En 2024, tandis que l’intention d’entreprendre chez les hommes a connu un regain, la chute s’est poursuivie chez les femmes, pour se situer à 13,2% (contrairement à 20% chez les hommes).
En octobre dernier, j’ai été ébranlée par certains constats de l’Indice entrepreneurial québécois 2024 (la plus importante étude sur les entrepreneur(e)s actuel(e)s et en devenir). Depuis 15 ans, l’Indice évalue la robustesse des entreprises et la santé des entrepreneur(e)s.
Depuis la COVID, les intentions d’entreprendre au Québec étaient en baisse, autant chez les hommes que chez les femmes. Cependant, en 2024, tandis que l’intention d’entreprendre chez les hommes a connu un regain, la chute s’est poursuivie chez les femmes, pour se situer à 13,2% (contrairement à 20% chez les hommes). Le constat est le même pour le taux d’individus entamant des démarches entrepreneuriales, c’est-à-dire passant de l’idée à l’action, ainsi qu’au niveau du taux de propriétaires d’entreprises selon leur genre.
Alors que les entrepreneur(e)s ont traversé plusieurs crises depuis 2020, l’indice s’est également penché sur leur perception de leur santé post-crise (générale, physique, mentale et au niveau du sommeil). À tous les niveaux, les femmes déclarent un moins bon état de santé que les hommes, surtout en ce qui concerne la santé mentale. Pas surprenant quand on considère les défis supplémentaires auxquels elles doivent faire face.
Je vais donc profiter de cette tribune, que j’ai le privilège d’avoir, pour mettre en lumière certains de ces obstacles et dégager des pistes d’amélioration. Je n’ai pas la prétention d’être une experte, mais la thématique m’interpelle particulièrement. J’espère que cette lecture sensibilisera à l’importance de soutenir l’entrepreneuriat féminin pour une économie plus équitable et dynamique.
Les barrières financières
Selon le Global Entrepreneurship Monitor, la faible intention entrepreneuriale des femmes est un phénomène mondial. L’une des principales difficultés qu’elles rencontrent dans leur vie d’entrepreneure, c’est l’accès au financement. Les obstacles à l’accès au financement pour les femmes sont plus nombreux que pour les hommes. Selon un récent rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, 22% des demandes de financement que font les entrepreneures sont refusées, tandis que la moyenne est de 15% pour l’ensemble des entreprises!
L’accès difficile au capital de risque est aussi montré du doigt. En 2022 au Canada, les entreprises détenues par des femmes mettaient la main sur seulement 4% du capital de risque (une forme d’investissement pour les jeunes entreprises avec un fort potentiel de croissance, en échange d’une participation au capital de l’entreprise, à la manière des Dragons). On connait les disparités salariales entre les hommes et les femmes et des plafonds de verre auxquels se heurtent les femmes, mais on parle trop peu des iniquités en regard au financement pour leurs entreprises.
Les personnes qui élaborent les politiques de financement et celles qui détiennent les cordons de la bourse sont des gens qui, comme nous toutes et tous, peuvent avoir des préjugés et des biais inconscients. Par exemple, pour des projets similaires en termes de potentiel et de qualité, les partenaires financiers pourraient inconsciemment privilégier les hommes, estimant qu’ils sont plus aptes à réussir. Cela peut se présenter de façon insidieuse, comme des questions plus sévères ou des attentes plus élevées pour les femmes, ou encore de but en blanc par des questions peu délicates concernant leur situation familiale.
Les modèles de réussite entrepreneuriale mis de l’avant dans les médias, mettant en vedette plus souvent des hommes que des femmes, contribuent à ces biais. Les secteurs vers lesquels les femmes se tournent en plus grande proportion peuvent aussi être boudés par les investisseurs (secteurs des ressources humaines, enseignement, santé, économie sociale), même si ce sont des secteurs qui peuvent être très innovants.
La création de programmes de financement réservés aux femmes ou à d’autres catégories d’entrepreneur(es) sous-représentées devient donc essentielle pour favoriser l’égalité des chances et s’assurer d’avoir une économie inclusive et diversifiée. La SADC de Charlevoix participe d’ailleurs à un nouveau projet pilote depuis le printemps, dont les retombées sont très positives: le Flexiprêt pour les femmes. Ce programme de financement et d’accompagnement sur mesure s’adresse aux entrepreneures qui occupent une autre fonction en parallèle de leurs activités entrepreneuriales (salariée, étudiante, retraitée, proche aidante, entre autres). Les flexipreneures bénéficient d’ajustements à nos services courants, leurs dossiers font l’objet d’un traitement allégé et accéléré et les prêts sont assortis de modalités de financement avantageuses.
Le poids des attentes
Est-ce possible que la charge mentale des femmes, les pressions familiales et sociales et les doubles standards affectent négativement leurs intentions d’entreprendre?
Assurément. Encore en 2024, « [l]es entrepreneures sont victimes de préjugés sexistes qui valorisent la masculinité associée au rôle de soutien de famille assumé par leurs homologues du sexe opposé, qui veut que les hommes soient considérés à la fois comme des chefs d’entreprise prospères et comme des pères qui apportent un soutien financier à leur famille. » (Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat, 2024, État des lieux de l’entrepreneuriat féminin au Canada : 2024, p.18).
Au-delà de la difficulté à obtenir du financement, les femmes font face à des attentes sociales qui peuvent les inciter à privilégier la famille et la sécurité, plutôt que de se lancer dans des projets entrepreneuriaux plus risqués. Les études montrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à réduire leur nombre d’heures travaillées pour concilier travail et vie familiale, prennent la majeure partie des congés parentaux et ont souvent plus de responsabilités familiales et domestiques que les hommes.
Un déséquilibre tenace persiste, mais l’écart diminue tranquillement. La nouvelle génération de pères au Québec est plus investie que jamais dans leur vie familiale. Les Nouveaux Pères Maxime Pearson et Samuel Tremblay, auteurs du livre Papa, lève-toi ! font d’ailleurs un merveilleux travail de sensibilisation et de mobilisation des jeunes pères, avec un message fort : Tu es aussi bon que maman. Donc les gars, impliquez-vous! Oui, les tâches ne seront pas faites de la même façon, mais elles vont être faites à votre sauce, avec vos couleurs, et c’est bien parfait comme ça.
De votre côté, chères entrepreneures en devenir, voyez ça comme une opportunité en or pour perfectionner vos compétences en délégation et ne succombez pas à la tentation de la microgestion. Après tout, pourquoi tout faire soi-même quand on peut déléguer avec brio? N’oubliez pas, même les superhéroïnes ont besoin d’une équipe!
Si j’ai pu consacrer autant d’heures aux opérations et au développement d’une entreprise, tout en ayant des enfants d’âge préscolaire, c’est en grande partie grâce à mon conjoint, qui est un papa exceptionnel, engagé et dévoué. Pendant les années de démarrage, chacun avait son deuxième shift de soir : paperasse et administration pour moi, tâches ménagères pour lui. Je ne le remercierai jamais assez de son support indéfectible et pour toutes les brassées de linge qu’il a faites (tiens, ça me rappelle même qu’il lavait les guenilles du Mousse…). Un vrai travail d’équipe!
Une responsabilité partagée
Garantir l’égalité des chances et adopter des pratiques inclusives, c’est l’affaire de toute la collectivité. Ça commence par soi, en s’informant et en reconnaissant ses biais. Le piège qui nous guette, c’est de penser que ça ne nous concerne pas! Au contraire, à notre échelle, nous avons un impact avec nos mots et nos gestes.
Les institutions et décideurs ont bien entendu un rôle important à jouer, en s’assurant que les membres de leurs équipes soient formés aux biais inconscients, en luttant contre la discrimination de genre et surtout en continuant à mettre en place et à soutenir les programmes de subventions et de financement s’adressant aux catégories d’entrepreneur(es) sous-représentées.
Pour stimuler le désir d’entreprendre des femmes et les encourager à poursuivre leurs ambitions, elles ont besoin d’être exposées à des femmes d’affaires inspirantes, provenant d’horizons variés, et ce, dès leur plus jeune âge. Les médias et diffuseurs ont le devoir de s’assurer qu’une place est faite aux entrepreneures dans leurs programmations et publications.
Enfin, les créanciers et organisations de développement économique auraient quant à eux tout intérêt à mettre davantage de l’avant et à développer les programmes de mentorat, de coaching et les groupes de soutien pour entrepreneures, afin de bonifier le renforcement de leurs capacités.
La force d’une équipe
De tout temps, les femmes ont fait preuve de créativité, d’innovation, de résilience. Elles sont tout aussi capables d’entreprendre et de réussir que les hommes.
Changer les politiques, les mentalités et les biais peut prendre du temps, mais chaque entrepreneure qui est soutenue, accompagnée, financée, célébrée me donne espoir que nous allons dans la bonne direction.
Les filles, dans votre équipe, ça vous prend des gens qui croient en vous et en votre vision : votre famille, les professionnels qui vous accompagnent, vos partenaires financiers. À ça, ajoutez un(e) mentor(e) pour vous écouter, vous guider, vous soutenir et vous motiver à vous dépasser.
Et n’oubliez pas : osez déléguer des tâches pour alléger votre charge mentale. En vous entourant des bonnes personnes et en acceptant de l’aide, vous pourrez non seulement atteindre vos objectifs, mais aussi inspirer d’autres femmes à faire de même. Ensemble, nous pouvons créer un réseau de soutien puissant et solidaire ainsi qu’un écosystème entrepreneurial plus équitable et représentatif.
À propos de l’auteure
Marilyn est directrice adjointe et conseillère aux entreprises à la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) de Charlevoix. Originaire du Saguenay, elle a étudié en droit international et imaginait une carrière à Ottawa, avant de tomber sous le charme de Charlevoix. Cofondatrice du Mousse Café, coopérative de solidarité, où elle a œuvré pendant six ans, elle s’est découvert une véritable passion pour l’entrepreneuriat et l’économie sociale. En plus de ses engagements professionnels, Marilyn est présidente du conseil d’administration de la Caisse Desjardins du Fleuve et des Montagnes.
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