde les concepts de réglementation et de risque, cela va donc prendre du temps.»

L’empressement à éliminer les barrières commerciales intérieures fait suite à la guerre tarifaire menée par le président américain Donald Trump avec le Canada. Une étude estime que les obstacles existants au commerce intérieur coûtent à l’économie quelque 200 milliards $ par an.

M. Manucha a expliqué que le Canada parle de ce problème depuis des décennies, mais qu’il ne s’y attaque sérieusement que maintenant – et que cela «ne serait jamais arrivé sans Trump».

Il a soutenu que le dépôt du projet de loi du gouvernement Carney sur le commerce intérieur était «incroyable à voir», car l’idée n’était qu’une «théorie académique il y a à peine huit mois».

Le projet de loi C-5, qui vise à réduire les restrictions fédérales sur le commerce interprovincial et accélère également l’obtention de permis pour les grands projets d’infrastructure, est entré en vigueur le 26 juin.

Des doutes persistent

Une analyse de la loi par le groupe McMillan Vantage estime que «cette loi ne parviendrait pas» à éliminer toutes les barrières au commerce intérieur.

Lorsque M. Carney a fait sa promesse électorale, il parlait de réduire les formalités administratives imposées par le gouvernement fédéral, et non des règles établies par les provinces, qui ont le plus d’autorité en la matière.

Le premier ministre a décrit cet effort comme une sorte d’entente donnant-donnant avec les provinces.

«Nous nous débarrassons d’une série de réglementations fédérales redondantes. Nous allons adopter le principe d’un projet, un examen, et, en échange, elles accepteront d’éliminer tous les obstacles au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre», a expliqué M. Carney lors d’un rassemblement à Kitchener, en Ontario, le 26 mars.

«Le gouvernement fédéral s’est engagé à éliminer tous nos obstacles d’ici la fête du Canada. [Il a promis] le libre-échange d’ici la fête du Canada.»

Mais les barrières au commerce intérieur du Canada ne seront pas toutes éliminées d’ici là, pas même toutes les barrières fédérales.

Le système canadien de gestion de l’offre pour les produits laitiers, qui fixe les quotas de production provinciaux, restera par exemple en place. Le Québec conserve également des exigences linguistiques qui resteront en vigueur.

Les coopératives de crédit se plaignent quant à elles que la nouvelle loi ne supprime pas les obstacles à leur expansion dans plusieurs provinces.

Le projet de loi C-5 aligne les exigences fédérales relatives aux biens et services sur les exigences provinciales si elles traversent les frontières provinciales ou territoriales. Il permet à une exigence provinciale de remplacer une exigence fédérale si les règles sont «comparables».

Ottawa aime mettre en avant les normes d’efficacité énergétique. Une laveuse fabriquée en Colombie-Britannique qui répond à la norme provinciale doit néanmoins satisfaire à des normes fédérales supplémentaires avant de pouvoir être vendue en Alberta ou en Ontario. La nouvelle loi signifie que la norme de la Colombie-Britannique remplacerait la norme fédérale.

La loi élimine également les exigences redondantes en matière de permis pour les ouvriers. Les organismes de réglementation fédéraux seraient tenus de reconnaître les certifications professionnelles provinciales.

Bilan complexe

Il est difficile de déterminer exactement combien d’obstacles fédéraux le projet de loi élimine. De nombreux détails ne seront connus qu’une fois la réglementation rédigée.

«Je ne sais pas vraiment ce que cette loi pourrait faire au final, car un important pouvoir de veto et une grande discrétion restent entre les mains des autorités de réglementation, a indiqué M. Manucha. Selon le texte de cette loi, il semblerait que l’inspection des viandes soit supprimée. L’Agence canadienne d’inspection des aliments va-t-elle vraiment autoriser le commerce interprovincial et l’inspection de la viande provenant d’abattoirs non agréés par le gouvernement fédéral? Je l’ignore.»

Il n’existe pas de liste exhaustive des obstacles au commerce intérieur existants. Certains groupes de pression ont même déclaré aux parlementaires qu’ils ignoraient le nombre d’obstacles auxquels leurs propres industries sont confrontées.

Il n’existe même pas de consensus sur ce qui constitue un obstacle au commerce.

«La législation provinciale ontarienne prévoit, pour de nombreuses professions, une norme de service de 30 jours pour la reconnaissance des titres de compétences, explique M. Manucha. La Nouvelle-Écosse, quant à elle, a adopté un délai de 10 jours. C’est moins d’un tiers. Peut-on qualifier un délai de 30 jours plutôt que de 10 jours d’obstacle au commerce?»

La ministre du Commerce intérieur, Chrystia Freeland, qui a affirmé à maintes reprises que la plupart des obstacles se situent au niveau provincial, a déclaré au Sénat qu’elle rencontrerait ses homologues provinciaux le 8 juillet pour discuter des prochaines étapes.

L’un des principaux obstacles dans la ligne de mire de Mme Freeland est la mosaïque de réglementations canadiennes en matière de camionnage interprovincial.

«Ce devrait être beaucoup plus facile que de conduire un camion d’Halifax à Vancouver. Nous devons nous débarrasser des exigences contradictoires», a-t-elle déclaré le 16 juin.

Lundi, Mme Freeland a également annoncé qu’Ottawa supprimerait toutes les exceptions fédérales de l’Accord de libre-échange canadien de 2017, qui régit le commerce interprovincial, en supprimant 53 règles qui traitent principalement des pratiques d’approvisionnement.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux mènent leurs propres examens dans le but de supprimer les exceptions de l’accord qui relèvent de leurs compétences respectives.

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