Projet de loi 106 imposé aux médecins, à quel prix ?

Par Dre Andréanne Poirier Gravel 6:00 AM - 11 mai 2025 Médecin de famille pratiquant au GMF Charlevoix-Ouest et à l’hôpital de Baie-Saint-Paul
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Je suis médecin de famille depuis 2016, fin de résidence et entrée en pratique en pleine campagne de dénigrement associée au projet de loi 20. Je n’avais pas encore rencontré mon premier patient que, déjà, je me sentais comme insuffisante et responsable de problèmes collectifs, institutionnels et systémiques. Accès inégal aux soins, délais diagnostics et de traitements, temps d’attente, fermetures de lits, bris de services, et j’en passe. Ne m’étais-je pas inscrite en médecine 7 ans auparavant pour aider, écouter, soutenir, soigner ? Ultimement, pour faire le bien ? 7 ans à en apprendre sur l’humain dans son entièreté, de la base physiopathologique jusqu’au peaufinage de l’art d’interagir pour comprendre et soigner. De l’art de la médecine.

Pour finalement me buter à un système qui semble n’avoir rien à cirer de ces beaux principes et, qui plus est, me fait porter l’odieux de son dysfonctionnement. J’avais dû rater le mémo, le nez dans mes livres ou bien les bras et le cœur chargés d’humains, dans lequel on m’indiquait de quelle façon je pouvais bien faire souffrir la collectivité autour de moi.

Bonne élève, bonne pâte, je me suis ainsi regardée, analysée, mesurée, jugée par le miroir que l’on me renvoyait. C’était peut-être moi, le problème. Je l’ai cru un moment. Jusqu’à temps que, au fil des rencontres avec les humains que je soignais, je réalise qu’ils semblaient mieux après nos échanges. Mieux dans des paramètres qui sont bien uniques et spécifiques à chacun d’eux. Parfois guéris, oui, mais parfois seulement écoutés, rassurés, apaisés, aiguillés, encouragés. Et parfois même, mieux sans trop que je ne sache pourquoi.

J’avais trouvé une clé. Dans mes rencontres, d’humain à humain, je parvenais à être imperméable au discours extérieur toxique et culpabilisant me (nous) concernant, les médecins. Je parvenais à me concentrer sur ce que j’avais appris à faire de mieux : soigner. Accrochée à mon cœur, cette clé devait me suivre partout.

Au cours de ces presque 9 dernières années de pratique, j’ai égaré cette clé à plusieurs reprises. Sous une quantité infinie de courriels, info-lettres, libellés, décrets, lettres d’entente, règlements, bâtons qui se substituent au gré des saisons. Dans un bateau qui change de capitaine à chaque vague rencontrée et qui, à force de virages à 180 degrés, finit par tourner en rond. À travers des tempêtes de salissage médiatique.

Mais je l’ai toujours retrouvée. Un peu ternie, le panneton usé, mais bien présente.

Jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à cette loi comptable imposée. Sur fond de performance, de vitesse, de cases, de pastilles de couleur, d’imputabilité à outrance et de sanctions dont on tente à peine de camoufler le caractère inévitable pour tous. Je suis présentement en arrêt de maternité avec mon troisième enfant. Je n’entends que le tourbillon dans les médias, dans les communications de ma Fédération, sur les groupes sur les réseaux sociaux, dans les échos de corridors où je retourne parfois malgré mon congé.

Est-ce que je parviendrai à retrouver cette clé, à mon retour ?

J’ai peur que non. Car je sais que cette loi viendra toucher le caractère inviolable de la relation médecin-patient, la relation humaine au cœur du soin. Elle viendra y imposer un regard externe, pervers, nuisible. Je ne peux même pas qualifier cette loi de banal diachylon sur la plaie béante du système, c’est carrément comme si on y infiltrait volontairement une colonie bactérienne.

De ce fait, je le vois, je l’entends, les flammes de tous les médecins vacillent et beaucoup. Qu’a t’ont à gagner de les éteindre ainsi ? Des soins (non, plutôt des actes) à la chaîne, dénués d’empathie et d’écoute, qui rempliront joliment les fichiers Excel et dont les humains au cœur de ces décisions, les patients, en paieront le prix.

Actuellement, plusieurs de mes collègues dans la province sondent activement et publiquement les sorties d’urgence à ce bateau en train de couler. Suite à la loi 83, plusieurs portes sont déjà barrées ; impossible de se désaffilier de la RAMQ pour pratiquer la médecine au privé sous peine de sanctions financières démesurées, impossible à soutenir même à court terme. Il y a aussi en ce moment gel d’embauches pour devenir médecins fonctionnaires. Seules options restantes : pratiquer la médecine dans une autre province canadienne limitrophe où la liberté professionnelle est respectée et qui est exempte de mépris envers les soignants, opérer une réorientation de carrière drastique et totale (boulanger, fleuriste?) ou bien plier l’échine, encore, et rester pris au piège dans le bateau qui coule. Ceux qui resteront seront désabusés, robotisés, sur le pilote automatique, obligés de se couper de leur humanité pour y survivre le plus longtemps possible. En d’autres termes, dans un contexte de soins : dangereux.

Encore une fois, qu’est-ce que la population aura gagné ? Absolument rien, on y aura même tout perdu.

Dre Andréanne Poirier Gravel

Médecin de famille pratiquant au GMF Charlevoix-Ouest et à l’hôpital de Baie-Saint-Paul

Ce cri du cœur, je l’ai fait parvenir au Collège des Médecins le 8 mai 2025 pour faire valoir leur mission, celle de protéger les soins à la population. J’ai également fait parvenir la lettre à Kariane Bourassa, députée de la CAQ de Charlevoix-Côte-de-Beaupré le 8 mai 2025. Cette loi imposée contrevient, selon moi, directement à plusieurs articles de notre Code de déontologie :

3. Le médecin a le devoir primordial de protéger et de promouvoir la santé et le bien-être des individus qu’il sert, tant sur le plan individuel que collectif.

1.43. Le médecin doit s’abstenir d’exercer sa profession dans des circonstances ou états susceptibles de compromettre la qualité de son exercice ou de ses actes ou la dignité de la profession.

    63.1. Le médecin ne doit adhérer à aucune entente ni accepter aucun bénéfice susceptible d’influencer son exercice professionnel tant au regard de la qualité des soins que de leur disponibilité et de la liberté de choix du patient. Le médecin doit s’assurer que la priorité d’accès à des soins médicaux soit donnée à un patient strictement en fonction de critères de nécessité médicale.

    64. Le médecin doit ignorer toute intervention d’un tiers en vue d’influer sur l’exécution de ses devoirs professionnels au préjudice de son patient, d’un groupe d’individus ou d’une population.

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    Anne Jean
    Anne Jean
    2 mois il y a

    Malgré l’amertume et le désintéressement aux problème du système de santé, les médecins font parties de l’équation de ce système mal en point. Ils sont en haut de la ligne de front. Les jeunes médecins promus ne peuvent pas arriver dans ce système faisant fi de ses problèmes qui sont connus de tous et qui perdurent parce que tous les acteurs restent sur leur position. Le gouvernement emploi des moyens drastiques et difficiles à intégrer. Mais il faudra bien partir de quelque part, tenter des actions. La résistance aux changements se fait sentir et ça bouscule les idées et la façon de faire. Et nous n’en sommes pas à la coupe aux lèvres.