Du privilège d’être vivant

Par Emelie Bernier 7:00 AM - 28 décembre 2024 Initiative de journalisme local
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Nicole. Photo Emelie Bernier

Je suis née un 11 décembre. 2 semaines, pile avant Noël. Outre le fait que je n’ai jamais pu faire de « pool party » ou de pique-nique à la plage pour ma fête, ma date de fête me convient très bien. Comme un avant-goût des vacances. Une petite poussée pour s’y rendre, le dernier ravito avant la fin du marathon.

J’ai mis les pieds sur terre en 1974, tête première. Faites le calcul. Me voici mi-centenaire. 50 ans, c’est pas de la tarte, c’est du gâteau. Avec une montagne de crème fouettée, des étoiles de carambole, des éclats de chocolat.

Pas une petite fête, des semaines de célébration.

J’ai choisi de fêter ça à de multiples reprises en petits comités plutôt que dans un grand tintamarre assourdissant où je n’aurais pas pu profiter de chacun de mes amis. De Portneuf à Montréal, de Charlevoix à Québec, on m’a accueillie, nourrie, gâtée comme du poisson pourri. (Quelle étrange expression quand même ! Je me suis sentie tout sauf en état de décomposition, sauf peut-être un certain matin au chalet. Heureusement que ce qui se passe au chalet..)

Cela dit, cet anniversaire avait un petit arrière-goût d’eau de mer.

Fondu au noir.

Février 1998. Mes parents reviennent d’un petit voyage régénérateur au Mexique. Il faut dire que ma mère est de la race des lézardeuses au soleil… L’hiver lui mine le moral et ces escapades lui font un bien fou.

Mais quand elle débarque de l’avion, elle ne « feele » pas trop. On lui diagnostique une phlébite. À ce moment-là, je ne le sais pas, mais la phlébite est parfois un mauvais présage. Le symptôme d’un mal beaucoup plus profond.

Ma mère vient d’avoir 51 ans. Le 29 février. Le 1er mars, un médecin à l’air grave entre dans la chambre où elle est étendue, déjà tannée d’être là à ne rien faire. Je suis là, mon père aussi. Rien qu’à voir le visage du doc, on sait. Que les nouvelles ne sont pas bonnes. Le sol se dérobe sous mes pieds. Je regarde les grandes fenêtres et je voudrais que le vide m’aspire. Oublier. Ne pas entendre les mots qui condamnent ma petite mère chérie à une fin précipitée.

Je vous épargne les détails des 11 semaines qui séparent l’annonce de la fatalité.

En fait, je ne me souviens pas de tout, merci cerveau qui balaie les traumatismes sous le tapis. (Faudrait que j’envisage de voir un psy, je sais.)

Diaporama.

Je me souviens dans les branches de pommier en fleurs dans la chambre de Michel-Sarrazin. Je me souviens l’odeur de la pruche que ma tante « spirit » badigeonnait sous les pieds de sa sœur pour l’accompagner dans le dernier voyage. Je me souviens du personnel si gentil du mouroir. Des funérailles avec la musique un chouïa trop rapide. Le système de son avec lequel j’avais enregistré la cassette était fucké… Ça a détendu l’atmosphère à l’église. Elle nous a fait rigoler jusqu’au bout de la route.

Retour vers le futur.

50 ans. C’est l’âge, à quelques semaines près, que ma mère, Nicole de son prénom, avait quand elle a appris que sa vie, cette vie-ci du moins, tirait à sa fin. D’où le goût d’eau salée de ces festivités entourant mon propre anniversaire.

Dans ma tête de fille de 23  ans, ma mère était « vieille », elle avait vécu. Je me disais probablement ça pour me réconforter, adoucir la peine, justifier l’injuste.

Elle rêvait d’une retraite à élever des Golden retrievers, à faire d’immenses jardins, à cueillir des petits fruits et des champignons, à voyager de temps en temps, à manger du crabe et du homard le plus souvent possible…

Elle est partie les deux pieds devant un beau jour de printemps. Le 21 mai 1998.

Je me suis sauvée en Afrique, comme si le deuil ne pouvait pas passer les douanes. Il m’a suivie jusqu’à Ndiebel, dans la brousse sèche sénégalaise. Il m’a collé aux baskets quand je suis retournée en Inde, en Europe, au Pérou. Il était là quand j’ai accouché. Il n’est jamais bien loin, en fait, tapi dans quelque recoin pour me faire sursauter.

Aujourd’hui, j’ai l’âge que t’avais quand t’es morte, Nicole que j’ai jamais appelée maman.

Anecdote : Au primaire, quand je parlais de mon père et de ma mère, je les appelais systématiquement par leur prénom. Un jour, une camarade de classe m’a posé la question qui trottait dans la tête de tous les autres : « tu vis pas avec tes parents ? »

 Je n’ai pas compris la question tout de suite. Ni pourquoi une idée aussi saugrenue avait fait son chemin dans les petites têtes des Tremblay, Bouchard et Boivin de ma classe des Ébouls.

Fin de l’anecdote.

J’ai 50 ans et je ne suis pas vieille. J’ai 50 ans et je savoure le privilège d’être vivante.

J’ai 50 ans, et je voudrais que ce soit le mitan de ma vie, comme ma grand-mère éponyme, Marie-Émélie Bégin, la secrétaire d’Alphonse Desjardins, qui a levé les feutres à 105, quand j’en avais moi-même 5. Elle buvait ses repas à la paille, comme dans les blagues de CHSLD.

J’ai 50 ans et chaque jour est une fête. Je ne sais pas si un jour, j’élèverai des chiens, mais je cueillerai des champignons, et des bleuets, et je ferai un grand jardin, et je mangerai du crabe et du homard le plus souvent possible. Pour honorer la vie et ta mémoire.

Où est-ce que je veux en venir en m’épanchant ainsi ? Il n’y a qu’une seule directive:  choisissez le bonheur.  

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