Fiasco SAAQclic: l’ex-bras droit de François Legault savait que les coûts explosaient

Denis Gallant préside la commission chargée de faire la lumière sur les problèmes liés à la modernisation des systèmes informatiques de la Société de l'assurance automobile du Québec, à Québec, le 15 mai 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot
L’ex-bras droit de François Legault au ministère du Conseil exécutif, Yves Ouellet, savait dès le 7 septembre 2022 que les coûts de SAAQclic explosaient et qu’on voulait les cacher en raison d’un risque « politique et médiatique ».
En pleine campagne électorale, le président-directeur général de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), Denis Marsolais, rencontre M. Ouellet pour lui faire un état de situation.
Il est surtout question des budgets; M. Marsolais informe M. Ouellet qu’il manque 222 millions $ pour livrer la phase 2 du projet et que deux scénarios sont envisagés.
Le premier consiste à signer puis divulguer un seul avenant de 222 millions $ dans le système électronique d’appel d’offres du gouvernement (SEAO), et le deuxième, à le morceler.
« C’est sûr que j’ai parlé des 222 millions $. C’est sûr que j’ai parlé des deux scénarios », a déclaré jeudi M. Marsolais à la commission Gallant chargée d’enquêter sur le virage numérique raté de la SAAQ.
Informé de l’explosion des coûts, M. Ouellet n’aurait pas eu de « réaction particulière ». « Ce n’est pas une réaction qui m’a marqué », se souvient M. Marsolais.
Comme secrétaire général, Yves Ouellet était le plus haut fonctionnaire de l’État et travaillait directement sous l’autorité du premier ministre Legault.
Le fiasco SAAQclic devrait coûter au moins 1,1 milliard $, soit 500 millions $ de plus que prévu, selon le Vérificateur général. M. Legault a jusqu’ici toujours plaidé l’ignorance.
Dans le document qui est remis à M. Ouellet le 7 septembre 2022, la SAAQ avertit que le premier scénario d’un seul avenant de 222 millions $ comporte un risque « politique et médiatique » élevé.
« On était en plein cœur des élections », a d’ailleurs souligné M. Marsolais à la commission, jeudi.
La société d’État choisira plutôt de morceler le 222 millions $ en plusieurs avenants, même si cela l’expose à une série de risques juridiques et financiers.
Selon le témoignage de M. Marsolais, il fallait éviter de donner un trop gros montant aux fournisseurs LGS-SAP. Or, cet argument n’est repris à aucun endroit dans la présentation faite à M. Ouellet.
Ainsi, en novembre 2022, un avenant de 45,7 millions $ a été signé avec LGS-SAP, soit un montant équivalant à 9,97 % du contrat initial (0,03 % sous le seuil de publication dans le SEAO).
Yves Ouellet a été nommé en juillet 2023 à la tête de l’Autorité des marchés financiers.
Denis Marsolais, qui a quitté son poste de PDG de la SAAQ en avril 2023, est aujourd’hui président de l’Office de la protection du consommateur.
Moins de transparence avec Caire et Guilbault
Jeudi, M. Marsolais est également revenu sur une rencontre de « sensibilisation » qui s’est tenue le 13 juin 2022 avec Éric Caire, alors ministre de la Cybersécurité et du Numérique.
Il n’est aucunement question pendant cette rencontre des coûts du projet, alors que M. Marsolais sait pertinemment qu’ils vont exploser. « Pourquoi? », s’est enquise la procureure de la commission Mélanie Tremblay.
« Ce n’était pas une rencontre budgétaire, s’est justifié l’ex-PDG. L’intérêt du ministre Caire, c’est au niveau numérique, informatique, comment ça va marcher, où s’est rendu, etc. »
Par contre, « le document (présenté à M. Caire) dit qu’une stratégie contractuelle est en cours et forcément, ça veut dire des augmentations », a-t-il ajouté.
Il n’a pas cru bon de prendre M. Caire à part après la rencontre pour lui donner l’heure juste, comme il l’avait fait la semaine précédente avec l’attaché politique du ministre des Transports de l’époque, François Bonnardel.
M. Marsolais a témoigné mercredi qu’il avait été important pour lui d’informer Alain Généreux du dépassement de coût de 222 millions $ qui s’en venait.
Par ailleurs, après les élections, soit en octobre 2022, M. Marsolais sollicite des rencontres avec le ministre Caire, avec Yves Ouellet, ainsi qu’avec la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault.
Le vice-président aux technologies d’information de la SAAQ, Karl Malenfant, adapte le document avant chaque rencontre. Toutefois, sa conclusion reste toujours la même: « Les budgets confirmés en 2020 sont respectés. »
« C’est totalement faux, ça! » s’est insurgé le commissaire Denis Gallant.
« Je ne sais pas ce que cette phrase fait là. (…) Je trouve ça déplorable », n’a pu qu’acquiescer Denis Marsolais, avouant ne pas avoir pensé à corriger le tir lors des rencontres.
« Cette phrase ne m’a pas frappé », a-t-il témoigné. De toute façon, aucune question n’est venue des ministres ou du secrétaire général concernant les coûts du projet. Le sujet n’a pas été « activé », s’est-il défendu.
Quelques jours plus tard, la SAAQ signait un avenant de 45,7 millions $ avec les firmes LGS-SAP. Pressé de questions par la procureure, M. Marsolais a admis qu’il aurait été « opportun » d’en parler aux dirigeants.
La perception de certains membres du c.a. de la SAAQ était que Mme Guilbault « n’était pas intéressée », selon lui.
Denis Marsolais sera vraisemblablement contre-interrogé par les avocats de la SAAQ vendredi.
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