Les États-Unis relancent les négociations commerciales avec le Canada

Par Anja Karadeglija, La Presse Canadienne 11:57 AM - 30 juin 2025
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Le président Donald Trump, à droite, et le premier ministre Mark Carney participent à une session du Sommet du G7, le lundi 16 juin 2025, à Kananaskis, au Canada. AP Photo/Mark Schiefelbein

Le premier ministre Mark Carney affirme lundi que sa décision d’abandonner la taxe sur les services numériques au Canada s’inscrit dans le cadre des négociations commerciales plus larges avec les États-Unis, alors même que la Maison-Blanche dit que M. Carney a « cédé » au président américain Donald Trump.

Le gouvernement de M. Carney a fait marche arrière dimanche et a annulé la taxe quelques heures avant la date d’échéance du premier paiement, trois jours après que M. Trump a suspendu les négociations commerciales avec le Canada à ce sujet.

« C’est une négociation globale, indique M. Carney aux journalistes sur la colline du Parlement. Il y a une différence de timing entre mettre en œuvre cette taxe et l’échéance des négociations. Alors, dans un contexte global, c’est bon pour les Canadiens. »

Cependant, à Washington, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, affirme que M. Carney « a cédé au président Trump et aux États-Unis d’Amérique ».

Selon Mme Leavitt, M. Trump sait comment négocier.

« Le Canada a commis une erreur en s’engageant à mettre en œuvre cette taxe qui aurait nui à nos entreprises technologiques ici aux États-Unis », ajoute-t-elle.

« Le président a clairement fait connaître sa position au premier ministre, et ce dernier a appelé le président hier soir pour lui faire savoir qu’il allait abandonner cette taxe, ce qui constitue une grande victoire pour nos entreprises technologiques et nos travailleurs américains ici chez nous. »

Selon M. Carney, le Canada et les États-Unis ont repris leurs négociations lundi matin et ils visent toujours la date limite du 21 juillet fixée par les deux dirigeants lors de leur rencontre au sommet du G7 en Alberta au début du mois.

La suspension des négociations commerciales avec le Canada par M. Trump vendredi a entraîné une fin de semaine de discussions intenses entre les ministres canadiens et leurs homologues américains. 

Des appels ont été passés entre le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, le ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, Dominic LeBlanc, et leurs homologues de l’administration Trump. Les discussions ont abouti dimanche soir lorsque M. Carney a appelé M. Trump pour lui faire savoir que le Canada allait annuler la taxe.

La taxe aurait appliqué un prélèvement de 3 % sur les revenus des utilisateurs canadiens des grandes entreprises technologiques, notamment Amazon, Google, Meta, Uber et Airbnb.

Le premier paiement était rétroactif à 2022 et aurait pu coûter collectivement 2 milliards $ US aux entreprises américaines.

Ces paiements ont donc été suspendus et le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, prévoit bientôt une mesure législative pour abroger la Loi sur la taxe sur les services numériques. 

M. Carney souligne que cette mesure apportera une certaine sécurité aux entreprises.

« Cela n’a aucun sens de percevoir des impôts auprès des contribuables pour ensuite les leur reverser », complète-t-il.

Cependant, ce changement de dernière minute a provoqué une certaine confusion parmi les entreprises qui étaient en train de payer la taxe.

Tariq Nasir, associé chez EY Canada et spécialiste des impôts indirects, souligne que certaines entreprises ont donné des instructions pour payer la taxe, mais que les paiements n’étaient pas encaissés par l’Agence du revenu du Canada.

Les entreprises qui ont effectué les paiements se demandent maintenant comment récupérer cet argent et comment comptabiliser les paiements dans leurs états trimestriels, qui doivent être présentés le mois prochain.

Félicitations et critiques

Lundi, les groupes d’affaires des deux côtés de la frontière ont félicité le gouvernement d’avoir pris des mesures pour éliminer la taxe, tandis que les critiques ont accusé le gouvernement de capituler devant les États-Unis.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, souligne que M. Carney a fait campagne pendant les élections sur la nécessité de trouver un moyen de se soustraire aux droits de douane de M. Trump, mais qu’il n’avait rien montré à ce sujet jusqu’à présent.

Dans un message publié sur les médias sociaux, M. Blanchet ajoute que le gouvernement de M. Carney « a fait de lourds compromis en matière de défense, de frontières et de contre-tarifs, puis le voici en train de reculer sur une mesure consensuelle de protection de la culture, et toujours sans rien à montrer, aucun gain ni aucun progrès pour le Québec et le Canada, ni sur les tarifs, ni sur le commerce. »

«C’est très inquiétant», conclut-il. 

Le chef intérimaire du Nouveau Parti démocratique, Don Davies, affirme sur les médias sociaux que la décision de mettre fin à la taxe sur les services numériques revient à « céder purement et simplement à Trump et à ses amis milliardaires ».

« Le Canada est un pays souverain qui a le droit d’adopter ses propres lois fiscales. L’abandon d’une taxation équitable des géants de la technologie est un apaisement inacceptable », explique M. Davies.

Il ajoute qu’avec l’ouverture de M. Carney au plan de défense antimissile « Dôme d’or » de M. Trump et sa course pour atteindre le nouveau seuil de 5 % des dépenses de défense de l’OTAN, « il semble de plus en plus que M. Carney avait les coudes levés pendant la séance de patinage d’avant-match — pour les laisser tomber une fois que le match a commencé ».

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, souligne que la décision de M. Carney est intervenue quelques jours seulement après que le ministre des Finances, M. Champagne, a annoncé que la taxe serait appliquée comme prévu.

« Par la suite, à la toute dernière minute, le premier ministre a décidé d’annuler cette taxe », écrit M. Poilievre dans un message en ligne.

Il ajoute qu’en échange de l’élimination de la taxe, M. Carney « devrait insister pour que les États-Unis annulent immédiatement les droits de douane sur le bois d’œuvre. Nous devons obtenir des gains pour nos travailleurs dans le cadre de ces négociations. »

Diplomatie nécessaire

L’entrepreneure Arlene Dickinson, qui est membre du conseil consultatif du gouvernement sur les relations entre le Canada et les États-Unis, affirme dans un message en ligne qu’elle comprenait la nécessité de la diplomatie et que seules les personnes impliquées dans les négociations disposaient d’une vue d’ensemble de la situation.

Mme Dickinson s’est déclarée « déçue de voir la TSN (taxe sur les services numériques) mise sur pause quelques heures à peine après l’avoir fermement soutenue ».

« Faire marche arrière aussi rapidement envoie un message, que nous le voulions ou non. Et ce message est important », insiste-t-elle.

« Il est important pour les entreprises canadiennes qui sont en concurrence dans une économie numérique qui n’est pas toujours équitable. Il est important pour les contribuables qui supportent le fardeau lorsque les acteurs mondiaux ne le font pas. Et il compte pour ceux d’entre nous qui croient que, lorsque le Canada défend quelque chose, il tient bon. »

Toutefois, la Chambre de commerce du Canada qualifie la décision d’abandonner la taxe de « sage ».

« Cette taxe aurait pesé sur les consommateurs, les entreprises et les investisseurs canadiens sous forme de coûts plus élevés et aurait nui à notre économie à un moment critique », affirme David Pierce, vice-président des relations gouvernementales de la Chambre, dans un communiqué.

Il ajoute que la suppression de la taxe « nous rapproche d’un accord commercial renouvelé et fiable » avec les États-Unis.

Rick Tachuk, président de la Chambre de commerce américaine au Canada (AmCham Canada), indique que le retrait de la taxe était une mesure bienvenue de la part du gouvernement canadien.

« Il s’agit d’une décision constructive qui permet aux deux pays de se concentrer sur le renforcement de leur partenariat économique. Les entreprises des deux côtés de la frontière comptent sur des politiques qui favorisent la certitude, la collaboration et la croissance à long terme », soutient-il dans un communiqué.

Benjamin Bergen, président du Conseil canadien des innovateurs, qui représente le secteur technologique canadien, indique dans un communiqué de presse que son organisation a soutenu la taxe, mais que la décision du gouvernement de l’éliminer est la bonne.

Selon lui, la taxe était un « outil nécessaire pour garantir que les géants mondiaux de la technologie contribuent à leur juste part au Canada » et qu’elle était « conçue pour mettre sur un pied d’égalité les entreprises locales qui opèrent dans une économie numérique en évolution rapide ».

« Les négociations officielles étant désormais dans l’impasse, l’annulation de la TSN est une mesure stratégique qui, nous l’espérons, contribuera à relancer le dialogue avec les États-Unis », conclut M. Bergen.

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