Menace de tarifs: Trudeau dit que Trump tente de détourner l’attention des Américains
Le premier ministre démissionnaire Justin Trudeau a profité jeudi de son passage à Washington pour déclarer sur les ondes de CNN que Donald Trump, qui doit entrer en fonction comme président des États-Unis dans à peine plus d’une semaine, cherche à détourner l’attention des Américains sur l’argent supplémentaire qu’ils auront à débourser pour des biens si des tarifs de 25 % sont imposés aux importations canadiennes.
«Ce que je pense qui arrive est que (M.)Trump, qui est un négociateur très compétent, est en train, quelque peu, de faire en sorte que les gens soient distraits», a dit à l’animateur Jake Tapper M. Trudeau, qui était de passage dans la capitale américaine afin de prendre part aux funérailles de l’ex-président américain Jimmy Carter.
M. Trudeau était questionné sur l’idée répétée à maintes reprises par M. Trump que le Canada pourrait gagner à devenir le 51e État américain.
L’entretien d’une dizaine de minutes a été diffusé alors que des informations commencent à être ébruitées sur la préparation du Canada à d’éventuelles mesures de représailles visant son voisin du Sud.
Ottawa envisage des tarifs douaniers sur l’acier, la céramique, les plastiques et le jus d’orange de la Floride, en réponse aux menaces de M. Trump.
M. Trudeau n’a pas mentionné ces éléments comme pouvant être spécifiquement ciblés.
«Nous répondrions définitivement», a-t-il soutenu dans l’entrevue accordée trois jours après qu’il eut annoncé son intention de tirer sa révérence comme premier ministre et comme chef libéral en raison de la dissension au sein de son caucus.
Le premier ministre a aussi affirmé que «non», le retour de M. Trump à la Maison-Blanche n’a pas joué dans sa décision de démissionner, «au contraire».
M. Trudeau a rappelé que, pendant le premier mandat du républicain, le Canada avait riposté aux tarifs douaniers américains sur l’acier et l’aluminium en ciblant certains produits, comme le ketchup et le bourbon. L’idée véhiculée, en 2018,était d’exercer une pression politique sur le président et les ténors républicains.
Quelques heures avant l’apparition surprise de M. Trudeau sur les ondes de CNN, un haut responsable du gouvernement canadien a indiqué que ce dernier n’avait pas encore pris de décision sur les mesures de rétorsion et n’était pas prêt à partager la liste complète des produits envisagés.
La Presse Canadienne a accordé l’anonymat à cette source puisqu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de cette question.
Comme il l’a ensuite fait dans une déclaration filmée à l’intention des médias au sens plus large, le premier ministre a insisté pour dire que les tarifs peuvent encore être évités et que les Canadiens n’en veulent pas.
«Ça fait monter les prix pour les Canadiens et ça nuit à notre partenaire commercial le plus proche», a-t-il poursuivi à l’antenne de la chaîne américaine.
Il a fait valoir que le prix «de l’aluminium, de l’acier, du bois d’œuvre et du béton», entre autres, grimperait pour les Américains.
«Nous devons travailler ensemble pour éviter des tarifs injustes sur les produits canadiens, pour qu’on puisse continuer non seulement de bénéficier des travailleurs des deux bords de notre frontière, mais être compétitifs avec le monde entier dans un moment où la géopolitique exige une force en Amérique du Nord pour bien compétitionner avec le monde», a-t-il dit, en français, durant son allocution filmée.
Après sa déclaration, M. Trudeau a tourné les talons au moment où on entendait une journaliste tenter de lui poser une question.
Lorsqu’on lui a demandé de commenter la préparation par le Canada de sa liste de tarifs de rétorsion, l’équipe de transition du président Trump a répondu que les tarifs douaniers sont dans le meilleur intérêt des consommateurs américains.
Le premier ministre du Canada et ses homologues des provinces et territoires doivent se rencontrer à Ottawa, mercredi prochain, pour discuter d’un plan alors que le temps file avant la cérémonie d’investiture de M. Trump, le 20 janvier.
En attendant, le chef de l’opposition officielle conservatrice, Pierre Poilievre a déclaré, depuis la capitale fédérale, que le Canada pourrait, au chapitre de l’énergie, «rappeler aux Américains que, maintenant, (on) leur donne un grand cadeau en vendant notre pétrole et notre gaz à très bas prix».
«On est stupides. C’est de l’autosabotage que nous faisons, mais les Américains en profitent», a-t-il soutenu au cours d’un point de presse tenu à Ottawa.
Celui dont le parti est en large avance sur les libéraux dans les intentions de vote depuis plus d’un an a plaidé pour la construction d’infrastructures, telles que des oléoducs, afin d’exporter l’énergie canadienne «outre-mer».
«C’est comme ça que nous pouvons devenir plus indépendants, plus souverains, et plus forts face aux menaces des Américains», a-t-il tranché.
Du côté d’experts, Laura Dawson, qui se spécialise en commerce en tant que directrice de l’organisme bilatéral «Future Borders Coalition», estime qu’Ottawa, en ébruitant de possibles produits qui pourraient être visés par des mesures de représailles, le fait sans doute à contrecœur. Elle a soutenu que le Canada est très exposé économiquement et que les tarifs douaniers sont en fin de compte payés par les consommateurs et les importateurs.
C’est d’abord la CBC qui a rapporté cette semaine qu’une ébauche de liste circulait au sein d’un petit groupe de hauts responsables du gouvernement Trudeau à Ottawa, notamment en ciblant le jus d’orange de la Floride.
«La stratégie adoptée par les responsables du commerce lors de l’élaboration de ces listes de rétorsion est de trouver des produits emblématiques, qui seront facilement reconnaissables, a déclaré Mme Dawson. C’est pourquoi ils choisissent des produits comme le jus d’orange, car c’est quelque chose que les gens peuvent facilement comprendre et qui est localisé dans une région à laquelle M. Trump se soucie beaucoup, à savoir les électeurs de Floride.»
Mais elle estime aussi que le Canada ne peut pas imposer des tarifs sur des articles avec une précision chirurgicale, car cela se fait par grandes catégories de produits. Ottawa peut imposer des tarifs sur le jus d’orange, mais pas sur quelque chose d’aussi spécifique que le jus d’orange de Floride sans augmenter également les prix du jus fabriqué en Californie et dans d’autres États.
Matthew Holmes, vice-président de la Chambre de commerce du Canada, croit que l’imposition de tarifs ciblés sur des articles bien précis est une meilleure mesure que la menace de tarifs généraux, qui pourrait entraîner une escalade et déclencher une guerre commerciale que le Canada ne peut pas gagner.
«Vous ne voulez jamais entrer dans une compétition totale avec le Trésor américain, dit-il. L’étendue et l’échelle de leur marché, la profondeur de leur commerce intérieur constituent une économie très différente de celle du Canada, qui repose en grande partie sur le commerce d’import-export. Nous ne gagnerons pas si c’est une pure guerre d’usure.»
Quoi qu’il en soit, M. Trudeau a évoqué, au cours de son entrevue, que M. Trump avait fait des gains en ce qui a trait au renforcement de la sécurité de la frontière. Le Canada a annoncé en décembre un plan de 1,3 milliard $ d’investissements en la matière.
— Avec Kyle Duggan et Michel Saba
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