Les secrets du caribou révélés dans… leur crottin !

L'échantillonnage de fèces est mené en même temps que les inventaires aériens selon un protocole très précis. Photo courtoisie
Qu’on les appelle boulettes, fèces, crottes, « pellets » ou crottin, les déjections des caribous, riches en ADN, sont une inestimable source d’information qui révolutionne les méthodes d’inventaire de cet animal au statut souvent précaire.
Les plus récents inventaires de caribous sur le Nitassinan nord-côtier compteront de nouvelles données à analyser. Et oui, ce sont bien les crottes des caribous qui permettront de bonifier ces inventaires, confirme la chercheuse du programme de recherche en génomique Micheline Manseau. Celle-ci est affiliée au Centre de recherche national sur la Faune, une branche d’Environnement et Changement Climatique Canada (ECCC), ainsi qu’à l’Université de Trent, en Ontario.
Mme Manseau et son équipe ont plus de 20 ans d’expérience avec ce type d’inventaire, spécifiquement pour les populations de caribou.
” On a fait ce travail dans plusieurs régions à travers le Canada, en collaboration avec des groupes autochtones, des provinces et territoires, des organisations publiques comme privées. “
Dans le cas qui nous occupe, ce sont les Innus qui ont tendu la main à l’équipe.
” Ils ont initié le projet et nous ont contactés. Ils s’intéressaient à notre méthode non invasive qui utilise l’ADN, pour mieux comprendre la structure des populations “, indique Mme Manseau.
La méthode comporte plusieurs avantages, outre le fait qu’elle perturbe peu les animaux.
« Dans le cas qui nous occupe, je pense que les Innus ont envie d’avoir leurs propres données sur leur territoire. La province fait des suivis avec des colliers télémétriques, mais les analyses d’ADN amènent beaucoup d’informations complémentaires, qui vont bien au-delà de la position des animaux, par exemple. »
Ces données en disent long sur l’état de hardes et les relations qui s’établissent entre elles.
« Il y a toute une panoplie d’information qu’on peut obtenir ! Avec chaque échantillon d’ADN, on a le sexe de l’animal, les individus qui sont apparentés, où ils s’alimentent, si les femelles sont gestantes, par exemple… À partir de l’ADN, on peut reconstruire le pedigree familial, le niveau de reproduction, comment les jeunes nouvellement recrutés se déplacent…Est-ce qu’il y a des problèmes génétiques liés à la consanguinité ? Si les groupes deviennent fragmentés, isolés, ce n’est pas pour le futur des populations. C’est la chose à éviter en conservation », indique la chercheuse.
La mise en captivité des hardes comme celle de Charlevoix n’est pas optimale en matière de génétique, admet-elle.
« Les troupeaux en captivité, c’est une option de conservation difficile. On voit beaucoup de cosanguinité déjà au Canada : en Gaspésie, dans les Grands-Jardins de Charlevoix, en Abitibi, dans les petites populations… Quand les populations deviennent petites, fragmentées, ce n’est pas une bonne nouvelle et on a assez d’exemples à travers le Canada pour le prouver. On connaît bien l’espèce ! »
Puits d’information
Les résultats des travaux d’ÉcoGenomics, l’équipe de Mme Manseau, sont une source intéressante d’information pour les communautés comme ITUM.
« Partout au Canada, il y a des exemples de mesures qui ont été prises et dont les résultats ont été évalués avec nos inventaires. Ce sont des informations qui peuvent guider, par exemple, ITUM dans sa prise de décision sur quelles mesures adopter », indique Mme Manseau. La fermeture de chemins forestiers, dans la mire d’ITUM, fait partie de ces mesures.
« Les caribous sont des animaux qui bougent sur de grandes distances… il faut s’assurer que le mouvement soit possible, que les hardes puissent éviter les prédateurs, qu’elles aient la ressource pour s’alimenter. »
L’apport des Innus est très important dans l’organisation des inventaires, indique la chercheuse.
« Eux connaissent très bien leur territoire. Les inventaires se font dans l’espace de quelques jours par hélicoptère. La récolte des pellets se fait dans les sites de repos ou d’alimentation des caribous. Pour réduire la perturbation, il n’est pas recommandé d’aller sur le territoire en motoneige, car les mouvements des prédateurs vont être favorisés par l’ouverture de ces routes », lance celle qui a œuvré auprès de plusieurs communautés autochtones, notamment dans le Sahtu, dans les Territoires du Nord-Ouest.
« Ça fait 20 ans qu’on fait ça, alors on est capable de comparer des changements à l’intérieur d’une période de 20 ans », indique Mme Manseau.
Une chose est sûre : « la connectivité du territoire, le mouvement des animaux est à la base de leur survie », insiste-t-elle. « Si on voit une fragmentation, il faut évaluer s’il y a des choses qui pourraient être mises en place pour s’assurer que les mouvements et ainsi le patron génétique demeure solide. Il y a beaucoup d’outils qui peuvent être utilisés. L’inventaire peut aussi être répété aux 5 ans, aux 10 ans, pour voir si les mesures de conservation donnent les résultats espérés. »
Au final, tout converge à la protection de l’animal emblématique des Innus. « Avec nos protocoles de recherche, on est capable de faire des analyses à l’échelle du Canada et voir si c’est la même chose se passe ici et ailleurs au pays, par exemple, ce qui permet de relativiser et de donner beaucoup d’informations sur ce qui fonctionne ou pas. Ça nous permet de faire partie de cette grande famille qui travaille pour la conservation de l’espèce. »
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